Gestionnaire du salon de coiffure «Wara Watt» : La reine des rois
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Des coiffeuses, on en voit tous les jours. Mais une femme qui ne coiffe que les hommes est rare au Sénégal. Passionnée de la coiffure pour hommes depuis l’enfance, Khady Sall Thiam a réussi à se faire une place dans un milieu généralement dominé par les hommes.
Babacar sort du salon avec un large sourire. La tête est bien rasée et la barbe bien taillée. Habitant de Grand-Dakar, il est un fidèle client du salon «Wara Watt». Situé à Niari-Tally, non loin de la Sénégalaise des eaux (Sde), «Wara Watt» est l’un des salons les plus célèbres du quartier. Depuis quelques années, Babacar se fait coiffer par Khady Sall Thiam, l’une des rares femmes qui s’adonnent à la coupe masculine. Khady ou «Khady Wara Watt», comme on l’appelle affectueusement, n’est pas novice dans ce milieu. Elle le faisait depuis toute petite : «Mes cousines et moi avions l’habitude de jouer à ça. Très jeunes, la coiffure nous passionnait et nous le faisions très bien.» Une passion qui a empêché Khady de faire de longues études. Même avec son look de bureaucrate, Khady n’a pas fini l’école primaire : «Je me suis arrêtée à la classe des stars quoi (elle rigole), c’est-à-dire Cm2», poursuit-elle ironiquement. Cependant, ce bref passage sur les bancs ne l’empêche pas de bien se débrouiller dans la langue de Molière.
Avec sa petite taille, Khady a fait du chemin pour être aujourd’hui l’une des meilleures coiffeuses de Niari Tally. Elle ne s’est pas limitée à la passion qu’elle avait pour le métier. Khady a très tôt su que, pour se faire respecter dans ce milieu, il fallait faire une formation : «J’ai fait deux ans de formation au Palais de la beauté. D’ailleurs, c’est là-bas où je me suis spécialisée dans la coiffure pour hommes», a-t-elle confié. Et Khady de poursuivre : «On faisait de la coupe pour hommes même si notre formation était essentiellement pour la coiffure des femmes. Un jour, un de nos professeurs nous a dit que le milieu de la coiffure est très saturé au Sénégal et surtout envahi par des non-professionnelles. Il nous a conseillé de faire quelque chose de diffèrent à la fin de notre formation.»
Un conseil que Khady a bien retenu. Alors qu’elle aimait déjà la coiffure pour hommes, elle décide, après l’obtention de son diplôme de fin de formation, de travailler dans les salons de coiffure pour hommes.
Un choix qui était difficile à cette époque. Sa famille n’était pas trop d’accord pour cette option. «C’est une de mes tantes qui a payé ma formation. Elle disait que c’était un gâchis et qu’elle ne comprenait pas mon choix», confie-t-elle. Cependant droite dans ses bottes, Khady continue de se battre pour réaliser son rêve. Tout commence avec «Daraay Watt» en 2004, un salon de coiffure géré par ses amis. Elle faisait la coupe aux enfants pour s’améliorer. Après quelques années d’expérience, Khady est aujourd’hui une professionnelle en la matière. Elle travaille depuis 2015 avec son patron Pape Sarr, plus connu sous le pseudo de Packo. Ce dernier a fait appel à elle pour la rejoindre au salon «Wara Watt». Selon Packo, «Khady est très professionnelle. Elle prend très au sérieux son travail et, surtout, attire les clients». C’est peut-être son beau sourire, caractérisé par des dents toutes blanches, qui justifie les nombreuses visites de clients.
La majorité des clients préfèrent se faire coiffer par Khady. Ce qui n’a pas toujours été le cas. «Au début, c’était très difficile. Les gens qui venaient n’acceptaient souvent pas de se faire coiffer par une femme. Ils n’avaient aucunement confiance en moi, et parfois ça me faisait mal. Mais je me disais que tout choix impose un sacrifice et que si je travaille bien, ils verront un jour que je suis plus douée que beaucoup de coiffeurs», explique-elle avec un ton très bas.
Les lunettes bien fixées sur le nez, Khady est une femme très courageuse et qui, pour défendre ce qu’elle veut, se bat corps et âme. «C’est une vraie battante, témoigne sa petite sœur, Ndeye Toulane Thiam. Au début, personne ne comprenait ce qu’elle voulait faire. Malgré la pression familiale, elle a poursuivi sa passion et aujourd’hui on est fiers de dire partout que Khady «Warra-Watt» est notre sœur», lâche sa frangine avec un grand sourire. Les hommes qui fréquentent le salon ont beaucoup de respect pour elle. «C’est une brave femme», confie Pape, un des clients de Khady. «Elle est très douée et elle arrive toujours à nous satisfaire. Et le plus important, c’est qu’elle arrive à communiquer avec tout le monde», poursuit-il.
Khady travaille de 10 heures à 23 heures. A l’approche de certaines fêtes comme la Tabaski, elle passe des nuits entières à satisfaire ses nombreux clients. Malgré ses horaires très chargés, Khady prend toujours le temps de bien s’occuper d’elle-même comme toutes les femmes. Très belle avec son teint caramel, Khady s’habille comme une femme d’affaires. Elle aime les belles robes, les jeans, les jupes et les pantalons taille basse. Son doux parfum vous taquine sensiblement les narines, même à une certaine distance.
Très ambitieuse, Khady n’a qu’un rêve aujourd’hui : avoir son propre salon pour former d’autres jeunes filles à la coupe masculine. «Je veux vraiment former d’autres jeunes filles à la coupe. Certaines veulent le faire mais elles pensent que c’est un métier réservé aux hommes ou que c’est juste trop difficile», affirme-t-elle. Et Khady de poursuivre : «Je ne pense pas qu’il y ait des professions réservées uniquement aux hommes ou aux femmes. Tout est question de passion à mon avis.»
A côté de la coiffure, Khady gère aussi son petit commerce. Elle vend des parfums et du lait de corps pour les hommes, en particulier. Elle n’est pas pleine aux as mais gagne bien sa vie et aide sa famille. Célibataire et sans enfants, Khady est toujours à la quête de son âme sœur. Elle vit seule en ce moment, malgré toute sa beauté. Ce qui est peut-être lié, selon sa sœur Ndèye Toulane, à sa «forte personnalité». «Khady est aussi très compliquée», révèle-t-elle. Tout en rigolant Khady jure qu’elle n’est pas difficile. Mais elle veut bonnement «se faire respecter»