Après plusieurs années d’absence, Alune Wade retrouve la scène dakaroise pour deux concerts à Dakar et Saint-Louis. A quelques heures de sa prestation, le prodige de la guitare a accepté de partager une part de ce qui fait son univers musical. De ses expériences avec Joe Zawinul, Marcus Miller jusqu’à ses aventures en terre cubaine, c’est en toute simplicité que Alune Wade se raconte et jette un regard sur la musique sénégalaise.

Qu’est-ce que ça fait d’être de retour au pays ?
Je n’ai jamais quitté kay. Je viens souvent au Sénégal et je dis que je n’ai jamais quitté. C’est une pression positive et c’est un plaisir énorme de jouer devant mon public et ma famille.

Votre dernier concert ici remonte à quand ?
J’ai joué au Sénégal en 2016. C’était lors de la 25e Edition du Festival de jazz de Saint-Louis. Mais à l’institut, c’était en 2007. J’avais organisé le Festival Jazz à Gorée et j’avais joué avec Paco Sery, Oumou Sangaré et Cheikh Tidiane Seck. Mais en tant que leader, c’était en 2007.

A propos de ce festival, ça n’avait pas été un succès. Il y avait beaucoup de problèmes. Etes-vous prêt à recommencer cette expérience ?
Bien sûr. Pour moi, c’était un succès parce que je l’ai fait. Pas financièrement, mais le fait de rassembler tous ces artistes, c’était un succès. Mais après, c’est dommage parce que je ne vais pas dire que le Sénégal n’a pas suivi, mais certaines personnes n’ont pas suivi. Les gens n’ont pas compris la vision de ce festival et c’est dommage de ne pas répondre à un évènement pareil. Gorée, c’est le premier lieu qui mérite son festival de jazz. Certainement, je ne sais pas quand, mais on va y revenir. Ça va être à Gorée ou quelque part à Dakar. Parce que Dakar doit avoir un festival majeur. Dakar a toujours été leader en musique ou dans la vie culturelle en Afrique. Il ne faut pas perdre cet avantage.

African Fast Food est votre 4e album sorti en 2018. Quelle était la spécificité de cet album-là ?
Je pense que c’est la maturité. Entre temps, j’ai croisé d’autres musiciens comme Leo Genevese, un pianiste argentin qui vit à Brooklyn et qui est venu avec son expérience et sa richesse musicale. Il y a eu à la batterie Mokhtar Samba qu’on connaît et le trompettiste qui est malgache. J’ai pris des musiciens un peu partout. African Fast Food, c’était tellement naturel dans le studio. Chacun avait le droit de donner son avis pour la constitution de l’album.

Par rapport au titre, l’image de solidarité, d’ouverture, de l’Africain que vous prônez, quelle est la philosophie de l’album ?
C’est un devoir de parler de l’Afrique, de ne pas parler que de Dakar ou du Sénégal. C’est une force et une richesse et il ne faut pas qu’on s’en prive. Ça a toujours été mon combat depuis l’album Mbolo. Il n’y avait pas que de la musique sénégalaise, il y avait de la musique congolaise et d’autres aussi. African Fast Food, c’est pareil. Mais c’est plus Afrique de l’Ouest comme Ghana et Nigeria avec de l’afrobeat et du highlife. Il y a du jazz aussi et un titre qui a été écrit par le rappeur Oxmo Puccini. J’ai fait un autre titre avec Oxmo et c’est du smooth jazz, un hommage à Miles Davis qui s’appelle How many Miles et c’est Oxmo qui m’a fait l’honneur de placer sa voix dessus.

Certains vous ont surnommé Marcus et vous avez même chanté dans son album. Comment s’est faite la rencontre ?
Marcus Miller, on s’était vus en Pologne. Il y avait un évènement qui a beaucoup participé à ma carrière. J’y ai rencontré Genevece qui est devenu mon pianiste et qui fait beaucoup de tournées avec moi. Il y avait Marcus Miller qui était venu jouer avec l’orchestre philarmonique, Herbie hancock et Wayne Shorter. Je suis allé directement dans sa loge. Je lui ai expliqué. Il m’a dit : «Ecoute je prépare un album.» Finalement, il m’a dit : on va le faire à Paris. J’ai dit : «Ne t’inquiète pas. Paris c’est la meilleure place pour faire de la musique africaine.» Et il m’a dit est-ce que je peux contribuer, aider à la direction musicale, faire le casting des musiciens ? Je lui ai filé ma carte. A l’époque, mon adresse mail, c’était wademarcus. Il m’a dit pourquoi Marcus ? Je lui ai expliqué et il était ému. Après, on est devenus proches. On s’envoie des textos, on s’appelle. J’ai réalisé quelques titres de l’album, je crois trois titres, et c’était vraiment un succès cet album.

Quel regard jetez-vous sur la musique sénégalaise ?
Il y a de belles choses, le talent est encore là. Même s’il y a des choses moins bonnes aussi. Mais c’est comme partout. Dans les années 40, 50, le Bebop n’était pas accepté. Avant cela, il y avait eu le jazz, le boggie et des musiciens comme Count Basie qui le jouaient. Même la musique disco n’était pas acceptée dans les années 80. David Guetta n’est pas accepté partout. Moi c’est pour ça que j’ai toujours eu du mal à critiquer une musique. Juste pour respecter les gens qui arrivent à écouter et aimer, je ne peux pas dire… Il y a bien sur beaucoup de choses à revoir mais tout n’est pas mauvais dans le mbalax. Et il faut plutôt dire les musiques sénégalaises parce qu’il y en a plein. La musique sénégalaise est plus wolof et c’est venu bien après. Il y a d’abord eu la musique cubaine et ils ont remplacé les kongas par des sabars. Et c’est devenu après cette musique populaire mais en Casamance, à Kidira, on a autre chose. Par contre, c’est aux musiciens de vulgariser ces musiques qui ne sont pas écoutées. Et aux radios. La musique manjaque est super et ils doivent aussi avoir leur place. Il y a de très bons chanteurs mbalax, des percussionnistes et moi, j’aime beaucoup. Mais il faut peut-être une direction plus clean pour que ca soit plus accessible pour le Japonais et l’Américain. Mais c’est très complexe notre musique. Moi j’ai joué pendant très longtemps avec Mbaye Dièye Faye au Songma rythme, mais j’ai beaucoup appris avec Mbaye et ses frères.

Une reconnaissance mondiale, africaine mais moins sénégalaise ?
Quand je partais à Paris, le rêve, c’était d’être connu. Après ça change. On veut être reconnu. Je pense que ça va juste prendre le temps qu’il faut. C’est vrai que je n’ai pas vraiment travaillé dessus au niveau local. Quand je quittais le Sénégal, j’étais connu comme bassiste. Et on m’appelait Boy Marcus. C’est à moi de faire ce travail, d’aller voir les medias pour vulgariser ma musique. Ça va venir, ce n’est pas comme le sport.

Est-ce qu’on peut s’attendre à un album avec Hervé Samb, Julia Sarr ou ces grands noms de la musique éparpillés un peu partout ?
Bien sûr. Hervé on se fréquente tellement. C’est mon voisin en fait et on joue très souvent ensemble. C’est peut-être parce qu’on est toujours ensemble qu’on n’a pas encore eu l’idée de faire un album ensemble avec Cheikh Diallo et d’autres mais c’est une belle idée.

Vous avez aussi joué avec Joe Zawinul. Qu’est-ce que ça vous a appris de collaborer avec tous ces grands noms ?
Ce que je suis devenu aujourd’hui. Ça m’a appris cette musique que je joue maintenant. Ça m’a appris même ma façon de faire. Jouer avec Joe Zawinul, ça ne m’a pas appris seulement sa musique, mais sa conception, sa façon de voir la musique. Comme eux ils ont appris de Miles Davis. C’est ce que j’ai appris de Joe Zawinul, Marcus Miller, Paco Sery et Cheikh Tidiane Seck. D’ailleurs quand je compose, on peut l’entendre dans ma musique qu’il y a du Joe, il y a du Marcus, du Paco, du Youssou, du Salif, du Ismaïla, tout le monde quoi.

Quel est votre processus de création ?
Waw ! A partir de la basse, quand je dors ou qu’une mélodie me traverse l’esprit, je me lève, je branche ma guitare. Ça peut être un oiseau aussi. Quand je compose, je ne me dis pas que l’instrument va être la basse, le piano. C’est plus au feeling quoi. C’est vraiment naturel.
Jusqu’où on peut pousser votre ressemblance avec Marcus Miller…
(Il coupe) Ce n’est pas le même chapeau hein. (Puis Pensif) Ressemblance, je ne sais pas. C’est bien d’avoir quelqu’un comme Marcus mais je ne suis pas venu pour être le doublon de qui que ce soit aussi.

African Fast Food, il y avait un concept derrière ?
Non, c’était juste l’ambiance qui règne dans les maquis à Abidjan, dans nos clandos ici au Sénégal où on parle de tous les sujets. La politique, la lutte, le mariage d’avant-hier, etc. C’est tout ça qu’on peut retrouver dans African Fast Food je pense. Je la porte aussi en moi cette Afrique qui est très positive et colorée et je la traîne partout.

Vous n’avez que deux dates au Sénégal. Hier au Centre culturel de Dakar et aujourd’hui à Saint-Louis ?
Oui. Je ne sais pas quand, mais il y en aura d’autres inchallah.

C’est un choix d’avoir des gens de différents horizons dans votre groupe ?
Oui mais je ne me dis jamais je vais avoir un batteur zimbabwéen ou autre. Ca dépend de la personne, de ce qu’elle dégage, ce qu’elle a comme expérience. Parce que j’attends aussi quelque chose d’eux. On ne joue jamais pareil, ce n’est pas le même groove mais quelque part, on se retrouve. Le fait d’avoir tous ces gens dans le groupe, c’est une richesse.

Quand on est le fils du Commandant de la musique principale de l’Armée, comment on vit le défilé ?
Ça me rappelle beaucoup de choses parce que moi je l’attendais à la maison. Quand il faisait ses trucs, après moi je récupérais la veste et je faisais moi aussi mon défilé avec mon petit frère derrière. Il était très impliqué. Du coup, on ne le voyait pas souvent à la maison. Tout le temps, il écrivait, faisait ses partitions. Il était dans son monde.

Vous avez pris quelque chose de lui ?
Forcément, c’est le papa. Il vous donne une éducation. Il vous montre le chemin mais il ne m’a jamais dit il faut être comme ça. Quand j’ai décidé d’arrêter les cours il m’a dit : «Ok. Mais il faut que tu sois sérieux dans ce que tu fais.»