Nunc dimittis servuum tuum
«Mission accomplie, je me retire»
Impassible devant la mort, je ne peux, tout comme je ne saurai me résoudre à te dire adieu, cher ami, dans les sillons du vent triste et anonyme de ce vendredi 21 Septembre 2018. N’est-ce pas Christine de Suède qui affirmait, avec justesse, que «Tout homme qui craint la mort, n’est capable de rien de grand» ? Et tu as vécu en homme de foi et de dignité, la prévoyant, mais sans crainte de la grande faucheuse collée à l’existence humaine.
Mon cher Bruno,
En te rendant hommage, nous rendons les honneurs à tes parents et à tes fleurs semées.
En te rendant hommage, nous rendons les honneurs à la nation sénégalaise dont tu portas brillamment et fièrement l’étendard, au-delà même de nos frontières.
En te rendant hommage, nous rendons les honneurs à l’homme des éloquentes facettes : bon et simple, courtois et discret, serein et pudique, humble et chaleureux, loyal mais chevillé à des principes. Tu les incarnas, immuablement, au recto et verso des années.
En te rendant hommage, nous rendons les honneurs au patriote, à l’inlassable serviteur de l’État, mais également à Leurs Excellences les Présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall, dont tu as été le Chef du Protocole d’État. Tout le monde peut imaginer combien il a pu être délicat d’être le Chef du Protocole de Léopold Sédar Senghor ou de Abdoulaye Wade. Pour des raisons différentes, d’ailleurs.
Mon cher Bruno,
Tu m’as accueilli à la Présidence de la République en 1978. Je m’en souviens. C’était l’ère de la chemise blanche, du nœud papillon et du pantalon rayé, avec la redingote au-dessus. Nous nous en rappelions occasionnellement avec amusement. A ton poste, tu marchas sur les beaux pas d’illustres devanciers comme André Coulbary, Amadou Cissé «Ndiarmew» et le distingué Cheikh Leye. Je salue respectueusement leur mémoire.
J’ai eu le plaisir, cher ami, de te côtoyer et de servir, avec toi, les Présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf. Tu étais un homme passionné, avec une maîtrise parfaite de la grammaire protocolaire et qui avait pleine conscience des obligations de son métier. Tu composais avec tout le monde et jamais ne te plaignais de rien ni de personne. Tu rendais en permanence des services sans jamais être demandeur de quoi que ce soit. Seul bien accomplir ta tâche t’importait, quel que soit l’imprévisible caractère de ton interlocuteur. C’était là ton crédo, ta légendaire recette à succès.
Excellence ! Oui Excellence ! Car telles étaient ta pratique et ta tenue quotidiennes, quarante ans durant, plus même que ton titre de Conseiller des Affaires étrangères de Classe exceptionnelle, donc de diplomate de haut rang. Tu avais, solidement ancrés en toi, le sens et la culture de l’État.
Je te salue, je te nomme avec respect, avec amitié, en souvenir vivace des moments ensemble vécus. Je me le permets, une dernière fois, bienheureux «Diatta Marie Père».
De toi, cher Bruno, les générations présentes et futures retiendront, entre autres, que les bavards sont ceux qui, peu, savent. Oui, tu connaissais, voyais et entendais beaucoup, trop et énormément de choses mais tu ne pipais mot. Dans ta poitrine tu gardais et portais tout, au nom de l’État et de la République, tel ce cœur amoureux en qui palpite le permanent souci du bien-être de sa dulcinée. Et pourtant, il faut le savoir, le Chef du Protocole d’État est un collaborateur précieux et particulier du Chef de l’État, dépendant uniquement et directement de ce dernier. Tu avais là de quoi bomber le torse, mais tel ne fut jamais ton comportement.
De toi, cher Bruno, les Sénégalais retiendront que l’exemplarité est la marque du bon maître. Constant, écouté et pourtant si effacé, tu gérais de main de maître l’agenda du Président de la République et mettais en branle le cérémonial présidentiel à chaque fois que de besoin. Voyages officiels, visites, déplacements à l’interne, déjeuners, diners et réceptions, lettres de créance, remise de décorations, cérémonies publiques, cadeaux échangés avec des personnalités étrangères, etc. Rien ne se faisait ou ne se mouvait sans ton avis voire ton implication. Mission accomplie, tu te retirais à l’ombre, satisfait et silencieux. Et tu recommençais, alerte, l’instant d’après.
Chef d’orchestre et multitâches, c’est avec doigté, grandeur et professionnalisme avéré que tu t’intéressais à tout ce qui se passe dans la «grande maison», du cabinet du Président de la République au Secrétariat Général de la Présidence en passant par le service de presse, l’état-major particulier, le commandement militaire, etc. pour que mythique et respectée demeure la Présidence de la République. Ta vivacité d’esprit et ta naturelle simplicité te donnaient solution à presque tout. Tu avais le tact et l’intelligence des situations.
Non ! Je ne saurai te pleurer comme un inconnu ni apprécier la grandeur de tes œuvres tel un néophyte. La diplomatie étant un art tout d’exécution, le protocole en demeure la branche la plus complexe et seuls les meilleurs y réussissent. Tu y brillas de mille et un feux, cher Bruno.
Repose en paix, grand serviteur de l’État. Nous suivrons tes pas, ici-bas et un jour dans l’au-delà, car il est une vérité, celle courageusement inscrite à l’entrée du cimetière chrétien Saint-Lazare de Béthanie : «Aux portes du paradis, nous avons été ce que vous êtes et vous serez ce que nous sommes.»
Mes condoléances, une fois encore, à Son Excellence le Président Macky Sall, à toute ta famille, aux diplomates de carrière, au peuple sénégalais et loin de nos murs, au monde. Éternellement, tu resteras le bien de tous.
Que Dieu ait pitié de ton humanité, cher ami.
Ousmane Tanor DIENG
Conseiller des Affaires étrangères