A l’origine de l’étonnante destinée de Adja Arame Thioumbé Samb, il y a une légende qui s’attache à sa vie : la bataille pour l’accession du Sénégal à l’Indépendance et la libération de la femme sénégalaise, rurale en particulier. Poussée par le besoin d’agir au nom de la liberté, elle se joint aux communistes et s’enrôle dans la voie de la clandestinité qui lui semblait incarner la volonté d’action la plus radicale. Aussitôt, Adja Thioumbé Samb est identifiée comme une sentinelle aveugle de l’Union démocratique sénégalais (Uds) et du Rassemblement démocratique africain (Rda) dont elle était membre de 1946 à 1958, puis militante du Parti africain de l’Indépendance (Pai) clandestin de 1960 à 1983, année à laquelle elle rejoignit le Parti socialiste (Ps) quand Abdou Diouf est devenu président de la République. Adja Arame Thioumbé Samb n’est-elle pas, d’ailleurs, l’une des premières femmes politiques à être emprisonnées au Sénégal ?

De famille léboue modeste, Adja Arame Thioumbé Samb naquit à Dakar, le 28 janvier 1928, de El Hadj Abdoulaye Samb et Fatou Mbengue, fille de Ndiassé Mbengue de Thieudème. En 1945, elle devint l’épouse de El Hadj Mbaye Paye Assane, lui aussi, un lébou bon teint et membre du Rda. Ce dernier lui recommanda d’aller rejoindre les jeunes du Bds, aux côtés de Léopold Sédar Senghor et de El Hadj Abass Guèye. Adja Thioumbé Samb venait juste d’avoir son premier et unique enfant, Mme Aïssatou Paye, que nous avons rencontrée à Fann Hock, à la résidence qui porte le nom de sa mère.

Si l’inscription signalétique qui a pignon sur rue (57 x 68) est toute indicative, rien ne laisse présager que cette maison-là était bien le siège social du Pai clandestin. Sitôt la porte du salon franchie, les salamalecs d’usage terminés, les échanges commencent avec Mme Paye, une dame relaxe et accueillante : «Bienvenue chez vous, à la résidence Adja Arame Thioumbé Samb, qui est un patrimoine historique, ici tout est symbole, les chambres, les escaliers, le petit mur, la cour, etc.». Le décor campé, notre interlocutrice, qui fut attachée de cabinet du ministre Abdoulaye Makhtar Diop, enchaîne : «Cette maison-ci a abrité pratiquement toutes les réunions secrètes du Pai auxquelles participaient Thierno Ba, Abdoulaye Ly, James Benoît, Amath Dansokho, Ibrahima Mbengue, Baïdy Ly, évidemment mon père et ma mère, pour ne citer que ceux-là», nous indiquant même que «c’est là-bas où les tracts étaient discrètement confectionnés à partir d’une petite machine que Amath Dansokho avait ramenée des pays de l’Est, de Prague». On en sait déjà trop, surtout la méfiance qui prévalait à l’époque, «à l’approche des agents secrets dont les visages nous étaient familiers, le mot d’ordre était Matar (nom de code de Amath Dansokho), arrêtez les beignets», nous confie Aïssatou.

Toute jeune, élève à l’école des jeunes filles de la rue Thiers, elle était chargée, avec son cousin, Iba Hamet Diop, de signaler toute personne suspecte, signe de danger, qui dissimulait son avance vers la maison. En effet, des éléments de la Police secrète squattaient en permanence aux alentours. «C’est à partir d’ici -toujours, dans cette maison- que tontons Baïdy Ly, Ibrahima Mbengue et mon père, Aladj Mbaye Paye ont organisé l’exil du grand et regretté mentor, Majmouth Diop, embarqué en passager clandestin dans le train vers le Mali, quant à Amath Dansokho et Moustapha Sarr, ils ont été exfiltrés et acheminés à Prague, de même que Aw, un jeune étudiant parachuté à l’Union des jeunes étudiants à l’Ue et Babacar Ndiongue, Secrétaire général de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique envoyé à Budapest», se rappelle également Mme Paye.

Malgré toutes ces persécutions et tentatives de déstabilisation, de pressions de tous ordres venant surtout de ses parents, en particulier de sa mère Fatou Mbengue, Adja Thioumbé Samb est restée obstinément engagée aux côtés de ses pairs. Une constance irréductible qui a rendu sa vie mouvementée au milieu d’une forte rivalité politique entre le Bds et la Section française de l’Internationale ouvrière (Sfio). Après le Bds, Adja Thioumbé Samb est allée militer au Rda, rejoignant ainsi son mari et les Cham’s Benoît, Ablaye Guèye, Thierno Ba, Assane Seck, Séllé Guèye et, plus tard, Adja Rose Basse, qui quitta le mouvement des femmes de la Sfio de Me Lamine Guèye pour les rejoindre. Adja Thioumbé Samb était très influente au sein du Bureau politique de l’Uds, section sénégalaise du Rda. L’Uds que dirigeait Ablaye Guèye Capri et Thierno Ba ne faisait pas de différence entre les hommes et les femmes, contrairement au Bds et à la Sfio, dans les séminaires d’éducation et de formation. Les autres partis politiques étaient enclins à des bagarres, injures et applaudissements.

En 1954, avec la création de l’Union nationale des femmes du Sénégal (l’Ufs) qui regroupait des femmes de différents partis politiques, la lutte s’amplifia. On se rappelle leur slogan : «L’indépendance avant tout.» Adja Thioumbé Samb et ses camarades célèbreront la première Journée internationale des femmes le 8 Mars au cinéma Pax, à la Médina. Elle y a tellement travaillé avec un noyau dur composé de : Sellé Guèye (présidente), l’ancienne directrice de l’école Soumbédioune, Jeanne Martin Cissé, d’origine guinéenne (Secrétaire générale, avant son départ en Guinée), Rose Basse (2ème vice-présidente), Maguette Diop, Marie Ka, Aïda Mbaye, Awa Niang, Awa Guèye, Emma Turpin (plus tard, épouse de Jean Collin), Ndèye Ngoné, Anna Sèye (épouse de Moustapha Thiam), Oumy Sène (épouse de Ablaye Guèye Capri), Aïda Sarr (épouse de Me Fadilou Diop), Ndèye Seyni Camara, Ndèye Fatou Ba, Madeleine Ly (épouse de Abdoulaye Ly) et Adja Arame Thioumbé Samb à qui revenait le poste de 1ère vice-présidente.

Adja Arame Thioumbé Samb a représenté l’Uds/section sénégalaise du Rda au rassemblement de Cotonou, à l’appel de Bamako au premier festival de la Jeunesse d’Afrique en 1958 et était souvent invitée en Russie, ou en France. Lors de la fusion au Colisée du Pra et de l’Uds, Adja Arame Thioumbé Samb était la seule femme parmi les 20 personnes que chaque parti devait amener.

Deux autres événements majeurs qui ont marqué l’engagement politique de Adja Thioumbé Samb : l’arrivée du Général De Gaulle à Dakar, en 1958. Adja Arame Thioumbé Samb faisait partie des téméraires porteuses de pancartes qui ont braver le Général De Gaulle à la place Protêt, actuelle Place de l’Indépendance, derrière Valdiodio Ndiaye. Certains vieux lébous les maudissaient en leur disant «vous n’êtes même pas capables de fabriquer des boîtes d’allumettes et vous demandez l’Indépendance». Aux élections municipales de 1960, lorsque les Saint-louisiens ont voulu élire frauduleusement le candidat Sèye à la mairie, le comité d’action dirigé par les plénipotentiaires qu’étaient Adja Maguette Diop, Emma Turpin, Adja Thioumbé Samb, s’opposèrent contre toute velléité de détournement du suffrage des électeurs. Il y a eu bagarres dans le centre de vote et Adja Arame Thioumbé Samb a été arrêtée, puis emprisonnée pendant 6 mois à Saint-Louis. N’eût été la détermination et la capacité d’entregent de son avocat, Me Fadilou Diop, elle allait croupir en prison. Elle obtint finalement un non-lieu. Le Président Senghor a voulu la recevoir après sa sortie, mais son mari s’y opposa.

Aissatou Paye se souvient de ces moments de souffrance, de traumatisme occasionnés par les valses incessantes de sa mère entre la Police centrale et la gendarmerie de Colobane, et aussi de l’incarcération de son papa, à Mbour, pendant deux mois. C’est à la suite d’une scission dans le Pra/Sénégal que tous les jeunes se sont rués vers le Pai de Majmouth Diop. La voie royale pour l’Indépendance était en marche.

Aujourd’hui, il serait si cruel de ne pas rendre à Adja Arame Thioumbé Samb ce qui lui revient de droit, c’est-à-dire la reconnaissance de l’Etat comme souhaitée par sa fille Aissatou Paye. Depuis 1945, dit-elle, Adja Arame Thioumbé Samb a fait don de sa personne et consenti à de moult sacrifices personnels pour l’accession de son pays à l’Indépendance et la libération de la femme sénégalaise. Accusera-t-on la fille à Adja Thioumbé Samb de réclamer cette reconnaissance de la Nation, non pas pour elle seule, mais pour toutes ces grandes dames auxquelles l’histoire politique sénégalaise a réservé une place honorable ? La réflexion est toute enclenchée et, sans doute, la mise sur pied d’une association, Rappel, qui regroupera les héritiers de toutes ces femmes politiques, de ces mamans de l’indépendance qui, aujourd’hui, se sont fait oublier dans une sorte de morne panthéon où gisent les morts illustres qu’on ne visite jamais. A l’image deAdja Thioumbé Samb décédée à Dakar, en 2001, et enterrée au cimetière musulman Bakhiya de Yoff.

NB. Dans cet entretien, Mme Aïssatou Paye n’a cessé de remercier l’ancienne ministre, Ndioro Ndiaye, pour la décoration prestigieuse d’un collier en or à l’endroit de sa mère, et à titre posthume Mme Maïmouna Kane, ancienne ministre, et Djibo Ka, ancien directeur de Cabinet du Président Senghor, qui ont valorisé le militantisme de Adja Arame Thioumbé Samb alors qu’elle était en vie. Mention spéciale également au Président Abdou Diouf qui a honoré sa mère de la distinction élevée de la médaille du mérite.
Gallo THIAM
gallo1958thiam@gmail.com