M. Umaro Sissoko Embalo s’est finalement auto-investi aux fonctions de président de la République de Guinée Bissau le jeudi 27 février. La cérémonie s’est déroulée dans un hôtel très bien sécurisé, en présence des membres de partis politiques qui ont soutenu sa candidature et des chefs de l’Armée. Après la cérémonie d’investiture de M. Umaro Sissoko Embalo, le Président José Mario Vaz a remis les clés du Palais à son nouveau locataire. Dans la foulée, M. Sissoko Embalo a nommé un nouveau Premier ministre, en la personne de M. Nuno Na Biam. Le camp de Domingos Simoes Preira a pris le sens opposé. Il parle de coup d’Etat. Les députés du Paigc se sont réunis à l’Assemblée nationale et ont investi M. Cipriano Cassama comme président par intérim, en attendant la décision du Suprême tribunal sur le contentieux postélectoral, précisent-ils. La Guinée Bissau avait donc deux Présidents : «Um na Palacio, Um na casa, pa acelera disenvolvimento di no terra» (l’un au Palais, l’autre à la maison, pour accélérer le développement de notre pays), ironisent les Bissau Guinéens. Mais le lendemain, M. Cipriano Cassama jette l’éponge et reprend ses fonctions de président de l’Assemblée nationale au motif que sa vie, celle de sa famille et celle de son entourage seraient menacées. Pour les mêmes raisons de sécurité, le Premier ministre Aristides Gomes se serait réfugié à l’ambassade de France. Les fonctionnaires ne savent que faire, en effet, M. Nuno Na Biam leur demande de rejoindre leurs bureaux, alors que Aristides Gomes leur demande de rester à la maison. Quant au président du Suprême tribunal de justice, il aurait trouvé refuge au Portugal. Voilà résumée la situation atypique du pays. Apparemment, les institutions de l’Etat de la Guinée Bissau sont en veilleuse. En dehors du nouvel Exécutif (le Président et son gouvernement), rien ne semble fonctionner. Le Suprême tribunal de justice est fermé. Les membres du bureau de l’Assemblée nationale sont en train de se tourner les pouces. La radio nationale et la télévision, pour n’avoir pas couvert l’investiture de M. Sissoko Embalo, avaient été fermées, avant d’ouvrir leurs portes quelques jours après. La presse privée reste prudente. La Société civile est muette. Le citoyen lambda, épuisé par cette absurde crise postélectorale, vaque à ses affaires, la peur dans le ventre, mais l’humour à la bouche, comme oxygène de survie.
L’auteur de cette opinion est un membre du Fling, seule formation politique, dont les militants ont été persécutés, torturés, sommairement exécutés et souvent jetés dans des fosses communes au lendemain de l’indépendance de la Guinée-Bissau, parce qu’ils défendaient le pluralisme d’opinions parce qu’ils étaient contre un parti-Etat qui défendait une idéologie en béton. Nous ne roulons donc pas pour M. Umaro Sissoko Embalo, ni pour M. Domingos Simões Preira. Les deux étaient membres du Paigc, avant de se séparer pour des raisons que nous ignorons. Mais nous plaidons pour la Guinée Bissau. Nous voulons que ce pays soit une vraie République. Or la conception républicaine du pouvoir exige une norme supérieure que tous les citoyens doivent respecter. Dans l’ancienne république romaine, quand un consul montait au capitole le jour de son triomphe, on plaçait derrière lui un fonctionnaire qui, à chaque instant, lui disait ceci : «N’oublie pas que tu n’es qu’un homme !» Une manière de lui rappeler que le fait d’être honoré, tapis rouge sous les pieds, ne signifie pas qu’il soit d’une essence ou d’une espèce supérieure à celle des autres. La République repose sur l’égalité des citoyens. Elle s’oppose à l’autocratie qui est un régime politique, à la tête duquel se trouve un tyran qui dirige l’Etat sans contrôle. Nous luttons également pour la consolidation d’une vraie démocratie qui fait du Peuple le seul dépositaire du pouvoir. Elle exige que les gouvernants soient toujours choisis au suffrage universel. C’est dans un régime démocratique qu’on peut dire qu’un Peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite, puisque c’est lui qui les choisit. Mais toute démocratie sans culture républicaine peut conduire à un régime capable de la détruire. Et nous voilà au cœur de la politique, au sens noble du terme, qui est un combat permanent pour le bien-être social d’un Peuple.
L’engagement politique exige toujours une vision et un langage de vérité même si, comme le souligne Jean Jacques Rousseau, cette vérité ne mène pas à la fortune. La vérité ne doit pas être comprise au sens scientifique d’une quelconque réalité dont, sur le plan expérimental, il serait possible de démontrer. Personne n’aurait l’outrecuidance de prétendre connaître cette vérité, si tant est qu’elle existe et qu’elle soit unique pour la mettre en pratique. La vérité, pour un homme politique, est synonyme de respect des faits et de la parole donnée. En effet, les institutions d’un pays ne peuvent être crédibles que si elles sont incarnées par des citoyens eux-mêmes crédibles et qui respectent la parole donnée. Si son discours n’est pas un prétexte de sa part pour satisfaire une ambition crypto personnelle, s’il ne cherche pas à tromper le citoyen-électeur, s’il ne souhaite que son adhésion à un projet de société auquel lui-même croit, alors ce que dit l’homme politique est vrai, car son intention est de réaliser ce qu’il théorise. On n’est donc pas dans ce cas de figure dans l’univers du mensonge. On est bel et bien dans l’univers de la vérité. Certes le résultat n’est pas totalement garanti, mais la méthode pour y parvenir est correcte, elle est droite. Sa force se trouve dans le contrat de confiance établi entre lui, auteur du projet, et le citoyen qui y adhère librement.
Un discours politique ne peut donc avoir un sens, pour servir de leçon, que si la personne qui le tient est sincère avec elle-même et loyale envers les autres. Les mensonges et les hypocrisies ne survivent pas longtemps. Quand un Peuple fait confiance à certains de ses enfants, ces derniers doivent mettre l’intérêt général au devant de leurs intérêts crypto-personnels, ils doivent avoir une conscience claire de leur mission qui consiste à gouverner de la même manière pour tous, mais pas au profit des uns contre les autres, à rendre justice par l’application correcte, mais rigoureuse des sanctions prévues par la loi contre tout individu qui commet un crime, à éviter de commettre des erreurs qui, au fil du temps, peuvent conduire à des situations de révolte. La politique n’est pas un jeu de dupes, mais un échange d’idées, une confrontation de points de vue, un choc d’arguments, pour permettre à chaque citoyen de contribuer à la construction de l’échelle qui conduit au progrès. Il doit la construire belle et solide pour permettre à un autre citoyen d’y poser les pieds, pour construire la marche suivante. Ainsi, palier après palier, ils pourront arriver ensemble au sommet.
Machiavel est généralement cité comme le penseur de la rouerie en politique. Il est décrit comme un manipulateur. Or il ne faisait qu’enseigner au prince comment utiliser le pouvoir pour vaincre ses ennemis, mais il lui enseignait en même temps comment ne pas abuser du pouvoir, comme le prouve son énoncé sur le principe de la vertu qui est une forme de s’occuper de l’intérêt général sans chercher à en tirer un profit personnel. Et Montesquieu de souligner, puisque rien ne peut garantir que le prince aura cette générosité, que «par la disposition des choses, le pouvoir puisse arrêter le pouvoir». Les députés, incarnation du pouvoir législatif, doivent légiférer et, dans le cadre des normes régulièrement établies, contrôler le pouvoir exécutif. Au pouvoir judiciaire de s’appuyer sur ce que prescrit la loi pour mettre un frein à tout débordement. Au chef de l’Etat, garant de l’unité nationale et clé de voûte des institutions, de veiller à ce que les intérêts supérieurs de la Nation soient toujours préservés. Nous pensons que Montesquieu, écrivant le même ouvrage de nos jours, ne se serait pas exclusivement penché sur la séparation des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire, il aurait également porté son attention, au-delà de cette trinité, sur le fonctionnement des pouvoirs locaux et des contre-pouvoirs qui doivent être les sentinelles de la République et de la démocratie : presse, syndicats, société civile, etc.
La machine républicaine, une fois montée, doit pouvoir fonctionner sans problème majeur capable de la gripper, ce qui suppose que ceux qui incarnent les institutions jouent le jeu dans le strict respect de la loi. Mais seule la démocratie peut servir de carburant à cette machine républicaine pour permettre aux citoyens, dans leur diversité culturelle et d’opinions, de vivre dans l’harmonie et la paix pour construire leur pays et réaliser leur légitime rêve d’une vie meilleure. Voilà ce que souhaite le Peuple de Guinée Bissau, dans la fraternité avec les pays voisins et le reste du monde. La démocratie est une méthode, une démarche qui permet la délégation du pouvoir en douceur. Elle exige le respect des institutions, la pondération dans les propos, l’humilité dans le comportement, le respect du suffrage universel, le fonctionnement d’une presse libre, l’éradication de la corruption, la répartition équitable des richesses et l’application du principe selon lequel tous les citoyens sont placés sur un pied d’égalité devant la loi.
José Catengul MENDES
Président du Fling
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