Gestion des fonds Covid-19 : LA JUSTICE EN RIZ

Les magistrats de la Cour des comptes reprochaient à Mansour Faye et à son Dage d’avoir acquis du riz au prix du marché sans tenir compte d’un arrêté vieux de 7 ans, et devenu sans objet. Or, le ministère du Développement communautaire avait l’Armp et la loi de son côté. Les vérificateurs, contre toute évidence, ont tenu à les incriminer. Ce qui pousse à se demander si des facteurs humains n’ont pas brouillé le caractère technique de ce dossier.Par Mohamed GUEYE –
Mansour Faye et son ancien Dage, Aliou Sow, peuvent-ils vraiment croire en la bienveillance des tenants du nouveau pouvoir pour revoir avec minutie ce qui leur est reproché par la Cour des comptes dans le cadre de la gestion des fonds liés à la lutte contre le Covid ? Ce rapport a été produit au moment où Amadou Mansour Faye était à la tête de l’énorme ministère du Développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale, chargé notamment de la distribution des denrées alimentaires. Les magistrats de la Cour des comptes, qui ont audité la gestion et la distribution de ces denrées, ont retenu à l’encontre de M. Aliou Sow, le Dage, «une surfacturation sur le prix du riz, d’un montant de 2 milliards 749 millions 927 mille 498 francs Cfa».
Le rapport indique que le mis en cause avait, à l’époque, précisé aux vérificateurs que «les prix sont fixés par les vendeurs ayant répondu à l’avis de commande. (…) Toutefois, le ministre du Développement communautaire et de l’équité sociale et territoriale avait remis au président de la Commission des marchés, un tableau produit par le ministre chargé du Commerce qui retraçait les prix des denrées pour que la commission l’utilise comme document de travail. (…) Dans ce tableau, le prix de la tonne de riz brisé non parfumé est affiché à 275 000 F Cfa et toutes les entreprises sélectionnées pour l’acquisition de riz avait proposé le même prix».
Les vérificateurs avaient rejeté ces arguments en se basant sur des arrêtés du 22 mai 2013, «portant administration des prix de l’huile en fût et en dosettes, du sucre cristallisé et du riz brisé non parfumé», et ils ont ajouté que «l’arrêté n°007111 précité fixe le prix de la tonne chez le grossiste à 245 000 F Cfa ; les frais de manutention sont fixés à 5001 F Cfa la tonne par le ministère du Commerce, soit un prix global de 250 001 F Cfa. Or, il a été fixé par le Mdcest à 275 000 F Cfa la tonne, soit un manque à gagner de 24 999 F Cfa par tonne».
Arrêté caduc
Encore à ce jour, les observateurs estiment que le travail de la Cour a été soit biaisé, soit particulièrement léger en la matière.
Comment en effet, dans un contexte de Covid-19, où la chaîne logistique se détournait particulièrement de l’Afrique, provoquant une flambée des prix de toutes les denrées alimentaires et une raréfaction d’autres produits, comme ceux relatifs à la santé, peut-on vouloir imposer des prix arrêtés 7 ans auparavant, à une époque où le pays ne connaissait au plus qu’une certaine spéculation des prix ?
Par ailleurs, les arrêtés de 2013 sur lesquels s’appuyaient les magistrats de la Cour des comptes, se referaient à la loi 94-63 du 22 août 1994, sur les prix, la concurrence et le contentieux économique. Ladite loi souligne que «les prix des biens, produits et services sont déterminés par le libre jeu de la concurrence», bien qu’en ses articles 42 et 43, elle pose des exceptions claires qui spécifient que «des mesures temporaires contre les hausses excessives des prix, motivées par une situation de calamité ou de crise, par des circonstances exceptionnelles ou par une situation de marché manifestement anormale dans un secteur déterminé, peuvent être prises par arrêté du ministre chargé du Commerce et dont la durée d’application ne peut excéder 2 mois, renouvelable une fois». En des termes clairs, l’arrêté de 2013 auquel s’est accroché la Cour des comptes, n’avait plus de validité en 2020.
Par ailleurs, nonobstant cette disposition légale, le ministère de Mansour Faye avait tenu à consulter l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp, devenue entretemps Arcop), avant de passer un appel d’offres, auquel il n’était pas légalement tenu du fait du décret 2020-781 du 18 mars 2020 qui portait dérogation aux marchés publics de toutes les commandes faites dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. C’est après le quitus de l’Armp que les marchés furent lancés.
Dans sa réponse aux auditeurs, Aliou Sow fait remarquer que «dans le rapport final de la Cour des comptes, l’observation concernant le sucre cristallisé a disparu alors que l’arrêté de 2013 concerne à la fois le riz brisé non parfumé et le sucre cristallisé. Ce qui… me fonde dans l’intime conviction que le maintien de l’observation sur le riz relève manifestement d’une erreur des auditeurs… Ils ne peuvent introduire la notion de surfacturation, dès lors qu’un appel à concurrence a été organisé et, mieux, les offres retenues sont conformes au tableau des prix du ministère du Commerce».
Facteur humain
Des commerçants font remarquer qu’en 2013, le prix du riz, manutention portuaire comprise, revenait à 250 000 francs la tonne, soit 250 francs le kilo. Sept années plus tard, en 2020, dans un contexte mondial encore plus difficile, le prix à la tonne était de 275 000 francs Cfa, soit 275 francs le kilo. En 7 ans, le kilo de riz n’a augmenté que de 25 francs Cfa, malgré la hausse du fret maritime, le ralentissement mondial de la production et la volatilité du taux de change.
En juin 2024, le kilo de riz est passé, par arrêté, à 375 francs Cfa, soit 100 francs Cfa de hausse en 4 ans. C’est dire que si l’Etat a fait des efforts pour maintenir la disponibilité du riz à bon prix, les commerçants également ont consenti d’énormes sacrifices. Les vérificateurs de la Cour des comptes, qui n’ont pas voulu tenir compte des circonstances exceptionnelles, avaient-ils des motifs cachés ?
Des observateurs appellent d’ailleurs à s’interroger sur «les dynamiques humaines, les parcours croisés, les antagonismes anciens ou les ressentiments latents qui peuvent parfois altérer la neutralité attendue dans l’examen d’un dossier», particulièrement aussi sensible que celui-là.
mgueye@lequotidien.sn