Le gouvernement sénégalais, son chef en tête, comme annoncé et le stipule le règlement, s’est retrouvé donc face aux députés la semaine passée. Au final, on en retient grosso modo que le Premier ministre ne travaille pas pour le chef de l’Etat avec lequel il n’a aucun problème, mais pour la République du Sénégal ; que la fameuse dette cachée, selon le ministre de l’Economie, ne devrait même pas faire l’objet d’un débat puisque notre cher Etat honore ses engagements jusque-là.
Première nouvelle que nous balance le «meilleur Premier ministre de tous les temps» de Bassirou Diomaye Faye avec des trémolos dans la voix : nous avons une Armée et, plus globalement, des Forces de défense et de sécurité dignes de confiance, qui nous permettent de dormir sur nos deux oreilles pendant que leurs semblables des pays voisins fomentent coup d’Etat sur coup d’Etat…
D’ailleurs, il y en a un, chez nos voisins du Sud, à Bissau, qui vient de se perpétrer. Alors que la terre entière attend les résultats de la Présidentielle en cours, patatras, des bidasses en folie qui forment la garde rapprochée du Président sortant, pénètrent au Palais et annoncent au chef de l’Etat qu’ils viennent le déposer sans autre forme de procès : et c’est Umaru Sissoco Embaló, le Président déchu, qui nous annonce le scoop avec des accents trop heureux pour être honnêtes…
Un chevronné correspondant de Reuters ne ferait pas mieux pour narrer par le menu la conjuration.
Une affaire délicate qui voit notre pays, via la présidence de la République, en voisin de bonne compagnie, affréter un avion pour sauver le soldat Embaló, mais surtout nos relations avec notre turbulent voisin, lequel en serait à son neuvième coup d’Etat ou ce qui y ressemble. Parti pour Brazzaville, Embaló laisse derrière lui un pays angoissé où des encagoulés armés se seraient emparés de la plupart des urnes de la Présidentielle, rendant de la sorte le décompte impossible.
Quant à son adversaire, Fernando Dias da Costa, le candidat de l’opposition, auquel on prête une razzia dans les urnes, qui se déclare vainqueur de ce scrutin, il trouvera un point de chute au Nigeria. Ç’aurait pu être pire : on a connu des putschs bien plus sanglants…
C’est sans doute cela, le coup d’Etat par intelligence artificielle : aucune effusion de sang…
Bien entendu, le «meilleur Premier ministre de tous les temps» du Président Diomaye Faye, devant une Assemblée nationale pratiquement acquise à sa cause, avec sa proverbiale délicatesse et sa légendaire finesse d’analyse, lapidaire, expliquera l’imbroglio bissau-guinéen en une phrase : «C’est une combine»… Certes, la ficelle est bien grosse, surtout lorsqu’on apprend que les «putschistes» préfèrent comme Premier ministre du gouvernement de Transition chargé de rétablir l’ordre constitutionnel, le directeur de campagne du candidat Embaló.
Ce monde est décidément trop petit.
Retour dans l’Hémicycle de la Place Soweto, où le gouvernement fait face à un Parlement qui ne s’émeut presque pas de la situation économique actuelle. Certes, l’affaire du compte où mille milliards de nos misérables francs Cfa roupillent clandestinement depuis l’ère Macky Sall vient de se résoudre : la tête de liste Pastef aux Législatives de novembre 2024 parle alors d’un compte du Trésor public où l’on relève des mouvements de près de mille trois cents milliards de francs Cfa…
Conclusion : c’est l’opinion qui a seulement mal compris.
Si ce n’était que ça… Mais non, mieux, nos magistrats, ces monuments d’intégrité, surchargés de travail, que les justiciables pressent comme des citrons, nous révèle le chef du gouvernement, ne doivent pas être bousculés. Le temps de la Justice, c’est connu, n’est pas le temps des politiques. L’Exécutif, à l’en croire, respecte scrupuleusement la séparation des pouvoirs et se plie aux édits des juges.
Ben si, c’est bien ça : pas la peine de se frotter les yeux…
D’ailleurs, même lui, alors opposant qui dénonce depuis des années des scandales financiers, que dis-je, des crimes économiques, en est une des victimes, avec le rabat d’arrêt de la Cour suprême qui clôt son dossier face à Mame Mbaye Niang. Il serait même question de son inéligibilité pour 2029.
Mais il ne désespère pas de retourner la situation : ses avocats auraient une botte secrète, une ultime carte dans la manche, le coup d’estoc. On retient notre souffle en attendant que notre sort se décide à partir d’un casier judiciaire lavé à grande eau ?
En résumé, c’est le destin du Sénégal qui se jouerait…
Autre terrain où l’avenir de notre démocratie se joue : l’université de Dakar qui entre en ébullition depuis quelques jours parce que le paiement des bourses tarde pour certains. Jets de pierres sur la Corniche et l’avenue Cheikh Anta Diop contre lacrymogènes, après le concert de casseroles. Les Forces de l’ordre sont autorisées à pénétrer dans le campus pour y rétablir le calme et la tranquillité qui siéent à un temple du savoir au fronton de l’entrée duquel il est gravé depuis plusieurs décennies : «La lumière est ma loi.»
Reconnaissons tout de même que l’obscurantisme y prend ses quartiers depuis pas mal de temps.
Voilà donc ce que l’école sénégalaise nous produit : des étudiants qui, pour réclamer leur dû, n’ont pas de meilleure idée que caillasser les automobiles et sans doute saccager les magasins alentours. La force brutale face à un régime qui, reconnaissons-le, lorsqu’il est encore dans l’opposition, use et abuse des concerts de casseroles, de la bagarre de rue, des insultes courageusement anonymes sur les réseaux sociaux et des déclarations fracassantes qui finissent par des condamnations pour diffamation.
En résumé, du «gatsa-gatsa» : un prêté pour un rendu ?
Par Ibou FALL