Le prix de la liberté que demande le Dr Cheikh Kanté, revient à s’éloigner de la  route de la servitude, comme aurait dit Fréderic Hayek. La servitude chez Hayek est dans le planisme, l’Etatisme, le socialisme, alors que pour le Dr Kanté, qui réfléchit au niveau continental, elle est à l’image du paradoxe de Adam Smith dans le paradoxe africain, avec un continent qui a autant de richesses mais qui continue de «sombrer dans une pauvreté intergénérationnelle». Après le diagnostic de la pauvreté intergénérationnelle, le Dr Kanté propose un «nouveau départ», c’est-à-dire arrêter de «subir» pour «accomplir» le destin du continent qui doit cesser d’être un wagon qu’on tire ou une «arène de prospérité où s’affrontent les grandes puissances», comme au temps du Congrès de Berlin.

Dans le livre, l’auteur donne les chiffres du paradoxe africain de la pauvreté structurelle et intergénérationnelle, malgré l’aide au développement qui a dépassé les montants alloués au Plan Marshall pour l’Europe. Ces chiffres sont d’une clarté brutale, avec plus de «40% du taux d’extrême pauvreté dans le monde, 60% du 1 milliard 300 millions de pauvres en Afrique subsaharienne, et la 2e région du monde la plus inégalitaire d’après l’indice de Gini». Pour le Dr Kanté, si fasciné par Keynes, la cause de cette pauvreté chronique et intergénérationnelle, malgré le potentiel du continent, se trouve dans «l’inefficacité des modèles anciens», dans l’impact de «l’endettement nocif» du sous-investissement. Le Dr Kanté pose un débat très intéressant sur la dette, qui oppose les néoclassiques comme Schumpeter, Friedman et Hayek qui voient dans l’endettement un «impôt transféré courageusement» aux générations futures, et les keynésiens qui estiment que la dette peut être un levier si elle est judicieusement investie. En d’autres termes, «peut-on s’enrichir en s’endettant ?» Le Dr Kanté pense que oui, mais démontre que ce ne fut point le cas pour la dette africaine qui, si elle n’a pas été détournée, a plus servi à des dépenses non rentables.

Globalement, notre continent est en retard et l’objectif doit être le «rattrapage», à l’exemple de la Corée du Sud, qui avait le même revenu par tête d’habitant que la Côte d’Ivoire et le Sénégal en 1960. Ce retard s’explique, entre autres, par le manque d’industrialisation et une économie réduite à l’exportation des matières premières. Le Consensus de Washington (néolibéralisme avec Hayek, Friedman et Schumpeter), qui a inspiré la révolution conservatrice de Reagan et Thatcher, et ramené la croissance dans le Chili de Pinochet, a par contre montré ses limites en Afrique avec les plans d’ajustement structurel qui ont encore appauvri davantage le continent. C’est pourquoi le Dr Kanté propose le consensus de Dakar, en lieu et place de celui de Washington. Le consensus de Dakar se réclame de la filiation historique du Congrès de Bandung et veut un «nouvel ordre» où le continent ne serait plus à la périphérie, mais au centre, comme cherchent à le faire les Brics qui, selon Kanté, continuent l’esprit du combat de Bandung. Après Bandung, naquit le Tiers monde, qui est devenu un club africain parce que l’Asie et l’Amérique latine l’ont quitté pour le 1er monde, celui du développement et de l’émergence. Une des idées phares du consensus de Dakar est la création d’une agence de notation africaine, car estime le Dr Kanté, souvent la notation du continent relève plus de préjugés, d’idées reçues que de l’économie.

Le livre du Dr Kanté confirme René Dumont qui disait au moment des indépendances, que «l’Afrique noire est mal partie». Il semble également donner raison à Axelle Kabou (Et si l’Afrique refusait le développement), quand on voit le paradoxe et l’écart entre le potentiel du continent et son état actuel. Mais l’auteur, qui est un afro-optimiste réaliste, estime que les solutions sont dans les réformes que propose le consensus de Dakar, mais aussi dans la redécouverte et la réappropriation de la philosophie de Nkrumah, à qui l’auteur dédie son livre et qui nous dit dès les premières pages, que «nous ne nous tournons ni vers l’Est, ni vers l’Ouest, mais nous regardons vers l’avant». Le continent continue d’aller de l’avant malgré l’esclavage, la colonisation et le fait d’être mal parti, car l’Afrique ne refuse pas le développement. Elle cherche sa voie, et celle que propose le Dr Kanté mérite d’être explorée.
Dr Yoro DIA Politologue, ancien ministre