Il est des tragédies qui marquent au fer rouge l’histoire d’une Nation. Niché dans le poumon vert de Mbao, le Cimetière des naufragés du Joola est de ces symboles auxquels l’on s’accroche pour résister à l’oubli et parer aux ressacs de la répétition. A l’approche de la date anniversaire du drame, il se rappelle aux vivants, sort de son long sommeil et refait peau neuve. En prélude à l’anniversaire du Joola, Le Quotidien a choisi de faire une série de reportages sur le Cimetière de Mbao. Après les commémorations, il reste un endroit laissé à l’abandon.Vendredi 26 août 2022, banlieue de Dakar, Mbao
Dans un mois, sera commémoré le 20ème anniversaire du naufrage du bateau Le Joola.
Une façade blanche, sans inscription. Un portail d’un noir luisant, bloqué par une brique orpheline qui semble symboliquement monter la garde. A l’intérieur, des tombes anonymes et une nature qui reprend ses droits là où la main humaine est longtemps restée absente.
Deux rangées d’eucalyptus, ragaillardies par l’hivernage, donnent l’impression d’accompagner la marche silencieuse vers ceux et celles dont la mémoire est à jamais liée à l’histoire douloureuse du Sénégal. Au sol, signe que les pas ici sont très rares, feuilles mortes et touffes d’herbes fraîches se côtoient ; le mort se rappelle au vivant quand un souffle de vent fait par moments, bruisser les premières et danser les secondes. A part ces rares frémissements et le chant des oiseaux, tout ici n’est que silence et absence.
La piste s’ouvre sur un espace plus grand. Un groupe d’oiseaux troublés dans leur quiétude s’envolent. C’est là que doivent se poser la mémoire, le recueillement, sur chacune de ces tombes blanches. La peinture a perdu quelques couches par endroits, et les herbes tapissent les tombes. Les plus folles se dressent au chevet des sépulcres. Si le naufrage du Joola reste ancré dans l’histoire, ce cimetière, lui, semble sommeiller dans l’oubli. Dehors, sur la Rn1, la vie suit son cours, et elle le fait à grande vitesse.
19 septembre 2022
En ce jour, le Cimetière des naufragés du Joola a retrouvé son nom. Les lettres noires sont à nouveau lisibles sur le fronton blanc qui surplombe la porte d’entrée. Selon les fleuristes installés en face, de l’autre côté de cette partie de la Rn1, l’inscription a été refaite à deux jours du Magal de Touba, soit mardi dernier. «On se demandait quand les préparatifs allaient enfin commencer», commente le jeune Moussa. Une autre de ses préoccupations : savoir si le Président Macky Sall sera là pour la commémoration. S’il y a quelqu’un qui ne doit certainement pas être là, de l’avis de notre interlocuteur, c’est ce talibé, bol sous le bras, qu’il nous montre du doigt se faufilant à travers la porte entrouverte. «Personne ne garde les lieux. Les gens entrent comme ils veulent», dit-il.
Il est 14h. A l’intérieur du cimetière, on constate rapidement le passage récent de la main de l’homme. Les travaux ont commencé. La longue piste qui mène aux tombes a été débarrassée de toute la verdure sauvage qui la jalonnait encore il y a quelques jours. Au bout de cette piste, un sac à dos, qui laisse entrevoir la manche d’une machette, signale a priori la présence de travailleurs.
Sous l’ombre d’un des arbres, se trouvent deux jeunes hommes : l’un couché sur le dos, l’autre, le regard rivé sur son smartphone. Devant eux, des houes au repos et les signes visibles de leur labeur. Des monticules d’herbes se distinguent çà et là. La terre garde encore, par endroits, les stigmates du passage des lames et des racines arrachées. «Nous nous reposons un peu. Nous avons commencé le travail ce matin. On nous a juste demandé de désherber. Nous sommes 3. L’autre est sorti. Dans 2 ou 3 jours, je pense que nous aurons fini», fait observer El Hadj dont le «on» désigne ici ceux qu’il appelle «les propriétaires des lieux».
Plus l’on se rapproche de la date anniversaire, plus les lieux de mémoire et de recueillement sortent de l’oubli et refont peau neuve. L’année dernière, Me Sidiki Kaba, qui présidait, en sa qualité de ministre de Forces Armées, la cérémonie de commémoration de l’an 19 de la tragédie, avait annoncé un «soutien exceptionnel du chef de l’Etat pour l’entretien des cimetières» : une enveloppe d’une dizaine de millions de francs Cfa.
Nous sommes à 24 heures de la commémoration du 20ème anniversaire du naufrage. Les habituels coups de pinceau, qui revêtaient les tombes et le muret d’un blanc immaculé pour une saison, n’ont pas encore été passés. Peut-être ne le seront-ils pas cette année. Il est 14h. Assis de l’autre côté de la route, non loin du cimetière, le vieux Ousmane Diop veille sur ses plantes. Si la peinture n’est pas refaite à cette heure, je doute qu’elle le soit. D’habitude les opérations d’embellissement étaient faites quelques jours avant l’événement», affirme celui qui souligne avoir fourni les premiers plants pour l’embellissement du lieu de recueillement il y a de cela plusieurs années. «J’étais en route pour le Nord quand le drame a été annoncé à la radio. Ça ne s’oublie pas», poursuit-il. Pour lui donc, si les travaux n’ont pas la même ampleur par rapport aux années précédentes, il ne s’agit certainement pas d’un oubli, mais peut-être d’une négligence. Il suggère par ailleurs que le fronton soit élargi : «L’inscription pourrait être plus imposante. Et pourquoi pas une image du bateau ? Cela parlerait peut-être plus aux passants.»
Par Abdoul Rahim KA