Le rapport d’Amnesty international sur les manifestations en Guinée entre octobre 2019 et juillet 2020 est accablant. Le document, rendu public hier par cette organisation de défense des droits humains, fait état d’au moins 50 personnes tuées en toute impunité, des blessés par balles, des arrestations arbitraires. Pour mettre fin à cette situation, Amnesty a lancé une campagne contre l’impunité en Guinée, dans laquelle elle demande des poursuites contre les responsables de ces actes.
Au moins 50 personnes tuées en toute impunité dans des manifestations en moins d’un an, des blessés par balles qui se cachent par peur de représailles, des corps de certaines personnes décédées refusés dans les morgues des hôpitaux publics. Ce sont les principales conclusions du rapport d’Amnesty international sur la Guinée. Le document publié hier, soit à deux semaines de l’élection présidentielle dans ce pays, revient sur les conséquences de «la répression des manifestations en Guinée, en particulier celles contre la réforme constitutionnelle permettant au Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat». Intitulé «Marcher et mourir : Urgence de justice pour les victimes de la répression des manifestations en Guinée», le rapport présenté hier, lors d’une conférence de presse, «documente la responsabilité des forces de défense et de sécurité, associées parfois à des groupes de contre-manifestants, dans des homicides illégaux de manifestants et de passants entre octobre 2019 et juillet 2020». Ainsi, à travers des témoignages et l’analyse de documents, les chercheurs de cette organisation ont fait état de «200 blessés, d’arrestations et détentions arbitraires et au secret d’au-moins 70 personnes pendant la même période». Selon eux, «par peur de représailles, plusieurs blessés par balles ont fui leur domicile». Le rapport renseigne également que «des autorités hospitalières ont aussi refusé d’accueillir les corps de victimes tuées lors de certaines manifestations».
Lors de la conférence de presse, le chercheur, Fabien Offner, a fait savoir que les autorités ont «agi en contradiction avec les normes nationales et internationales». Sur la question du maintien de l’ordre par exemple, il informe que des militaires ont été déployés à Conakry et à Labé ces derniers mois. Selon lui, «c’est contraire à la loi sur le maintien de l’ordre de 2015 qui explique que dans le cadre du maintien de l’ordre public, c’est la gendarmerie et la police qui doivent être déployées».
Il y a eu aussi l’usage excessif de la force notamment avec le port d’armes létales par les forces de défense et de sécurité lors de ces manifestations. D’après M. Offner, ces armes ne doivent être utilisées par les forces de défense et de sécurité que quand leur vie ou celle des autres est en danger. Mais constate-t-il pour le regretter, malgré les preuves avec les vidéos et les témoignages, il y a le déni des autorités guinéennes. Autre aspect noté par le chercheur, c’est que les «homicides illégaux ont été commis dans les routes secondaires où les manifestations pacifiques peuvent dégénérer en violence». Amnesty international a également constaté qu’il y avait des «agents encagoulés, des voitures de forces de défense et de sécurité banalisées».
Campagne de lutte contre l’impunité en Guinée
A côté de ces violations des droits de l’Homme, des meurtres et des arrestations arbitraires, il y a aussi la question de l’impunité qui demeure toujours en Guinée. Selon Fabien Offner, «les enquêtes ne sont pas ouvertes et les autorités ont tout fait pour que les corps de personnes tuées par balles ne soient pas acceptés dans les hôpitaux ni dans les morgues». Dans ses explications, il souligne que «les autorités se sont basées sur un texte de loi qui explique que dans le cadre d’un meurtre, un officier de la police judiciaire doit être sur place avant de récupérer le corps». Et M. Offner d’ajouter : «Dans le cadre d’un assassinat c’est compréhensible mais dans le cadre d’une manifestation c’est quasiment inapplicable, les gens se font tirer dessus, ils sont en train de mourir, la logique c’est de les amener à l’hôpital pour voir s’il est possible de les sauver.»
La conséquence de cette pratique, informe-t-il, c’est l’absence d’autopsie pour les besoins de l’enquête. Autre conséquence notée par le chercheur, c’est que «des corps n’ont pas été comptabilisés», du coup, «le bilan est inférieur par rapport à ce que Amnesty et d’autres organisations ont compté».
En publiant ce rapport, Amnesty a lancé une campagne contre l’impunité en Guinée. Selon la Directrice régionale d’Amnesty international pour l’Afrique de l’Ouest, Samira Daoud, «il faut que les forces de défense et de sécurité, responsables de ces homicides ou actes de torture, soient poursuivies». Elle demande aussi l’ouverture du procès «du massacre du 28 septembre» il y a 11 ans. Amnesty veut aussi que les blessés lors des manifestations soient pris en charge et indemnisés. L’organisation de défense des droits humains recommande par ailleurs la conformité des lois sur l’usage de la force avec la pratique. «Les autorités guinéennes doivent respecter les principes de base sur le recours à la force et sur l’utilisation des armes», a déclaré la directrice du Bureau régional d’Amnesty international pour l’Afrique de l’Ouest.