Amis, famille et cinéphiles se sont unis pour dire le nom de Khady Sylla. Ce geste qui arrache de l’oubli la réalisatrice sénégalaise disparue il y a dix ans, a précèdé la projection de deux de ses courts métrages, «Les Bijoux» et «Colobane Express», dimanche dernier à Pathé cinéma.Par Mame Woury THIOUBOU – 

Par l’écriture ou par les images, Khady Sylla a marqué son temps. Une empreinte que sa famille compte pérenniser par une Fondation Khady Sylla pour la littérature et le cinéma. Sœur et collaboratrice, Mariama Sylla a fait cette annonce au dernier chapitre d’un après-midi d’hommage consacré à la réalisatrice et écrivaine sénégalaise disparue en 2013, un 8 octobre précisément. A travers ses films, Les bijoux et Colobane Express, amis, famille et cinéphiles ont communié dans la salle du Pathé Cinéma où étaient diffusées ces œuvres. Mais surtout le public a scandé d’une seule voix, le nom de Khady Sylla, à la demande de sa sœur.
«Seuls sont morts ceux dont on ne prononce plus le nom», disait Senghor, cité par celle-ci. Ce dimanche, Dakar a rendu hommage à ce cinéma particulier que le critique d’art Baba Diop nomme «cinéma d’introspection», «de questionnement» ajoute le Pr Maguèye Kassé. Il est beaucoup question d’introspection dans les œuvres de Khady Sylla. Dans Les Bijoux, une courte fiction produite en 1997, Khady Sylla s’installe dans le huis clos d’une famille sénégalaise. «Ce soir, Absa a rendez-vous avec son prétendant.
Pour l’occasion, sa mère ressort de précieuses boucles d’oreilles. La jeune fille se prépare durant l’après-midi, entourée de ses trois sœurs et de sa mère. Celle-ci joue le rôle de lien entre ses filles dont les espoirs et conceptions de la vie divergent. Mais la disparition des boucles d’oreilles déclenche une crise. Autour d’objets comme les bijoux, les perruques, éléments de l’élégance, se trame tout un drame entre ces femmes vivant sous le même toit.» Le film questionne la société sénégalaise, les aspirations de sa jeunesse, ses défis.
«On n’est plus dans le cinéma, mais dans la réalité, le vécu et le quotidien des gens. C’est ce qu’elle a à dire qui intéresse Khady Sylla», souligne le critique de cinéma Baba Diop. Dans Les bijoux, apparaissent déjà les prémices de son documentaire choc sur la question des domestiques, Le monologue de la muette. Ici aussi, une des sœurs prend la défense de la domestique accusée de vol et comme par hasard, l’idole de celle-ci dont le poster est affiché sur le mur, est la réalisatrice elle-même.
Sur une initiative de Mariama Sylla et Fama Ndiaye, l’hommage à Khady Sylla a permis de projeter également une autre œuvre de la réalisatrice. Colobane Express est un succulent road movie à bord d’un car rapide. Ce véhicule emblématique de la capitale sénégalaise est aussi un lieu d’interactions sociales. Et Khady Sylla arrive parfaitement à plonger le spectateur dans les différents visages de ce Sénégal des petites gens comme disait l’autre, ces Sénégalais qui investissent ce type de transport, les femmes en premier. Elles sont les premières à monter dans le car dès l’aube pour aller vendre quelques produits au marché. Et leur défilé tout au long de la journée, documente leur vie et leurs combats. Le car rapide, c’est aussi le transport de cargaisons aussi inattendues que des poulets. En somme, Colobane Express est une plongée dans les profondeurs de la société sénégalaise, aux limites du documentaire et de la fiction. «En ce temps-là, il nous a fallu être inventif pour tourner à l’intérieur du car. On a littéralement créé un dispositif adapté.
Le car rapide, c’est le Sénégal, et il temps d’en faire un objet muséal», souligne Mariama Sylla. Au cours de ce mois d’octobre, quatre autres séances sont prévues pour rendre hommage à Khady Sylla. Le Centre Yennenga, le Lycée Lamine Guèye, Ex-Van Vo où elle a fait ses humanités, et Kër Yadikoon recevront ces séances.

De l’écriture au cinéma
«Je suis venue au cinéma par l’écriture», raconte la réalisatrice dans un extrait d’un film réalisé par Mamadou Ndiaye. Khady Sylla dont la mère travaillait aux Actualités sénégalaises et auprès de Sembène Ousmane, a grandi sous l’ombre des principaux animateurs du cinéma sénégalais post-indépendance. «Le premier film de ma vie, c’est Petit mari de Paulin Soumanou Vieira. Et je me souviens du ruissellement de l’image sur ce drap blanc, c’était magique», raconte-elle dans le film. Elève intelligente et douée, Khady Sylla intègre Hec Paris. Mais très vite, elle se retrouve à Hypokhâgne. Une licence de philosophie en poche, elle se tourne vers les lettres. Son ouvrage Le jeu de la mer est publié en 1992. Plus tard, elle écrit un scenario avec Jean Rouch, une adaptation qui n’a pas été réalisée. Mais, rassure Mariama Sylla, le projet n’a pas été enterré, mais porte désormais un nouveau titre : Les filles de l’eau. Et «c’est un film à faire». En un demi-siècle de vie, Khady Sylla a laissé à la postérité des œuvres puissantes et dont le retentissement ne risque pas de s’estomper. Fenêtre ouverte, le documentaire qui traite de la maladie mentale, est un de ces chefs-d’œuvre qui resteront encore longtemps gravés dans les mémoires.
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