Par Abdoulaye KAMARA – Birkama est un village de la commune de Djibanar (département de Goudomp). En campagne électorale au début des années 50 pour l’élection des députés de l’Assemblée nationale constituante de la République française, Léopold Sédar Senghor a recueilli des bénédictions des populations de ce village du Balantacounda sous l’ombrage de 3 arbres mythiques qui ont depuis cette date porté son nom. Découverte de ces «taba cordifolia», appelés en langue balante «Mbou na Senghor».

Il y a toujours eu un attachement atavique du monde rural aux legs des anciens, surtout quand ils (ces legs) ont une charge mythique et mystique parlante, qui défie le temps. Mais dans le village de Birkama, commune de Djibanar (département de Goudomp), les populations ont leur manière d’apporter la preuve de leur attachement aux arbres qui portent, encore, le nom du premier Président de la République du Sénégal. Arbres sous lesquels Léopold Sédar Senghor, alors candidat à l’élection des députés de l’Assemblée nationale constituante de la République française, a recueilli des prières qui lui ont porté bonheur par la suite. Au nombre de 3 depuis des temps immémoriaux, 2 sont toujours debout, majestueux, verdoyants, au feuillage touffu.
Hauts sur près de 15 m, rien dans l’environnement immédiat de ces arbres dont le nom scientifique est cola cordifolia («taboo» en langue mandingue et «mbouwé» en balante) ne rappelle leur histoire glorieux et valorisant pour ce village de la province du Balantacounda (région de Sédhiou). Les lieux, densément enherbés, ne portent aucune manifestation d’une attention quelconque. Rien ne les distingue des manguiers alentours, presque tous à l’état sauvage, distants des habitations de quelques centaines de mètres, ainsi que de la grande mosquée du village et d’une école franco-arabe. Toutefois, il y a une éclaircie à ce tableau sombre : le feuillage et le tronc de ces arbres mythiques sont bien propres, débarrassés par la pluie de la poussière, des impuretés et des fientes des oiseaux. Et puis, selon Diélany Diatta, ancien instituteur, «après la saison des pluies, les lieux seront nettoyés et bien propres. Tu pourras même y étaler une natte pour y passer la journée», a-t-il fait comprendre. D’ailleurs, poursuit-il, «c’est sous ces arbres que tout le village se réunit pour l’office des 2 raka’as de la Korité et de la Tabaski».

Léopold Sédar Senghor en campagne électorale
Samedi 15 septembre 2024. Le ciel n’arrête pas d’ouvrir ses vannes tout au long de la journée sur Birkama, 55 km à l’est de Ziguinchor. La route qui mène au quartier Potapothie porte les stigmates des hivernages pluvieux, avec au milieu une rigole serpentée qui laisse encore couler l’eau de pluie (plusieurs heures après) depuis la Rn6 jusqu’aux «Mbou na Senghor», le nom balante des «taba» qui portent le nom du défunt président de la République du Sénégal. De part et d’autre de la rigole, de l’herbe humide règne en maître. L’austérité des lieux, l’humidité ambiante, le calme plat flirtent mal avec l’histoire que l’on raconte sur ces arbres mythiques, centenaires, ces «Mbou na Senghor».
Diélany Diatta, instituteur à la retraite, lève un coin du voile sur les «Mbou na Senghor». Dans un français châtié et avec l’aisance d’un historien de métier, l’ancien président de la communauté rurale de Djibanar raconte : «En campagne électorale pour l’élection des députés représentants le Sénégal à l’Assemblée nationale constituante de la France, Léopold Sédar Senghor est arrivé en Casamance. Après le village d’Anéane, il a fait escale à Goudomp. Là, Senghor a eu comme principal tuteur le patriarche de la famille Seydi de l’époque, feu Doudou Seydi en l’occurrence. Après les speechs, celui-ci lui recommanda de se rendre dans le village de Birkama, à 3 km de là, pour recueillir des prières.»
Septuagénaire aux yeux globuleux, au sourire d’adolescent et qui ne porte pas son âge, il poursuit : «C’est de ce village que l’ancêtre des Seydi du village de Goudomp a transité avant de s’installer définitivement à Goudomp sur recommandation des prêtresses, gardiennes des «tabas», pour le bonheur de sa descendance.» Ce que fit Demba Woury Seydi, du nom de l’ancêtre de feu Idrissa Seydi (ancien Pca de la Sgbs) et de Thierno Seydi, agent de footballeur. L’historien de circonstance ajoute : «Il y a 3 «tabas». Chacune des confessions musulmane, chrétienne et animiste a un arbre pour ses offices et cultes. Evidemment, Senghor a reçu ses bénédictions sous l’arbre dédié aux disciples du Christ.
Quand Senghor est parti, les notables ont décidé de donner à la place le nom du futur député du Sénégal à l’Assemblée nationale constituante de la France, notamment à ces 3 arbres qui forment un triangle.
Cela donne «Mbou na Senghor» en langue balante ou les «tabas de Senghor». «Taba» se traduisant en balante par «Mbouwé» au singulier et «Mbou» au pluriel, donc les «Tabas de Senghor».»
Aujourd’hui, le «taba» des animistes a quitté les lieux pour rejoindre le monde des esprits. Peut-être a-t-il compris que cette religion est en voie d’extinction dans le Balantacounda, recevant de moins en moins de fidèles sollicitant ses bénédictions et prières.
Mais le premier chef de l’Etat du Sénégal indépendant ne saura jamais que quelque part au Sénégal, un lieu de recueillement, de mythes animistes, chrétiens et musulmans, de réalisation de vœux et prières porte son nom. Diélany Diatta : «J’avais voulu le rencontrer en 1978, alors que Senghor était en campagne électorale pour l’élection présidentielle du Sénégal, et lui donner l’information. C’était à Vélingara, quand j’étais jeune instituteur dans le village de Sinthiang Coudara. Mais en vain.»

Ces autorités politiques qui sont passées par «Mbou na Senghor»
Les généreux esprits, chrétien et musulman (l’animiste étant parti dans l’au-delà), n’ont pas encore abandonné les 2 arbres mythiques et mystiques du quartier Potapothie de Birkama.
Ils continuent à être fréquentés à l’occasion, à recevoir des gens en quête de promotion, d’emploi ou de réussite dans des projets ou entreprises, et faire valider, par les dieux, leurs volontés et souhaits. Les exemples d’autorités politiques de la région qui sont passées recevoir des prières en ces lieux sont légion, selon Diélany Diatta. Il renseigne : «J’en suis un exemple. Nous étions 3 hommes politiques de l’ancienne communauté rurale de Djibanar à recevoir en même temps des bénédictions et prières sous ces arbres. Il y avait l’actuel maire de Djibanar, Ibou Diallo Sadio, Ibou Mané et moi-même. Les oracles nous ont prédit que nous allions devenir tous des dirigeants de cette collectivité locale. La même année, je suis devenu le président de la communauté rurale, Ibou Mané le vice-président et puis Ibou Diallo Sadio est devenu le maire quelques années après.» Ce n’est pas tout : «Bala Moussa Daffé, ancien maire de Sédhiou, ancien ministre du Sénégal, est passé par là. Ce fut le cas aussi du premier député de Sédhiou, Ibou Diallo.» Aujourd’hui encore, les «Mbou na Senghor» reçoivent très souvent des hommes politiques, des élèves et étudiants, ainsi que des businessmen, pour une promotion politique, pour trouver un emploi ou encore pour la prospérité de leur business.
akamara@lequotidien.sn