«La mémoire est nécessaire pour construire l’avenir. On n’a jamais rien bâti sur l’oubli et le silence.»
Le charismatique Boubacar Joseph Ndiaye est né le 15 octobre 1922 à Rufisque. Sa ville natale est située à 25 km de Dakar sur le littoral atlantique. Son implantation est plus ancienne que Dakar, la capitale du Sénégal. Elle constitue également l’unique voie d’accès à celle-ci, aussi bien par la route que par le chemin de fer.
Historiquement, la ville de Rufisque a joué un rôle important dans les rapports entre l’Afrique et l’Europe au cours du 18ème siècle. En effet, la ville de Rufisque servait d’escale pour le Damel du Cayor et les Européens. C’est ainsi que les Hollandais y aménagèrent des comptoirs.
Au milieu du 19ème siècle déjà, la ville qui comptait, selon Abbé Boilat, environ 10 mille habitants, était sous le contrôle des Français désireux de faire de Dakar toute proche, le centre stratégique pour le contrôle de l’Afrique occidentale française (Aof).
Mais l’essor de la ville allait s’amplifier avec l’avènement de la traite arachidière. Rufisque était devenue un véritable débouché pour ce commerce florissant. Ainsi, un wharf fut construit et environ 25 mille tonnes d’arachides, sur un total de 80 mille exportées à cette époque, furent acheminées vers l’Europe à partir de Rufisque. La ville fut érigée en commune de plein exercice en 1880. Ce nouveau statut favorisera son accroissement démographique.
Navigateur de son état sur la ligne maritime Bordeaux-Sénégal, son père Kandé Ndiaye finit par s’installer à Rufisque où il fonda une famille. A la mort de ce dernier en 1928, Rose Seck, d’origine saint-louisienne et mère de Boubacar Joseph Ndiaye, déménage, accompagnée par son fils à Dakar.
Le jeune prodige, après des études primaires couronnées par un Certificat d’études primaires, un diplôme qui n’était pas à l’époque à la portée de n’importe qui, va entrer à l’école Pinet Laprade de Dakar où il passera trois années. Son diplôme de typographe obtenu, il travaillera à Gorée à l’Imprimerie du gouvernement général qui subira en 1943 des dommages énormes suite à l’attaque perpétrée sur Dakar par les Forces françaises libres. Le transfert de cette imprimerie à Rufisque ramènera notre futur conservateur de la Maison des esclaves de Gorée dans sa ville natale. Boubacar Joseph Ndiaye quittera l’Imprimerie du gouvernement général pour s’enrôler la même année (1943), en tant que citoyen français, dans l’Armée française.
Après une formation à Thiès, il sera embarqué en direction de l’Afrique du Nord, «à bord du paquebot Brazzaville» nous apprend-t-il, très calme, debout au pied de la montagne Pelée lors de notre séjour en Martinique en juin 2007.
Débarqué en Algérie à la caserne d’Alger, puis muté à la Maison du Caire tout près d’Alger, son parcourt militaire le conduira en 1944 à Toulon dans le groupe des tirailleurs sénégalais. Il fera l’Allemagne ainsi que le camp Galilée dont le climat ressemble à celui de son pays natal, le Sénégal. C’est de là-bas que l’idée lui vient d’opter pour une carrière militaire en tant que parachutiste ; ce qui le conduira à Vanne, puis en Indochine où il combattra sous les ordres du général Bigeard qui devint par la suite son ami.
De retour dans son pays natal en 1958, Boubacar Joseph Ndiaye mène des activités commerciales auprès de la société Citec comme gérant de magasin pendant 2 ans. Après l’accession de son pays à l’indépendance, il avait tous les avantages pour choisir de vivre en France ou d’occuper des fonctions plus lucratives dans la nouvelle Administration de son pays.
Mais comme un illuminé, il consacra tout son temps, de manière bénévole pendant deux ans, à la Maison des esclaves de Gorée par devoir de mémoire pour servir ses frères noirs d’Afrique et de la diaspora. Il fut confirmé comme conservateur de la Maison des esclaves de Gorée à titre municipal en 1962 et par l’Etat du Sénégal en 1967. Son dévouement et son inégalable talent d’orateur seront reconnus par Léopold Sédar Senghor qui l’enverra au Musée de Nantes puis à l’Ecole internationale de Talence pour des séries de formation afin de mieux servir l’histoire des Noirs et de l’humanité.
En effet, très humble, l’homme est aussi un conférencier qui parcourt le monde depuis 1972 pour partager son savoir aux Etats-Unis d’Amérique à l’Université de Boston, en Afrique du Sud, à l’Ile Maurice, à l’Ile de la Réunion, en Allemagne, à la Guadeloupe, au Brésil, en Belgique, au Bénin, au Ghana, à la Martinique etc.
L’ancien compositeur-typographe, ancien sous-officier parachutiste de l’Armée française et gardien de la Maison des esclaves de Gorée, est aussi un éminent écrivain. Il a publié il y a quelques mois un livre intitulé Il fût un jour à Gorée, l’esclavage raconté à nos enfants pour instruire le lecteur sur la «capitale de la souffrance et de la douleur» endurées par nos ancêtres. Il s’est assigné comme mission de restituer l’histoire dans sa vérité la plus absolue, l’histoire du Peuple noir qui, pendant plus de trois siècles, a fait l’objet d’humiliations et de violences de toutes sortes, mais aussi et surtout de pillages systématiques sans aucune retombée d’économie ou d’image.
Peu importent les contrevérités hystériques des révisionnistes, ces historiens de type nouveau qui falsifient l’histoire au gré des humeurs dans le seul but de minimiser l’ampleur de ce qu’a vécu l’Afrique pendant plus de trois siècles d’esclavage. Ce qui reste définitivement vrai est que chaque famille africaine a un parent en Amérique et aux Antilles, un parent descendant d’un ancêtre capturé, torturé, arraché à sa terre natale et revendu comme simple butin humain par des négriers massacreurs, doublés de pilleurs injustement convaincus de leur supériorité absolue sur les Noirs.
Peu importe leur tentative macabre de casser psychologiquement le nègre déménagé de force et d’effacer de son esprit tout reliquat d’Afrique en s’essayant à l’éduquer dans le mépris et la haine de la terre mère. Cette tentative reste vaine. Ce nègre est africain d’abord…
Boubacar Joseph Ndiaye, l’auteur de la fameuse citation «L’histoire ne ment pas», refusait d’oublier, rappelant sans cesse combien l’oubli et l’indifférence ne doivent l’emporter sur la nécessité d’un devoir de mémoire.
Il rejetait cependant toute idée de réparation et enseignait le pardon, la tolérance et l’ouverture, vacciné qu’il fut contre la rancœur et la vengeance ; le vieux sage faisait sien ce que l’autre disait : «La culpabilité n’est pas héréditaire.» Si son discours renseignait les pèlerins qui fréquentaient l’île de Gorée, ce haut lieu de la mémoire du Peuple noir, sur l’histoire douloureuse des Peuples d’Afrique, il était aussi une prière pour le retour d’une humanité juste.
C’est pourquoi, ayant compris tout cela et touché par le verbe chargé d’histoire, le verbe pédagogique, académique et véridique de Boubacar Joseph Ndiaye, le Pape Jean Paul II, en visite à Gorée, demanda pardon à l’Afrique, car beaucoup de missionnaires ont eu dans le passé à encourager ce crime odieux contre l’humanité : l’Esclavage.
Le vieux combattant des droits de l’Homme a eu à recevoir aussi d’autres personnalités dans cette maison. Nous pouvons en citer, entre autres, Nelson Mandela, le Roi Hassan II du Maroc, Bill Clinton, le couple Mitterrand… «C’est Madame Mitterrand qui nous a aidés à restaurer la Maison des esclaves par le biais de l’Association France liberté», affirmait-il, toujours debout et calme au pied de la montagne Pelée.
Le vieux lion était aussi visité et écouté par de grands noms du monde artistique tels que Manu Dibango, Jean Jacques Goldman, Youssou Ndour, Nina Simone, James Brown pour n’en citer que ceux-là. Elevé au rang de trésor vivant de l’humanité par l’Unesco, honoré par le Gala de reconnaissance avec la puissante et signifiante participation de l’Etat du Sénégal, aimé et adulé partout, Boubacar Joseph Ndiaye continuait encore, et avec un élan de cœur extraordinaire, sa mission de serviteur de sa race et de l’humanité par la transmission de l’histoire du Peuple noir aux multiples visiteurs de l’île de Gorée et aux assemblées qui accueillaient ses conférences partout à travers le monde.
Dieu vient de l’arracher à notre affection. Qu’il l’accueille dans son paradis !
Dakar le 06 février 2009.
Tafsir Ndické DIEYE
Extrait de Pèlerinage au temple de l’amour
Editions Edilivre Paris – Saint Denis février 2016
Recueil de poésie dédié à Boubacar Joseph Ndiaye et Aimé Césaire