L’allocution du Président ghanéen Nana Akufo Addo, à Dakar, lors du sommet pour le Partenariat mondial pour l’éducation, a fait sensation. Ce discours alimente encore les réseaux sociaux en Afrique et tout le monde s’en félicite. Il ne saurait en être autrement, car le Président ghanéen a déclamé des vérités absolues. En effet, il n’y a rien de plus juste que d’affirmer que l’Afrique ne saurait régler ses problèmes de développement, à commencer par la question essentielle qu’est l’éducation, en «tendant la main» ou en comptant sur le soutien des Occidentaux. Aussi, les capitaux transférés de l’Afrique vers le monde occidental par des circuits occultes, comme celui de la corruption des élites, pourraient largement aider à satisfaire des besoins essentiels sur le continent. Nous applaudissons le propos.

Un autre héros des temps modernes
Il est assurément de bon ton de parler ainsi. On peut néanmoins relever que ce discours n’est pas nouveau. C’était celui des «Pères des indépendances africaines». C’est aussi celui de nombreux chefs d’Etat africains des temps modernes. Oscar Wilde disait : «La mode, c’est ce que l’on porte. Ce qui est démodé, c’est ce que portent les autres.» A entendre Nana Akufo Addo parler, on croirait entendre un Robert Mugabe du temps de ses bravades contre l’Occident. On sait comment il a fini par mettre à genou son Peuple et n’a pas eu de scrupule pour négocier son départ ou imposer son départ au Peuple exsangue du Zimbabwe qui devra lui payer un bien lourd tribut financier. Tous les militants de «la cause de la race noire» qui insultaient ceux qui avaient l’outrecuidance de critiquer Robert Mugabe rasent maintenant les murs du fait de la manière peu glorieuse par laquelle cet autocrate a quitté le pouvoir. A entendre Nana Akufo Addo parler, on croirait entendre un certain Yahya Jammeh de la Gambie qui se gaussait de ses pairs chefs d’Etat africains qui devaient avoir besoin de «genouillères», tant ils rampaient devant les Occidentaux. A entendre Nana Akufo Addo, on croirait entendre encore un certain Abdoulaye Wade qui, porté par l’euphorie de sa victoire électorale en 2000, défiait un certain Jacques Chirac de la France en lui disant, dans le blanc des yeux, que le Sénégal n’avait plus besoin de l’argent de la France. Tout le monde sait comment cela avait fini dans les relations entre la France et le Sénégal. La volonté d’indépendance du chef de l’Etat sénégalais avait été clamée urbi et orbi, jusqu’à ce que le Président Wade chassât les bases françaises de son pays. Paradoxalement, c’était le même Président Wade qui avait été utilisé par le Président Nicolas Sarkozy dans son combat à mort contre Mouammar Kadhafi de la Libye. A entendre Nana Akufo Addo, on croirait entendre un certain Alpha Condé de la Guinée qui se surprend à clamer les refrains anti néocolonialistes, une rhétorique à la Ahmed Sékou Touré. Seulement, dans sa pratique de tous les jours, Alpha Condé révèle un tout autre visage, celui d’une dépendance vis-à-vis de la France notamment, et surtout il n’a de cesse de faire montre de mauvaises pratiques de gouvernance publique. Nana Akufo Addo qui avait pris la parole à Dakar parlait comme un Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement de la République démocratique du Congo, qui lance des diatribes contre le monde occidental pour chercher à dédouaner le Président Joseph Kabila. Il circule encore dans les réseaux sociaux en Afrique une autre vidéo d’un Idriss Déby Itno qui utilise les mêmes éléments de langage que Nana Akufo Addo et pourtant, on sait bien ce que le Président Deby a fini de faire des ressources du pétrole tchadien et dans quelles conditions il dirige son pays. On peut aussi revisiter les discours de l’actuel Président du Sénégal, Macky Sall, qui n’a de cesse de déclarer que les relations entre les pays africains et les puissances occidentales doivent s’inscrire sous un nouveau registre de rapports d’égalité. Macky Sall dit, lui-même, que l’époque où les Africains doivent attendre de l’aide de l’Occident doit être révolue et qu’un nouveau type de partenariat devrait s’instaurer. Nana Akufo Addo apparaît dans son propos comme le futur continuateur d’un Jacob Zuma qui haranguait les foules de militants de l’African national congress (Anc). Le chef de l’Etat sud-africain apparaît désormais comme un mauvais modèle.

Accra attend de voir
Devrait-on alors douter de Nana Akufo Addo ? Sans doute que non ! Mais il n’en demeure pas moins que nous devrions prendre le chef de l’Etat ghanéen au mot et observer les actes qu’il aura à poser. Le grand retentissement de sa déclaration de Dakar qui, du reste, constitue une répétition des propos qu’il avait justement tenus quelques semaines auparavant à Accra, à l’occasion d’une visite du Président Emmanuel Macron dans son pays, le place dans une situation où il devra s’évertuer à se montrer conséquent. C’est dire que sur la question de l’éducation, Nana Akufo Addo devra faire plus que tout le monde, au grand bénéfice du Peuple ghanéen. En effet, il a fait un amalgame, sans doute délibéré, pour toiser les contributeurs du Partenariat mondial pour l’éducation. Cette initiative mondiale lancée en 2002 n’a pas pour vocation à se substituer aux politiques publiques de chaque gouvernement en matière d’éducation. Au contraire, le Partenariat mondial pour l’éducation se veut un instrument d’incitation des gouvernements à inscrire la question de l’éducation au cœur des politiques publiques. Ainsi, les donateurs de cette initiative fixent l’objectif minimal de consacrer plus de 20% des dépenses publiques à ce secteur. Dakar a pu abriter le troisième sommet mondial, justement parce que le Sénégal, selon les statistiques publiques, consacre près de 25% de son budget national à l’éducation. Les subventions du Partenariat mondial pour l’éducation qui devront aller au profit du Sénégal, au Ghana et à tout autre pays ne seront que des ressources additionnelles qui ciblent des aspects définis par le gouvernement bénéficiaire, en accord avec le secrétariat exécutif du Partenariat mondial pour l’éducation. Cette dernière structure ne saurait donc se substituer à des gouvernements africains, asiatiques, américains, arabes ou européens pour prendre en charge les problèmes cruciaux de l’éducation de leurs Peuples. De toute façon, le Ghana qui bénéficie depuis 2003 de cette initiative ne peut ignorer cela. Et encore que Nana Akufo Addo aurait pu ne pas venir à Dakar si tant est qu’il n’était pas convaincu de ce qui se discutait. Par ailleurs, nous ne pouvons pas ne pas être tenté de mettre un bémol sur les professions de foi du Président Addo. Le nouveau chef de l’Etat ghanéen a été démocratiquement élu avec un discours de campagne qui voulait prôner la bonne gouvernance et la lutte contre les mauvaises pratiques de son prédécesseur John Dramani Mahama, notamment en matière de faits de corruption. Il reste que les premiers actes posés au Ghana par Nana Akufo Ado sont aux antipodes des meilleures pratiques de gouvernance. Déjà, une polémique avait enflé au Ghana, lors de son investiture, car il avait largement plagié le discours d’investiture du Président Bill Clinton de 1993. Et il avait fallu quelques six mois au nouveau chef de l’Etat pour pouvoir avoir l’autorité de mettre en place un gouvernement ; et quel gouvernement ? Figurez-vous que le Ghana de Nana Akufo Addo détient le record du gouvernement le plus pléthorique au monde. En effet, on compte 110 ministres qui siègent au Conseil des ministres du Ghana, avec 40 ministres et 4 ministres d’Etat, 50 ministres délégués et 25 ministres régionaux ainsi que leurs suppléants. Ces nominations faites le 15 mars 2017 ont suscité une forte polémique. L’opposition politique comme les médias ont parlé de «gouvernement taille éléphant». Nana Akufo Addo a tenté de répondre à la polémique en bottant en touche. Selon lui, «il est préférable d’avoir des hommes, des femmes, capables de servir les intérêts de la Nation et de travailler à la croissance de l’économie. Si je réussis, vous découvrirez bientôt que le brouhaha actuel n’est rien comparé au succès». Le gouvernement de Nana Akufo Addo est le plus fourni de l’histoire politique du Ghana. Il a même battu le record, qui faisait rire, de la Guinée Equatoriale de Teodoro Obiang Nguema Basogo qui compte 89 ministres qui siègent en Conseil des ministres. Les médias ghanéens et les parlementaires de l’opposition pointent régulièrement des faits de corruption mettant en cause des membres du gouvernement Addo. C’est dire qu’entre les discours et les actes posés en matière de gouvernance publique, il y a parfois un très gros écart.