Horizon – Amath Niane, Directeur de la photo, président de l’Atacs : «Le manque de moyens ne nous empêche pas d’être créatifs et de raconter nos histoires»

S’il faut parler d’une montée en puissance dans le cinéma africain, celle de Amath Niane, Directeur de la photo, est à coup sûr à marquer. A Ouagadougou, son nom est présent sur nombre d’affiches de film. De «Une si longue lettre» de Angèle Diabang à «Yambo Ologuem, la blessure» de Kalidou Sy ou «Catchers» de Derwha Kisunzu, Amath Niane est l’artisan de ces belles images qui ont sublimé le travail des réalisateurs.Ces dernières années, vous êtes en train de monter en puissance dans le cinéma africain. C’est le fruit de beaucoup de travail sans doute, mais quelle est votre méthode ?
La méthode est simple certes, mais elle est très rigoureuse. Parce qu’à mes débuts, j’avais constaté qu’il n’y avait que des Européens qui étaient là pour certains postes de responsabilité, que ce soit les chefs opérateurs, les ingénieurs du son, et la post-production se faisait ailleurs aussi. Et quand j’ai commencé à faire du cinéma, j’ai vu que l’image était un peu le maillon faible. On a eu des chefs op dans le temps. Mais ma génération, on n’avait pas de vrais chefs op. Je me suis dit que j’allais m’investir dans ce domaine. J’ai fait des études, je me suis spécialisé en image. J’ai persévéré, je n’ai pas lâché. Aujourd’hui, les gens me font confiance et je tourne un peu partout à travers l’Afrique.
Avant même d’aller à l’Esav (Ecole de cinéma au Maroc), vous saviez que vous vouliez vous spécialiser en image ?
Pour la petite anecdote, j’avais un grand-père qui était parti à La Mecque. A son retour, il m’avait offert un petit appareil qu’on appelait «Photo Macca», où on voyait les images défiler. Plus tard, j’ai eu un petit appareil avec le numérique et je faisais les photos pour mes camarades. A l’école, je me suis dit que je voulais être réalisateur comme tout le monde. Mais quand j’ai fait ce constat, je me suis dit non, on manque de gens dans ce domaine et il faut le combler. Ma philosophie est très claire : le point de vue est très important. C’est une question de regard, de souveraineté. Je me suis dit, autant me perfectionner en images et pouvoir raconter à travers nos images, et accompagner des productions, des réalisateurs, des réalisatrices.
En tant que Directeur de la photo, vous arrivez à mettre cela dans les films auxquels vous participez ?
Oui. Surtout avec les films d’auteur. On est impliqué depuis le début du processus. On apprend à connaître ceux avec qui on va travailler. On discute, on mange ensemble. Après, arrive l’étape de la production. On est impliqué, on lit le scénario, on discute. Et puis il y a l’étape de la préparation. On va faire des repérages. Mais l’étape la plus importante, ce sont les discussions autour de l’esthétique, de l’artistique, comment on veut montrer telle chose exactement. Comme par exemple, on est une société orale, comment filmer la parole, comment filmer le contre-jour. On a du soleil 365 jours et ce soleil-là, il tape dur, donc comment arriver à l’apprivoiser. Ce sont des choses sur lesquelles je discute avec la production, avec le réalisateur ou la réalisatrice. Donc naturellement, ça va déteindre sur le travail que je fais.
On dit que c’est difficile de filmer la peau noire. C’est une légende ou c’est réel ?
C’est difficile pour ceux qui ne savent pas filmer la peau noire. Moi, c’est mon environnement immédiat. J’ai appris à dompter cette peau noire, à l’observer, à la regarder. Les brillances sur les peaux noires, ça ne me gêne pas exactement. Pour les autres qui ne sont pas Africains ou qui ne sont pas noirs, peut-être que ça leur pose problème. Mais pour moi, c’est tout à fait naturel, je prends plaisir à éclairer des peaux foncées, des peaux noires. Par contre, j’ai un souci pour éclairer des peaux blanches. Je fais un réapprentissage quand il faut éclairer une peau blanche, je fais des tests. Il faut se préparer parce qu’il y a des variations au niveau des peaux. Il y a des peaux basanées, foncées, plus foncées, claires. Toutes ces tonalités-là, il faut vraiment savoir. Par exemple, quand je viens à un tournage, je vais voir le casting aussi, pour voir qui sont les personnages, comment les éclairer, est-ce que ce sont des peaux qui captent bien la lumière ou ce sont des peaux difficiles à éclairer. Parce que souvent, il y a des gens qui sont très difficiles à éclairer. Quand on parle de caméra, c’est la lumière. La lumière, c’est une onde électromagnétique, ce sont les rayons qui nous arrivent. Quand il n’y a pas de lumière, on ne peut pas faire de photo.
Vous avez été le Directeur de la photo sur «Une si longue lettre» de Angèle Diabang, et il y a beaucoup de gros plans dans le film. Comment avez-vous travaillé ?
Avec Angèle Diabang, on a discuté du découpage technique. On a tourné dans des décors naturels, et ce n’était pas évident. L’utilisation de gros plans, ça s’explique parce qu’on voulait matérialiser certaines émotions. On est parti sur des plans très rapprochés pour rester dans l’intimité des personnages, sans les gêner. C’est ce qui explique la pluralité de ces gros plans. On ne pouvait pas les regarder de très loin, on était obligé d’être avec eux, et la caméra fait partie intégrante des personnages.
Dans cette collaboration entre réalisateur et Dop, qu’est-ce qui est le plus important pour vous ?
Pour moi, ce qui est le plus important, c’est la discussion. Il faut vraiment discuter. Le réalisateur m’amène des références, j’en fais de même. Bien sûr, après l’étude du scénario, après la discussion sur l’esthétique, sur l’artistique, on dit qu’on va essayer d’explorer telle voie. Et pour explorer cette voie, on a une matière sur laquelle on peut s’appuyer, c’est l’histoire du cinéma, l’histoire de l’art contemporain, l’histoire de l’art tout court. Souvent, il y a des gens qui vont citer la Renaissance, un style baroque, un peintre comme Matisse, et on essaie de reproduire ce type d’images. Donc il faut de la culture générale, sinon faire des recherches iconographiques.
Là, au Fespaco, vous avez organisé, avec quelques Dop, une table ronde. Il y avait un cri du cœur à lancer ?
On ne peut pas avoir un festival comme le Fespaco et négliger un point très important, un maillon très important, les gens qui fabriquent les films, les techniciens en général. Mais cette année-ci, on s’est dit qu’il faut qu’on nous donne une tribune pour qu’on puisse partager nos expériences avec les plus jeunes, avec les aspirants, avec ceux qui veulent faire de l’image plus tard. Donc, c’est la raison pour laquelle on a frappé à toutes les portes. Moustapha Sawadogo et Alex Moussa Sawadogo du Fespaco nous ont permis d’avoir cette rencontre avec nos confrères, avec nos jeunes frères. Il y avait moi-même, Renaud du Tchad et Abdelaziz Diallo. Donc à trois, on a partagé nos regards, nos expériences.
Et là, quelles sont les difficultés pour les techniciens du cinéma africain ?
Elles sont nombreuses. C’est le manque de moyens, les conditions de travail. La plupart du temps, on fait des films avec de petits budgets, de très petits budgets. Donc on n’a pas une bonne marge de manœuvre. Mais ces contraintes-là nous poussent à nous réinventer, à être beaucoup plus créatifs. Toutefois, si on avait les moyens, on allait faire mieux même notre travail. Parce qu’on ne peut pas se préoccuper des problèmes techniques et en même temps vouloir créer. C’est très difficile. Il faut de la résistance, de la résilience, c’est ce qui nous permet de nous surpasser, de faire des films potables. Le manque de moyens ne nous empêche pas d’être créatifs et de raconter nos histoires.
Vous êtes aussi à l’origine de la création de l’Association des techniciens de l’audiovisuel et du cinéma sénégalais (Atacs), pour porter les problèmes des techniciens sénégalais du cinéma…
Effectivement, c’est la raison pour laquelle l’Atacs est née, parce qu’il y avait ce constat : on n’avait pas un cadre dans lequel on pouvait se réunir et échanger entre techniciens. Donc on a créé l’Atacs, dans un premier temps, pour la promotion du cinéma sénégalais. Et dans un deuxième temps, pour mettre les techniciens au cœur de ce dispositif, parce que ce sont eux qui fabriquent les films. Et s’ils sont laissés en rade, il y a un problème. Il ne faut pas paupériser cette frange, ce maillon important, et il faut leur donner les moyens pour que les conditions de travail puissent évoluer. Nos conditions de vie aussi, ça va de pair. Donc c’est la raison pour laquelle l’Atacs est née. Nous faisons des renforcements de capacités techniques et intellectuelles, des ateliers, des workshops, des discussions et des panels avec les anciens pour qu’ils nous partagent leurs expériences. Et nous essayons aussi d’être à la pointe de la technologie, d’avoir des partenaires comme Sony. Peut-être même dans le futur, organiser des micro-salons afin que les grands constructeurs de caméras, de postes de montage puissent être à Dakar ou à Ouaga. En résumé, le combat de l’Atacs, c’est l’amélioration des conditions de vie et de travail des techniciens.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU – (mamewoury@lequotidien.sn)