Gel des importations de banane : Le consommateur sénégalais, grand perdant

La consommation de la banane produite au Sénégal a augmenté ces dernières années, tant en volume qu’en qualité. La production nationale, elle aussi, a connu une forte croissance dans les régions de Tambacounda, Kolda, Sédhiou et Saint-Louis. Cette production a permis, ces vingt dernières années, de satisfaire une partie des besoins du marché sénégalais et, surtout, de réduire de façon minime les importations depuis la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Cependant, la production locale reste encore très faible. Elle est tributaire des saisons et d’autres facteurs. Les importations comblent une très grande partie de la demande en banane. Et c’est important de le signaler, cet ajustement a toujours été effectué de façon hebdomadaire par les importations, qui ne correspondent qu’à la part manquante entre l’offre nationale et la demande du marché. Ainsi, les consommateurs sénégalais n’ont jamais manqué de banane sur les étals, alors que l’offre locale est à certaines saisons très insuffisante.
C’est pour ces raisons que nous estimons que la décision prise par l’Agence de régulation des marchés (Arm) de geler les importations de la banane, du 1er septembre au 30 novembre 2025, est pleine de risques pour le consommateur sénégalais et pour les exportateurs de fruits et légumes. Le Sénégal vise l’autosuffisance en banane d’ici 2029 grâce au «Programme national de développement de la filière banane» (Pndfbs), qui inclut des mesures pour renforcer la production locale, améliorer les conditions de récolte et de stockage, et réduire les pertes. L’Agence de régulation des marchés (Arm) soutient cette dynamique en organisant le gel des importations de banane, notamment de Côte d’Ivoire, pendant les pics de production locale pour, pense-t-elle, protéger les producteurs et stabiliser les prix, alors qu’il s’agit de protection d’un monopole. En clair, cette mesure ne profite pas à l’ensemble des acteurs que l’agence est censée protéger.
Au demeurant, l’importation de banane de la sous-région n’a jamais empêché l’écoulement et la vente de la banane produite au Sénégal. La banane importée et celle cultivée localement ont toujours cohabité sur le même marché, réussissant ensemble à satisfaire les besoins de strates de consommateurs différents. Et la banane importée a toujours permis de satisfaire les consommateurs finaux, par exemple lors du mois de Ramadan ou à d’autres occasions durant lesquelles la demande est forte et l’offre nationale n’arrive pas à couvrir les besoins des consommateurs sénégalais.
Le gel de ces importations ne provoquerait, pour les spécialistes du secteur, qu’une situation de monopole qui permettra aux producteurs locaux, faute de concurrence, d’augmenter les prix. Cette hausse des prix se répercutera inévitablement sur le prix final aux consommateurs.
Si le but recherché par les producteurs locaux était vraiment l’autosuffisance alimentaire, pourquoi exportent-ils une partie de leur banane vers le Mali, la Guinée-Bissau et la Mauritanie ? Ces exportations de la banane sénégalaise sont tout à fait louables et doivent même être encouragées. Mais l’autosuffisance ne sera pas atteinte uniquement lorsque le volume annuel produit au Sénégal sera égal à la consommation annuelle du pays, car la banane ne se stocke pas, et l’équilibre entre l’offre et la demande doit être permanente, semaine après semaine, ce que seules les importations peuvent assurer.
Les vrais perdants ne seront pas les producteurs ivoiriens et ghanéens, ils produisent 500 000 tonnes/an et les importations sénégalaises représentent moins de 5% de ce volume. Les producteurs ivoiriens et ghanéens pourront rapidement repositionner leur banane ailleurs, soit en Europe, soit dans la sous-région, à l’heure où le Maghreb rouvre grand ses portes à l’Afrique sub-saharienne, du fait des problématiques de drogue touchant la banane en provenance d’Amérique latine. De plus, on ne peut pas compter sur les importations pendant un temps et les éliminer le reste de l’année. Si cette politique est possible avec l’oignon et la pomme de terre, ce n’est pas le cas avec la banane, produit très périssable qui ne se stocke pas. Les exportateurs ivoiriens et ghanéens délaisseront le marché sénégalais.
Les vrais perdants seront les consommateurs sénégalais, lésés par une baisse drastique du rapport qualité/prix de la banane qui leur sera vendue de septembre à décembre. Ils seront ainsi privés de la qualité, à laquelle certains sont habitués, et seront exposés à une hausse du prix au détail.
Le gel des importations depuis la Côte d’ivoire et le Ghana est en outre contraire aux règles de libre-échange dans la Communauté économique Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Par ailleurs, le Sénégal a ratifié depuis le 2 avril 2019 les accords de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
Thierno DIAGNE
Ingénieur agronome – Consultant