Hommes forts et instabilité dans la Cedeao

Alors que la situation à Bissau n’est pas encore totalement stabilisée, Cotonou et Porto Novo ont connu des moments difficiles il y a deux jours. L’Afrique de l’Ouest, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui était, il n’y a guère, un modèle de stabilité dans un continent africain en proie à de nombreuses turbulences, est en passe d’en redevenir le ventre mou. Si la situation des pays sahéliens comme le Mali et le Burkina Faso pouvait s’expliquer par les poussées identitaires et par la percée de l’islamisme radical, si les erreurs de la gouvernance de Alpha Condé l’ont de manière quasi-naturelle, poussé à l’abîme que lui avait dressé son poulain Doumbouya, il est difficilement acceptable de voir un dirigeant poussé vers la sortie avant la publication des résultats des élections démocratiques, comme en Guinée-Bissau. Pire encore, un Président qui a pris toutes les dispositions juridiques pour abandonner le pouvoir à la fin de son mandat, dans moins de 6 mois, a failli faire l’objet d’un coup d’Etat. Une situation que le Bénin n’avait plus connue depuis des années, quand le Président Mathieu Kérékou a accepté de céder le pouvoir à l’issue d’élections démocratiques organisées après la Conférence nationale souveraine de 1990.
Si le coup d’Etat dont a été victime le Président Umaro Cissoco Embalo n’a pas vraiment ému dans les chancelleries, c’est que l’évolution de la situation dans ce petit pays voisin du Sénégal n’était déjà pas rassurante. Le chef de l’Etat sortant ne présentait pas de signe d’être disposé à rendre le tablier à l’issue de son mandat. Il lui a fallu longtemps pour finir par accepter de tenir un scrutin plus ou moins acceptable par toutes les parties.
Mais même cela n’a pas suffi. Les observateurs sur place ne s’étonnent pas que le coup d’Etat soit intervenu de la manière dont les choses se sont passées. Il se dit qu’aucune des parties n’était disposée à accepter une victoire du camp d’en face. Les militaires qui ont renversé le Président sortant ont, en quelque sorte, permis de sortir de l’impasse par le haut. Cela a donné lieu à une cacophonie qui a poussé certains à remettre en cause l’idée d’un véritable putsch.
Mais la situation est telle dans la sous-région que des soudards béninois ont sans doute espéré réussir le même coup à Cotonou. Déjà, des acteurs politiques se plaignaient que le chef de l’Etat sortant avait préparé sa sortie en se garantissant une succession sur mesure, après avoir éliminé des adversaires jugés trop dangereux. Beaucoup de Béninois n’ont pu comprendre que l’un des partis les plus importants, Les Démocrates, de l’ancien président Thomas Yayi Boni, ait pu être écarté de la course à la Présidentielle pour défaut de parrainage. Tout cela a pu apparaître comme des manœuvres pour favoriser un candidat -le dauphin désigné- au détriment des autres. Cette situation a pu nourrir des frustrations qui auraient pu aboutir à des violences à la veille des élections, ou même après. Les militaires ont voulu profiter des ressentiments des acteurs politiques et sociaux pour se réintroduire dans le jeu, et remettre ainsi une longue parenthèse démocratique de plus de trente ans.
Il n’empêche que, malgré son échec, le coup d’Etat a mis à jour de grosses failles dans le système démocratique béninois. Le Président Talon a encore assez de temps pour corriger certaines choses. Une fois le coup réprimé, sa première annonce a été celle de la répression. Cela était acceptable, à condition que le ton puisse être celui de l’apaisement et de la réconciliation.
La situation du Bénin est un reflet de ce qui pourrait arriver dans toute la sous-région. La Côte d’Ivoire n’a retenu, de ses années de braises de 2000 à 2011, que la meilleure manière de réprimer ses adversaires politiques tout en s’évitant des ingérences extérieures. Les hommes qui ont renversé Laurent Gbagbo pour déni démocratique n’ont rien fait de mieux que faire ce qu’ils ont reproché à leurs adversaires -en pire.
Le Président Roch Marc Christian Kaboré a perdu le pouvoir quelques mois après une réélection démocratique, sous le prétexte qu’il ne parvenait pas à combattre la rébellion jihadiste. Un second putsch l’année suivante a permis d’enfoncer encore plus le pays dans la spirale incertaine de l’instabilité sociale et politique. La même situation s’est reproduite au Mali et au Niger. Des «hommes forts», habillés en Kaki et portant des armes en bandoulière, ont voulu vendre à une bonne partie de la jeunesse africaine l’image de sauveurs du continent. Bien de mois après, ils n’ont en rien amélioré la situation de leurs pays, et n’ont fait que favoriser l’occupation de leurs territoires par des prédateurs étrangers, différents de ceux que l’Afrique a connus à ce jour.
En fait, il n’y a que les pays de l’aire anglophone qui parviennent encore à préserver un tant soit peu le vernis démocratique. Malgré leurs multiples défauts, les processus démocratiques en Sierre Leone, au Liberia, au Ghana et au Nigeria ont permis des alternances politiques qui ont favorisé l’émergence de nouveaux leaders. Ce ne sont pas des hommes providentiels, et ils ne cherchent même pas à se présenter comme tels. Mais ils permettent à la machine politique de continuer à fonctionner, autrement que par des tripatouillages électoraux comme au Togo, autre pays à la stabilité politique inquiétante. Une situation qui n’est pas tellement éloignée de celle des militaires des pays francophones qui ramènent leurs pays aux périodes postindépendances.
Il est d’ailleurs inquiétant de voir que des dirigeants légitimement élus, comme ceux du Sénégal, aient pu éprouver une quelconque attirance envers ce qui se passe dans la zone Aes, le plus grand miroir de l’échec démocratique de l’Afrique de l’Ouest. Le plus paradoxal est que les dirigeants de cette zone semblent se méfier de ces «révolutionnaires souverainistes». Et c’est rassurant pour nos populations qui éviteront sans doute ainsi le joug de nouveaux hommes forts.
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn

