En Guinée-Bissau, le rôle de l’Armée, toujours présente dans la vie politique de ce pays de 1,8 million d’habitants, a toujours été une source d’inquiétudes aussi bien en période pré-électorale que post-électorale. L’élection de Umaro Sissoko Embalo, vue comme un signe de la consolidation de la démocratie bissau-guinéenne enclenchée depuis l’accession de Jose Mario Vaz à la tête de ce pays, est loin de dissiper l’angoisse de certains observateurs politiques. Il reste que l’immixtion de l’Armée dans la vie politique constitue une réelle menace.
L’élection de Umaro Sissoko Embalo marque-t-elle la fin de l’hégémonie de l’Armée dans la vie politique bissau-guinéenne ? Actrice de l’indépendance de ce petit pays de 1,8 million d’habitants, situé au sud du Sénégal, elle garde toujours son poids. Ce qui lui confère un statut particulier. Le correspondant de Rfi à Bissau est formel : «La Guinée-Bissau a une Armée atypique issue d’un mouvement d’indépendance, d’une rébellion et qui a raté son passage vers une Armée républicaine.» Et la spécificité de cette Armée, croit savoir Alain Yero Embalo, est qu’il y a beaucoup plus d’officiers que de soldats. Ce qui pose, dit-il, un problème de commandement. «Actrice de l’indépendance de la Guinée Bissau en tant que mouvement de lutte, cette Armée pense qu’elle a également son mot à dire sur tout ce qui se passe dans le pays. Ce qui fait que le militaire n’est pas un homme à part, mais plutôt un militant en uniforme», a-t-il indiqué. Et de poursuivre : «Etant un militant en uniforme, le militaire bissau-guinéen pense qu’il doit de ce fait participer à la vie politique du pays.» Et cette participation, de l’avis du journaliste, se fait parfois sans partage. Ce qui explique, note-t-il, le poids que les militaires ont sur les décisions qui concernent le pays. Mais le comble, ajoute Alain Yero Embalo, est que quand une décision ne les arrange pas, ils se révoltent avec un instrument que les autres n’ont pas, leurs armes. Ce qui est déjà un problème. Et pis, «les débats au sein des partis politiques, notamment le parti historique, le Paigc, se font le doigt sur la gâchette parce qu’il y a quelque part un militant en uniforme et qui a comme instrument de travail son arme. Et généralement quand on a le doigt sur la gâchette, on enlève les obstacles à coup de Kalachnikov». Ce qui explique ces dizaines de coups d’Etat réussis ou pas en Guinée-Bissau.
L’observateur politique bissau-guinéen se réjouit toutefois la mise en place de certaines réformes préconisées aussi bien par des experts de la Cedeao que ceux de l’Union européenne qui ont travaillé avec des locaux pour aboutir à celles-ci. Ce qui devrait conduire à une réduction des effectifs pléthoriques de l’Armée. «On constate qu’il y a 5 000 hommes sous le drapeau, mais en réalité il y a 2 voire 3 fois plus. Et si on prend ce nombre par rapport à celui des habitants, on se rend compte que le ratio est beaucoup plus important en Guinée-Bissau qu’un peu partout dans la sous-région. Et ce, par le simple fait qu’on a 4 à 5 militaires pour 10 mille habitants alors qu’ailleurs c’est 1,5 ou 2 militaires pour 10 mille habitants», a-t-il justifié.
Par ailleurs, rappelle-t-il, les soubresauts politiques «que le pays a connus ont fait qu’il y avait de plus en plus la nécessité d’intégrer des hommes, des hommes qui quittent par la suite l’Armée, s’ils ne trouvent pas le boulot qu’il faut». Il cite les dernières études faites sur l’Armée bissau-guinéenne qui ont montré «qu’en dehors de ceux qui sont sous le drapeau, il y au moins 200 mille hommes qui savent au moins manier une arme». «Cela est un danger permanent pour la démocratie et pour le pays», déclare-t-il. Que faire ? «Si on ne dégraisse pas cette Armée, si on ne les conscientise pas et qu’on ne trouve pas de débouchés pour ceux qui sortent des casernes, il y aura toujours des problèmes en Guinée-Bissau», poursuit Embalo. Il estime que «toutes ces crises à répétition en Guinée-Bissau expliquent que ces problèmes cruciaux n’ont pas été réglés». «Et c’est dire donc qu’il va falloir faire des réformes qui vont passer d’abord par l’harmonisation entre les différents groupes ethniques dans l’Armée où environ 70% de l’effectif sont de l’ethnie balante et 85% des officiers supérieurs appartiennent à ce même groupe ethnique. Il faut un équilibre qui va passer par des études, la sensibilisation qui sera colorée par une réforme pour cette Armée», espère le journaliste Alain Yero Embalo.