A l’annonce de sa disparition ce lundi 28 décembre 2020 à Dakar, le président de la République Macky Sall a salué la mémoire du Général Mamadou Niang en ces termes : «Un brave soldat de l’Etat qui a servi jusqu’au dernier souffle.» Quant au Président Abdoulaye Wade, il a dit de ce dernier qu’il fut un «homme multidimensionnel, de la race des hommes qui ont rempli leur vie utilement en ayant servi son pays jusqu’à ses derniers instants».
En parcourant d’un long regard l’itinéraire professionnel et intellectuel du Général Mamadou Niang, on est frappé par son profond attachement aux valeurs républicaines. C’est la raison pour laquelle il avait fini de faire l’unanimité autour de sa personne. Dans toutes les rencontres avec les acteurs politiques, il ne faisait jamais prévaloir l’argument d’autorité dans les débats ni trancher les questions par des votes mécaniques. Au contraire, il a toujours privilégié l’autorité et la pertinence des arguments, en invitant les uns et les autres à faire preuve d’ouverture d’esprit pour trouver le consensus indispensable à la vitalité de la respiration démocratique de notre société.
C’est cette extraordinaire et étonnante capacité d’écoute, combinant dialectiquement flexibilité et fermeté constructive, tact et intelligence, rigueur et souplesse, qui faisait que le Général Niang était apparu aux yeux des acteurs politiques comme un véritable vecteur du dialogue. Il fut un interlocuteur courtois et agréable, d’une exquise urbanité, attentif et profondément ouvert aux arguments et compromis, toujours en quête d’un consensus dynamique pour rapprocher les positions les plus antagonistes, pour trouver en définitive des plages de convergence et de consensus.
Le Général Mamadou Niang a toujours répondu présent à l’appel du devoir, sous les drapeaux ou dans la vie civile. Il a d’abord été instituteur. Ce qui lui a permis d’avoir une bonne connaissance des réalités du Sénégal des profondeurs. Après son passage dans l’enseignement, il souscrit un engagement volontaire de trois ans et a été incorporé au titre de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, en France, avec spécialisation en cavalerie blindée. Ensuite, il a servi en Casamance à l’époque où la zone sud servait de base de repli du Paigc, en lutte pour l’indépendance de la Guinée Bissau. Il a été affecté à la Finul (Forces intérimaires des Nations unies au Liban), comme dirigeant du 2ème contingent sénégalais, puis en Gambie, en tant que commandant de la zone de défense n° 2.
Avec le déclenchement de la crise casamançaise en 1982, le président de République Abdou Diouf le nomme, en 1991, à la tête de la Commission nationale de gestion de la paix en Casamance. Homme des dossiers, bien au fait de la conjoncture sécuritaire, c’est logiquement qu’il se voit confier en 1992 la stratégique Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (Ddse).
Au plan diplomatique, le Général Niang a eu une carrière très riche. Les missions qu’il a accomplies dans les zones en conflit, que ce soit en Casamance ou en Gambie, ont été couronnées de succès en raison de ses éminentes qualités d’homme de dialogue. Sa courtoisie exceptionnelle, doublée d’une grande fermeté dans les principes, lui ont permis de mener de main de maître les négociations les plus hardies qu’il conduisait toujours jusqu’à leurs termes. D’un calme olympien et d’une sérénité à nulle autre pareille dans les négociations, le Général parvenait toujours à inspirer la confiance à ses interlocuteurs. Nommé ambassadeur en Guinée Bissau, il fera juste un an à ce poste (mai 1999 – mars 2000) quand survient la première alternance politique au Sénégal en 2000. Il occupa les fonctions de ministre de l’Intérieur du gouvernement libéral (avril 2000-2002), puis fut envoyé à Londres en janvier 2004 comme ambassadeur. Auparavant, le Général Niang a occupé le poste de premier Président de l’Observatoire national des élections (Onel) (1997-98).
La carrière politico-diplomatique du Général Niang fut courte, mais couronnée de succès. Bien que n’étant pas diplomate de carrière, il avait réussi à hisser très haut le drapeau diplomatique de notre pays sur le toit diplomatique du monde. Comme il aimait à le dire, avec fierté «je ne suis pas un diplomate de carrière… La diplomatie, c’est une autre école de la discrétion, du tact, du doigté et de l’équilibre».
Au plan politique, le Général Mamadou Niang a écrit l’une des plus belles pages de l’histoire du dialogue politique dans notre pays.
Mais la question que l’on ne peut pas ne pas se poser est la suivante : comment le Général Niang a-t-il pu réussir à faire l’unanimité dans le monde si difficile et si complexe qu’est celui de la politique ? Répondre à cette question n’est pas chose aisée.
En octobre 2012, le Général Mamadou Niang a publié un livre qui retrace son parcours professionnel et les grandes étapes de sa vie : Mémoires synchrone du fleuve de mon destin. Cet ouvrage est d’une extrême richesse. Il fournit beaucoup d’informations sur sa personnalité, son tempérament, son caractère et sa philosophie de la vie. Le Professeur Babacar Kanté, qui a siégé avec lui du temps de l’Onel, a fait un témoignage en 2012, à l’occasion de la cérémonie de dédicace du livre, en déclarant qu’il est «un homme de qualité, mais rigoureux dans le souci du détail».
Personnellement, j’ai pratiqué le Général à deux époques différentes. La première, quand il était ministre de l’Intérieur, dans le cadre des concertations périodiques entre le ministère et les partis politiques sur le processus électoral. J’étais le représentant de la Ld/Mpt chargé des élections. La deuxième époque est plus récente, dans le cadre de la Commission politique du dialogue national qui a commencé ses travaux depuis le 6 mai 2019 à l’hôtel Ngor Diarama. Plénipotentiaire de la coalition Benno bokk yaakaar (Bby) représentant du Pôle de la majorité, je participais aux réunions de cette commission que présidait le Géné­ral jusqu’à la veille de sa disparition.
Plusieurs raisons peuvent expliquer le fait que tous les acteurs politiques se soient accordés à reconnaître que le Général Niang fut véritablement un homme de dialogue et de consensus.
Pour ma part, je retiens deux hypothèses.

La première : Une grande capacité d’écoute et d’observation.
Le Général Niang est un homme qui a le sens élevé de l’observation. Il est d’une très grande patience quand il préside une réunion. Il parle peu et il écoute beaucoup. Il préfère écouter attentivement un intervenant, plutôt que de prendre des notes. Il est doté d’une mémoire prodigieuse, et il s’efforce de connaître tous les participants à une réunion. Quand il distribue la parole, il appelle chacun par son nom de famille. Il peut rester assis des heures et des heures sans bouger. Quand quelqu’un intervient, même s’il sort du sujet ou s’il dépasse son temps de parole, comme cela arrive très souvent, il ne le coupe jamais. Il le regarde fixe dans les yeux pour ne rien perdre de ce qu’il dit. Le Général Niang savait bien «ce que parler veut dire», pour reprendre l’expression du sociologue Pierre Bourdieu. Derrière les «dits» d’un discours, c’est-à-dire ce qui se dit explicitement, il cherchait «les non-dits», c’est-à-dire ce qui ne se dit pas tout en se disant, car c’est derrière ce discours implicite, voilé, que se cache précisément la vérité de tout le discours. C’est pourquoi, malgré la complexité des questions en débat, les synthèses que tirait le Général étaient toujours de nature à rapprocher et réconcilier les positions au départ divergentes.

Deuxièmement : Un esprit ouvert et généreux. Un artisan de la paix et du consensus
Partout où le Général est passé, il a allumé la flamme de la paix. S’il a trouvé une flamme éteinte ou endormie, il l’a rallumée pour qu’elle devienne plus vive et plus étincelante. Il est un homme discret par nature et par exigence professionnelle. Il est d’une neutralité indiscutable, fiable et désintéressée qui rassure les acteurs politiques. Il a écrit : «Nous appartenons à un même Peuple qui est notre patrimoine commun, notre pirogue commune. Chacun doit y mettre du sien pour maintenir cette pirogue à flots pour que jamais elle ne sombre.»
Le Général Niang comparaît souvent la démocratie à un handicapé. Il disait, magnifique : «Autant un handicapé momentané a besoin de béquilles, autant un pays qui fait sa marche vers la démocratie en a besoin. Mais il faut souhaiter que tout cela s’efface et qu’on fasse des élections sans suspecter qui que ce soit.»
Si le Général Niang a pu réussir sa mission dans le monde difficile de la politique, c’est parce qu’il avait une profonde connaissance de la psychologie des acteurs politiques. A la question qu’un journaliste lui a posée, à savoir pourquoi les hommes politiques ne se font pas confiance, il a répondu : «Je ne sais pas. Mais ce que je sais, chacun, au fond de sa conscience, doit mériter sa confiance parce qu’il y va de sa propre crédibilité d’abord, de celle du pays et des institutions.»
Pour avoir passé 34 ans sous les drapeaux, le Général Niang est instruit par une longue observation des hommes et des situations. Aussi opère-t-il une distinction entre «l’homme politique» et «le politicien». Comme il le dit de façon pertinente : «Souvent le politicien est beaucoup plus prompt à critiquer. Aujourd’hui, il est pour ça, demain il est contre ça. Je fais vraiment la part des choses.»
C’est sans doute cette raison qui fait que le Général, quand il présidait une réunion, était très attentif aux interventions des uns des autres. Il ne manifestait aucun signe extérieur d’approbation ou de désapprobation. Parce qu’il sait que l’acteur politique est par définition un passionné par la politique, il invitait très souvent les uns et les autres à dépassionner les débats, à faire preuve de patience et de tolérance. Parfois les débats sont houleux, les esprits surchauffés, le verbe haut, avec des effets de manches, mais le Général arrivait toujours à faire baisser la tension, à faire rétablir la sérénité des débats. Il arrivait souvent, pour faire baisser la température élevée d’un débat, après concertation avec les membres de la commission cellulaire, de demander une suspension de séance pour permettre aux différends pôles de se concerter pour harmoniser les positions ou faire de nouvelles propositions. C’était salutaire parce qu’à chaque reprise après une suspension, le climat de travail devenait beaucoup plus serein, apaisé, et il y avait moins de théâtralisation
En définitive et en conclusion, nous pouvons dire que notre pays vient de perdre véritablement un authentique «homme de dialogue». Le Général Niang, a gravé son nom en lettres d’or dans les annales de l’histoire de la construction et de la consolidation de la démocratie sénégalaise.
Le Sénégal vient de perdre un puissant moteur de recherche sur le dialogue. Mais heureusement que le combustible qui alimentait ce moteur et le faisait fonctionner est toujours là, avec la Commission cellulaire composée d’hommes expérimentés et de grandes qualités tels que les éminents Profes­seurs d’Université Babacar Kanté et Alioune Sall, ainsi qu’un des monuments de la société civile sénégalaise Mazide Ndiaye, qui fut le président du Comité de veille du suivi des recommandations de la Mission d’audit du fichier électoral de 2010. C’est dire que la relève du Général Niang sera dignement assurée.
Ousmane BADIANE
Plénipotentiaire du pôle de la Majorité à la Commission politique du Dialogue National