La grève du Syndicat des transports routiers du Sénégal (Custrs) a eu un réel impact sur les travailleurs, les élèves, contraints de retourner chez eux ou casquer fort pour rejoindre le centre-ville. A l’image de toutes les autres agglomérations du pays, l’offre alternative de transport était assurée, à Dakar, par les charretiers et les thiaks-thiaks. Triste spectacle, pour une ville qui rêve d’émergence.Par Abdou Latif MANSARAY –

Retour au Moyen-âge… Hier, la capitale ressemblait à un vaste champ à labourer pour les charretiers. A cause de la grève du Syndicat des trans­ports routiers du Sénégal (Custrs), Da­kar est devenue subitement calme, débarrassée de son décor fait de cars rapides, Ndiaga Ndiaye et Tata. Au niveau des grands garages de la banlieue, ils étaient tous à l’arrêt, paralysant toutes les activités.
Il règne presque un silence partout, déchiré uniquement par les coups de sabots des chevaux et les légers bruits des motos. Sous le regard indifférent des chauffeurs et apprentis, les charretiers font le plein de passagers, mettant entre parenthèses leurs activités quotidiennes de ramassage d’ordures et transport de marchandises. Au Tournal Serigne Assane de Guédiawaye, arrêt très fréquenté, où passait une vingtaine de lignes de de bus, un monde fou est figé sur les trottoirs, zieutant l’arrivée des charretiers, qui ont augmenté très fortement les prix : de Guédiawaye à Pikine, il faut payer 1000 francs Cfa. Pour les courtes distances, il faut casquer au moins 500 francs Cfa. Cette situation exaspère les populations, qui dénoncent la voracité des nouveaux trans­porteurs. «A chaque fois, c’est la même situation que nous enregistrons. Les autorités du secteur du transport doivent mettre fin à ces grèves interminables», se lamente une dame. Aux marchés Bou Bess, Ndiaréme Limamou Laye, c’est la même ambiance : les charretiers hèlent les «clients», pris au dépourvu par cette grève pourtant annoncée depuis longtemps.
A Pikine, c’est l’effervescence. Les vendeurs, étudiants, élèves sont las d’attendre des véhicules. Quelques rares taxis stationnent pour offrir un trajet, à des prix exorbitants pour le centre-ville. «6000 F pour Dakar», propose un taximan. C’est la bousculade. On joue des épaules pour s’offrir un passage. Chanceux, quatre gaillards réussissent à se poser à l’intérieur : la course reviendra, à chacun, à 2000 F, alors que le prix du trajet, pour les taxis collectifs, était de 1000 F en temps normal. Au milieu du brouhaha, un autre chauffeur de taxi décide de hausser le tarif à 10 000 F. «Ils sont véreux. Comment peut-on être malhonnêtes jusqu’à ce point», enrage un jeune homme, tiré à quatre épingles. Il décide de rentrer, compose le numéro de son supérieur hiérarchique pour lui expliquer la situation. «Il est impossible d’avoir un véhicule et il est hors de question de se ruiner en ce début de mois. Je vais faire du télétravail», avance-t-il.
Il est 10 h à Bountou Pikine. Malgré les risques sanitaires, il n’y a pas de respect de la distanciation physique. Com­pacte, la foule est draguée par les conducteurs de thiaks-thiaks. Réservés en temps normal au convoyage de colis, ils font partie de l’offre de transport depuis plusieurs mois, comme si de rien n’était. En ce jour de grève, ils sont les rois et comptent bien en profiter. «Entre Bountou Pikine et Patte d’Oie, ils demandent 2500 F. C’est un abus», se lamente une jeune fille. «C’est la grève. C’est à prendre ou à laisser», balance le conducteur. Ici, les prix ont grimpé au détriment des usagers des véhicules de transport, détroussés dans les grandes largeurs. «Pour certains, c’est leur recette journalière. Je suis revendeur à Petersen, je ne pourrais pas aller travailler. C’est un manque à gagner terrible», regrette-t-il. «Cette grève, si elle était observée le weekend, ce serait mieux. Il y a des gens qui marchent des kilomètres pour se rendre dans différentes structures, sans penser à ceux qui ont des malades dans les hôpitaux. Heureusement, les bus Ddd sont en service, sinon la situation serait encore pire», soutient Pape Tine, trouvé à la station-service de Tally Bou Mack. Dépité par les conséquences de cette grève, un autre enchaîne : «Ça ne suffit pas. Un pays doit avoir un réseau ferroviaire très performant. Il nous faut des trains qui sillonnent toute la ville.» Le Ter est déjà sur les rails, en attendant le Brt.
A travers cette grève, les transporteurs dénoncent les tracasseries policières, la concurrence déloyale, avec notamment l’intervention des véhicules particuliers dans le secteur, l’insécurité des transporteurs, surtout au Mali, l’implication illégale, dans le transport, des voitures guinéennes gambiennes, le respect des accords conclus entre l’Etat et les syndicats, le retour aux prix des documents administratifs de transport routier pratiqués et des anomalies constatées au Centre de contrôle technique des véhicules automobiles (Cctva), avec la corruption, les multiples difficultés vécues dans la mise en œuvre du Règlement 14 de l’Uemoa.
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