Cette année marque le trentième anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda. En 1994, durant trois mois, entre 800 mille et un million de personnes avaient été massacrées devant l’indifférence de la Communauté internationale. Les milliers de pages de rapports, ouvrages ou décisions de Justice renseignent de manière précise sur une mécanique de planification et d’exécution d’un crime de masse au 20ème siècle. Pendant que partout le souvenir du drame au Rwanda remonte, nous assistons en même temps, impuissants, au déroulement de l’horreur à Gaza où la Cour internationale de justice, dans son ordonnance du 26 janvier dernier, affirme qu’il existe un risque sérieux de génocide.

Si rien n’est fait, la tragédie pourrait se répéter et personne ne pourra dire qu’il ne savait pas, car nous avons tous les moyens de voir ce qui s’y passe de tragique. L’histoire se rappelle à nous et oblige ceux qui peuvent agir à le faire, afin que l’insupportable qui se déroule actuellement cesse.

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Chaque génération, qui a vécu l’horreur des conflits et crimes de masse, proclame : «Plus jamais ça.» Après la Grande Guerre et l’érection de la Société des nations, l’humanité pensait avoir mis en place un organe pour prévenir les grandes atrocités. La Sdn n’a pu empêcher l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi l’Onu naquit avec comme but de garantir la paix et la sécurité internationales. Elle a pour l’instant réussi à prévenir un troisième conflit mondial. Elle s’est dotée de mécanismes dont on peut saluer à des moments précis l’efficacité. Mais l’Onu, géante pour les petites nations, est si faible face aux puissances qui en tiennent les principaux leviers, notamment celles qui siègent comme membres permanents au Conseil de sécurité avec droit de véto. Aucun Etat ni organisation internationale n’a pu prévenir le génocide au Rwanda en 1994. Les Casques bleus hollandais n’ont pu empêcher le nettoyage ethnique de 8000 musulmans en cinq jours dans l’enclave de Srebrenica en Bosnie en 1995.

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Depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas en Israël, la riposte disproportionnée de l’Etat hébreu a pris les allures d’une volonté d’effacer les Gazaouis de la carte du monde. Après seize années de blocus inhumain, plusieurs fois condamné par la Justice internationale, Israël, sous prétexte de légitime défense, est en train de commettre des crimes sur une population civile qui a déjà payé un lourd tribut à l’occupation.

La bande de Gaza, bombardée quotidiennement par l’une des armées les plus puissantes au monde, est devenue un champ de ruines. Les chiffres prouvent l’ampleur du drame. Gaza, avant les massacres, c’est une population de 2, 2 millions de personnes. L’âge médian est de 18 ans, et 80% des habitants vivent grâce à l’aide alimentaire internationale. En six mois de bombardements et d’occupation au sol au prétexte d’en finir avec les miliciens du Hamas, ce sont environ 33 000 personnes tuées dont une majorité de femmes et d’enfants. 13 800 enfants sont morts à Gaza, soit plus que le nombre d’enfants morts en moyenne pendant quatre années de conflits dans le monde. 1, 7 million de Palestiniens sont déplacés depuis le début du conflit. Le secrétaire d’Etat américain annonçait la semaine dernière que 100% de la population de Gaza étaient dans une situation d’insécurité alimentaire grave.

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Pendant des mois, le gouvernement d’Extrême-droite israélien a tué et déplacé de force des populations avec le soutien assumé des grandes puissances ; les Etats-Unis, allié traditionnel, la France, l’Allemagne et la Grande Bretagne en premier. La position du gouvernement espagnol a tranché, par son courage et son humanisme, d’avec ses alliés européens.

Devant l’ampleur des massacres, le bilan macabre qui ne cesse d’augmenter et l’émotion exprimée par les opinions publiques, les positions jadis figées ont commencé à bouger dans le monde, non sans faire avec un chantage mémoriel permanent du gouvernement israélien et une brutalité dans les propos et les actes.

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Dans le sillage d’une opinion internationale révoltée par les images de cette «guerre» sans images car l’un des belligérants, Israël, empêche les journalistes l’accès à Gaza pour rendre compte de ce qui s’y passe, des voix, jadis alignées sur la position de Netanyahu, s’élèvent de plus en plus. François Hollande crache : «assez ! Ce n’est plus supportable ni acceptable» et d’autres dirigeants expriment timidement leur écœurement. L’épisode du soutien «inconditionnel» au lendemain du 7 octobre a servi de prime à l’horreur pour les extrémistes au pouvoir à Tel Aviv.

Les armes crépitent à Gaza, où une puissance militaire rase une région entière au mépris du monde qui se dit «civilisé». Sur un autre foyer de tension, l’Ukraine, les réactions de ce même monde «civilisé» sont radicalement différentes. Le fameux deux poids deux mesures occidental qui s’exprime là aussi avec une flagrante indécence.

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Des voix s’élèvent en Afrique et ailleurs sur le symbole auquel les faits renvoient. Les dirigeants russes qui ont envahi l’Ukraine sont sanctionnés ; le pays est mis au ban de la Communauté internationale. Un débat se pose même sur l’autorisation de participer de la Russie aux prochains Jeux Olympiques de Paris. Une députée européenne française, récemment dans un train entre la Pologne et l’Ukraine, disait ceci pour justifier ce déplacement risqué de soutien : «Les Ukrainiens se battent pour nos valeurs.» Je me demande pour quelles valeurs se battent les Palestiniens…
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn