Le 8 mars 2024, Tafsir, comme l’appelaient affectueusement ses amis, nous a quittés, en toute discrétion, comme il a vécu. En effet, le juge Tafsir Malick Ndiaye était d’une grande discrétion, d’une rare modestie et d’une générosité reconnue par tous. Mais, ce qui le caractérisait, par-dessus tout, était un esprit dense et une intelligence raffinée. Il était un juriste émérite et un juge de classe mondiale.

Après de brillantes études de Droit dans la prestigieuse Université de Paris X -Nanterre, il choisit de se spécialiser en Droit international public, domaine dans lequel il a soutenu une thèse de doctorat sanctionnée par les félicitations du jury. Il a obtenu le diplôme du Centre d’études et de recherches en Droit international et en relations internationales de l’Académie du Droit international de La Haye, et a simultanément occupé les postes d’assistant à l’Université de Paris X, Nanterre et au Collège de France dans la Chaire de Droit international du professeur René-Jean Dupuy.

Rentré au Sénégal, Tafsir dirigera le Centre d’études, de recherches et de documentation sur les institutions et les législations africaines (Credila) de la Faculté des sciences juridiques et économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il exercera, ensuite, les fonctions d’avocat-conseil et co-agent du gouvernement dans le différend ayant opposé le Sénégal à la Guinée-Bissau, au sujet de la délimitation de leur frontière maritime devant un Tribunal arbitral à Genève. Après plusieurs missions effectuées pour le compte de l’Organisation des Nations unies, il est devenu conseiller du gouvernement du Sénégal lors des négociations de la dette commerciale devant le Club de Londres.

Ses compétences en Droit international lui ont valu de nombreuses distinctions académiques, notamment celles de professeur à l’Académie de la Fondation internationale du Droit de la mer, professeur au Programme de renforcement des capacités dans le règlement des différends internationaux de la Nippon Foundation, membre du Conseil scientifique de la revue de Droit State Practice and International Law, membre des éminentes personnalités de l’African Center for International Law Practice (Acilp) et Membre d’honneur de la Société sénégalaise de Droit international (Ssdi).

De 1996 à 2020 (soit pendant 24 ans), son mandat de juge au Tribunal international de Droit de la mer (Tidm), à Hambourg (Allemagne), a été régulièrement renouvelé à l’issue d’élections internationales. En 2011, il a été élu, à l’unanimité, président de la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux pêcheries. A cet égard, il faut souligner sa participation déterminante à l’émission, par le Tidm, de son premier Avis consultatif, à la suite de sa saisine par la Commission sous-régionale des pêches (Csrp) au sujet (i) de la responsabilité de l’Etat du pavillon pour cause d’activités de pêche Illicite, non déclarée et non autorisée (Inn) effectuées par ses navires, et (ii) au sujet des droits et obligations de l’Etat côtier pour assurer la gestion durable des stocks partagés et des stocks d’intérêt commun. Cet avis, faut-il le rappeler, a, depuis lors, servi de modèle à plusieurs requêtes d’avis consultatifs déposées, notamment auprès de juridictions internationales, comme la Cour internationale de justice (Cij) ou la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, en matière de dégradation de l’environnement et de changements climatiques.

La contribution du juge Ndiaye au Droit international public en général et au Droit de la mer en particulier est incommensurable, tant il a produit des articles et ouvrages scientifiques de haute facture en Afrique et à l’étranger. Il a notamment publié dans des revues de Droit international en Chine dont la Beijing Law Review en 2019, et a été invité pour dispenser des cours à la Shanghai Ocean University et à la Shanghai University of Political Science and Law. L’on ne saurait épuiser la liste de conférences et autres colloques internationaux auxquels le juge Ndiaye a été invité et à l’occasion desquels il a exécuté des cours magistraux de Droit international public. Comme ses illustres prédécesseurs tels que Maître Doudou Thiam, membre de la Commission du Droit international (Cdi) de l’Organisation des Nations unies, le juge Kéba Mbaye, juge à la Cour internationale de justice, les professeurs Ibrahima Fall, Abdel Kader Boye et, plus récemment, le professeur Alioune Sall de la Cdi, le juge Ndiaye a largement contribué à renforcer la tradition et la réputation d’éminents juristes internationalistes sénégalais à travers le monde. Je pense que personne mieux que son frère et ami, le poète Amadou Lamine Sall, n’a décrit le juge Tafsir Malick Ndiaye, lorsqu’il écrit, dans un témoignage émouvant :
«Malick savait. Il en savait plus que nous.
De tels esprits ne meurent pas.
En nous Malick restera.»
Aboubacar FALL
Docteur en Droit, Avocat
Président de la Branche Sénégalaise
de l’Association de Droit International
NB : Pour consulter les publications du juge Tafsir Malick Ndiaye, merci de visiter la page Wikipédia qui lui est consacrée : https://fr.wikipedia.org