La Maison des cultures urbaines (Mcu) de Ouakam vient de boucler sa première année d’existence. Son administrateur, Amadou Fall Ba, retrace l’aventure de cette maison dédiée aux acteurs des cultures urbaines. Malgré la jeunesse de l’infrastructure, elle reste tout de même marquée par les difficultés. Des difficultés notamment financières qui ont découlé de l’incarcération du maire de Dakar Khalifa Sall. Selon Amadou Fall Ba, l’heure est venue de dépasser les peurs et la Mcu en donne l’exemple avec son modèle économique qui lui a permis de continuer à fonctionner.

La maison des cultures urbaines dont vous êtes l’administrateur a fêté sa première année d’existence. Quel bilan tirez-vous de cette année d’activités ?
Ce qu’on peut retenir, c’est un challenge, un défi qu’on a eu à relever parce qu’on a trouvé un bâtiment vide (les locaux abritant le Mcu) dans le vrai sens du terme et on a mis du contenu. Au départ, il y avait un budget de fonctionnement, on pouvait travailler, rénover le centre, faire des installations en pensant que ça allait décoller. Malheu­reusement, il y a eu des soucis. Tout le monde sait ce qui c’est passé en 2016, (Ndlr : arrestation du maire de Dakar, Khalifa Sall, principal bailleur de la Mcu). Il y a eu une rupture de financement au niveau de la Ville de Dakar due à des problèmes politiques. N’empêche, nous sommes des créatifs, nous devons toujours trouver des solutions alternatives par rapport à tous ces problèmes. On a essayé de les contourner et on a réfléchi trois ans. Depuis 2016, on n’a pas de budget mais on a maintenu le cap, on a trouvé d’autres sources de revenus en contactant nos partenaires. On a joué sur nos réseaux, les affinités qu’on a avec les gens. Je vous rappelle que la Mcu, c’est une gestion collégiale. Nous sommes sept associations et si chaque association apporte trois projets ça fait vingt-et-un projets pour le mois, ce n’est pas aussi compliqué. Et ce qu’on fait, au lieu d’organiser des évènements, on en accueille. Si un artiste veut faire une conférence de presse, on met la salle à sa disposition, un artiste veut faire son album, on l’accompagne avec le studio, les expositions, etc. La technique a marché puisque durant les 365 jours, il y eu cent jours d’activités à la Mcu.

Qu’elles sont ces associations qui prennent part à la gestion collégiale de la Mcu ?
En décembre 2013, nous étions sept associations à discuter avec le maire de Dakar Khalifa Sall pour construire la Mcu, un projet conjoint entre la Ville de Dakar et une partie de la communauté des cultures urbaines du Sénégal : Didier Awadi avec Studio Sankara, Matador avec Africulturban, Simon avec 99, Gacira Diagne avec Kay fecc, Docta avec DoxanDem Squad, Safouane Pindra avec Yakaar et moi Amadou Fall Ba, je suis dans Africulturban mais dans le projet, je représente le collectif Ucc (Urban culture consulting).

C’était facile de gérer tout ça ?
C’est une prouesse ! Ce n’était pas facile de gérer un bâtiment aussi grand que la Mcu. On a repeint le bâtiment, l’eau fonctionne, l’électricité, les toilettes. Le studio d’enregistrement est là, la salle de répétition, les bureaux, la salle de projection. Et, dans la grande salle, il y a un fond vert. Les gens y tournent des vidéos, de la publicité et la salle des Dj abrite une formation qui prendra fin au mois de juin. Même sans budget, les choses fonctionnent.

La structure dont vous êtes le coordonnateur, Africulturban, occupe une place importante dans l’espace des cultures urbaines à Dakar, au Sénégal. Quel est le poids réel d’Africulturban dans le mouvement hip-hop au Sénégal ?
C’est nous qui faisons le Flow Up depuis sept ans non-stop. Depuis treize ans, nous organisons le Festa 2H. Et depuis trois ans, on a initié un projet qui s’appelle Youth Urban Media Academy (Yuma). On a produit des artistes notamment Mc Mo, l’album de Adel J, on s’apprête à faire un album de Slam. On a organisé les 30 ans du Hip-hop au Sénégal et le Battle de Dj. On a aussi fait, Yarakh Focus, notre première édition de festival hip-hop à Yarakh. On a accompagné beaucoup de gens sur la rédaction de projets pour le Fonds de développement des cultures urbaines (Fdcu). On ne communique certes pas sur ce que nous faisons, mais à Africulturban, nous travaillons du lundi au dimanche sans relâche. Beaucoup de gens se perdent entre Africulturban et Mcu. Puisque moi, je suis dans les deux pôles, ils pensent que c’est la même structure. En réalité, c’est totalement distinct. A Mcu, nous sommes dans la ville de Dakar or Africulturban est une association nationale. A la Mcu, si nous avons un budget X, on ne peut pas mener une activité à Pikine Guinaw Rail ou Rufisque sauf s’il y a un lien entre les artistes de Dakar et de Rufisque, c’est la loi de la décentralisation qui le stipule. Et, comme on est transversal, on essaye de couvrir les 19 communes même si ce n’est pas facile. Lors de l’Urban Week, on avait des artistes de diverses communes : Karbala de Grand-Yoff, 4 Leuz est entre Gorée et Thiès, Omg de la Médina, Aïda Sock Sicap, Awadi, Omzo Dollar, Nix, Malal Talla, même s’il est de G hip-hop, il habite à Ouest-Foire, Simon, Ada Knibal, Diélleu Benz de Plateau, Tnt Grand-Dakar, etc.

Au-delà de la capitale, qu’avez-vous fait à Africul­turban sur le plan national ?
On inspire les jeunes des régions et autres. En plus, il y a pas mal de jeunes qui m’envoient des dossiers pour que je les corrige, leur donne mon avis. Il y a des jeunes de Bignona, Tambacounda, Kédougou et Kolda, je les ai mis en relation avec un organisme italien qui veut faire des activités avec des jeunes de ces localités. Au départ Africulturban avait des antennes à Kaolack, Joal, Bignona, Tambacounda. Par la suite, on a demandé à ces gens d’être plus ou moins indépendants, de rouler seuls parce que dans le Hip-hop, on ne demande jamais la parole, on la prend. Pour moi c’est aussi simple que ça. Il ne faut pas que les jeunes des régions attendent que tout leur vienne de Dakar, le Hip-hop c’est le hurdler (self made man) dans le vrai sens du terme. On ne peut pas rester à attendre des subventions. La Mcu au départ, il n’y avait pas d’argent, au milieu de l’aventure, il y avait de l’argent mais après il n’y a plus eu d’argent et pourtant ça continue. Il faut juste utiliser les têtes, arrêter de se plaindre et faire bouger les lignes, c’est tout.

En tant qu’acteur des cultures urbaines, qu’elle lecture faites-vous sur le mouvement hip-hop au Sé­négal ?
Il n’y a pas beaucoup de changement dans le hip-hop sénégalais. C’est toujours les mêmes têtes, les mêmes artistes qui font le buzz. On a du mal à voir les autres émerger. Il y a certes une nouvelle génération, mais ce sont deux, trois têtes qui sortent du lot et les autres se maintiennent comme ils peuvent. Alors qu’on pouvait avoir dix artistes qui remplissent des salles, font des tournés, etc. Mais c’est tellement compliqué. Il y a beaucoup de maillons qui manquent à partir de la création jusqu’à la distribution du produit. La publicité, la production, la création, tout cela manque. Ce n’est pas le fait seulement d’avoir des studios. Ici, j’essaie de développer une nouvelle technique. Chaque mois, j’amène un artiste qui a la carrure de Dip Dound Guiss avec 500 personnes soit 2000f Cfa l’entrée, ça me fait un million. Je paie 500 mille à l’artiste et le reste je le distribue entre les gars du son, de la lumière, etc. C’est un business. Imaginez si je le faisais chaque semaine ? Notre mission, c’est aussi d’accompagner les jeunes artistes en leur ouvrant les portes. J’ai expérimenté cela lors de l’anniversaire de la Mcu. Un concert hip-hop qui n’a pas duré mais les gens étaient contents, il y avait une bonne ambiance. C’est cela qui manque maintenant. Les gens sont dans des délires de fans en disant si ce n’est pas un show de Dip, Omzo Dollar ou Canabasse, je ne viendrai pas. Or, il y a plus d’une centaine d’artistes. Il faut venir découvrir, mélanger plusieurs artistes. C’est à nous de faire une pédagogie au niveau du public. La remarque est que nous faisons des efforts pour démarrer vers 20h 30 et terminer au plus tard à 0 h. Si tu le fais deux, trois fois, les B Boys (personne dévouée à la culture hip-hop) viendrons à l’heure. Mais faire un concert jusqu’à l’appel du muezzin avec le voisinage, ce n’est pas correct. C’est à nous les acteurs de faire une certaine pédagogie au niveau des artistes parce qu’il y a beaucoup d’entre eux qui n’ont pas joué lors du Urban One Week parce qu’ils n’étaient pas venus à l’heure. Les artistes doivent respecter les organisateurs, les organisateurs le public et le public les artistes. Si on le fait, les choses changeront. Il n’y a pas de secret ni de formule magique qui consiste à dire que si l’on fait ça, le Hip-hop va marcher. On a la Mcu, chaque mois on tient une activité. Si les gens paient, on paie les artistes et toute l’équipe. Mais il faut que le public participe. Les cultures urbaines ne sont pas gratuites, les artistes doivent vivre de leur art. Et nous organisateurs de ces activités, si on n’arrive pas à vivre de nos activités, le mouvement va mourir de sa belle mort. C’est tout.