HOMMAGE – 34 ans après sa disparition : Cheikh Anta enfin pharaon chez lui

L’écrivain Boubacar Boris Diop pense que la leçon que les jeunes peuvent tirer du legs de Cheikh Anta Diop est de ne jamais se laisser impressionner par les individus qui sont puissants et qui pensent qu’ils tiennent «votre destin entre les mains». Il animait hier à l’Ucad 2 une conférence en hommage au grand savant, disparu un 7 février 1986.
La salle Aminata Diaw Cissé de l’Ucad 2 où était célébré hier le 34e anniversaire de la disparition de Cheikh Anta Diop était archicomble. Un fait qui n’a pas manqué de susciter l’optimisme chez Boubacar Boris Diop. «Les choses sont en train de se mettre en place», explique-t-il. «De son vivant, on pouvait avoir l’impression qu’il était seul parce qu’il était tellement en avance sur son temps. Peut-être, il lui arrivait de penser qu’on ne le comprenait pas, mais quand on voit ce qui se passe depuis sa disparition, cela fait du bien.» De ce fait, la leçon que les jeunes peuvent tirer du comportement du savant sénégalais, souligne l’écrivain, c’est de ne jamais se laisser impressionner par les individus qui sont puissants et qui pensent qu’ils tiennent «votre destin entre les mains».
M. Diop animait une conférence sur le thème «Le legs de Cheikh Anta Diop à la jeunesse africaine». Le culte du savoir, l’importance de l’éducation, mais également le courage du panafricaniste à faire face à toutes sortes d’injustice sont entre autres ses legs. «Les ennemis de Cheikh Anta l’ont propulsé sur la scène de l’histoire en voulant le réduire au silence. Il a été marginalisé par ceux qu’il appelle les idéologues occidentaux, interdit d’actions politiques etc. Et malgré tout cela, le triomphe de Cheikh Anta Diop aujourd’hui est total», a-t-il affirmé. Il va plus loin : «L’université où il avait été interdit d’enseignement porte son nom, des jeunes qui sont nés après sa mort ont sillonné le pays pour exiger l’enseignement de la pensée de Cheikh Anta Diop à l’école etc. Donc c’est vraiment un motif d’espoir.»
Devant une pléthore d’étudiants, d’autorités et autres personnalités venus célébrer Cheikh Anta Diop, le Professeur Boris Diop ne s’est pas empêché de rappeler qui est l’homme et l’importance de son œuvre. «Il ne s’est jamais mis devant les caméras, mais n’empêche que nous avons avec lui le sentiment d’une certaine intimité. Il était au cœur de la mêlée, mais en même temps fondamentalement solitaire. Cheikh Anta Diop était un esprit», a-t-il déclaré. A l’en croire, il ne connaissait pas le compromis intellectuel, mais en même temps, c’était un homme très délicat, d’une grande courtoisie et d’une profonde humilité. Toutefois, précise-t-il, quand il s’agissait de défendre ses opinions contre la terre entière, il se transformait en fauve. «Ça c’est une des leçons que nous pouvons retenir de sa vie. On a encore besoin de lui et nous essayons pauvrement de prolonger son travail», a dit Boubacar Boris Diop.
Nul n’est prophète chez soi, en témoigne cette déclaration du directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud). «A chaque fois que nous sommes à l’étranger, quand nous parlons de son œuvre, vous avez l’impression que Cheikh Anta est mieux connu à l’étranger que dans son propre pays», a dit Abdoulaye Sow. Il croit ainsi qu’un effort doit être fait pour rattraper cela. «Je pense que cela peut passer par l’introduction des enseignements de Cheikh Anta dans le système éducatif sénégalais, mais aussi ça peut passer par d’autres moyens et cette conférence en est un», dira-t-il. Il va falloir explorer d’autres pistes, poursuit le Dg du Coud, pour que Cheikh Anta et d’autres aussi qui font la fierté du Sénégal et de l’Afrique en général soient au cœur «de ce que nous faisons et dans la formation de nos jeunes».
A noter que cette conférence a permis de lancer le cycle des grandes conférences. Elle participe, selon M. Sow, à l’ambition d’ouvrir grandement les portes de l’université à la société, de rassembler tous les acteurs scientifiques et culturels pour restaurer la conscience africaine tel que souhaité par Cheikh Anta Diop.