HORIZON… Athia Wellé, chanteuse, ancienne pensionnaire de Sorano : «Le souvenir que je n’oublierai jamais…»
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Quand on évoque les divas de l’Ensemble lyrique traditionnel du Théâtre national Daniel Sorano, il est difficile de ne pas parler de Athia Wellé. Chanteuse pulaar, elle a contribué à rendre plus populaires certains genres musicaux du Fouta. Depuis plus d’une décennie qu’elle a pris sa retraite, la diva est devenue plus discrète. La disparition de sa fille et héritière à la fleur de l’âge, le pèlerinage effectué aux Lieux Saints de l’islam sont autant de facteurs qui ont poussé Athia Wellé à vivre en retrait de la scène. A Yeumbeul où elle vit désormais, elle a accepté d’ouvrir le cahier de ses souvenirs.
Pouvez-vous remonter le temps pour nous dire en quelle année vous avez commencé à chanter ?
J’ai commencé à chantonner en 1967. J’avais entre 12 et 13 ans. J’étais une gamine à cet instant-là. Puis, j’ai commencé à me révéler à travers la troupe Laasli Fouta. C’est là où j’ai commencé à faire mes premiers pas dans la chanson. Je ne maîtrisais pas encore très bien la langue pulaar, mais consciente du succès que notre groupe avait commencé à avoir, je me suis dit avec les autres membres du groupe que nous pouvions tracer notre voie dans la musique. A mes débuts, chanter était comme un jeu d’enfant. Mais par la suite, j’ai décidé de prendre les choses au sérieux, d’accorder beaucoup plus d’importance à ce que je faisais, à y mettant du mien. Je me suis investie dans la musique pour faire rayonner davantage ma langue, en faire un moyen de promotion de la langue pulaar. La musique a contribué à nous donner une bonne tenue. Vraiment, elle nous a permis de prendre conscience de l’importance d’avoir une bonne éducation. Il nous était interdit de porter des habits indécents, nous n’osions pas non plus porter des habits courts. C’est pour dire que notre troupe recevait beaucoup de jeunes filles jouissant d’une très bonne éducation.
Comment s’est faite votre intégration au Théâtre national Daniel Sorano ?
Mon intégration au théâtre Sorano s’est faite par un concours de circonstance. La structure était à la recherche d’une cantatrice pulaar. Il y avait quelqu’un qui avait mes contacts et qui les a transmis aux responsables de Sorano. De fil en aiguille, ils sont parvenus à entrer en contact avec moi. La jonction avec Sorano s’est faite à mon retour de France où j’avais séjourné avec ma troupe Fouta Toro. J’ai intégré Sorano le 20 septembre 1988. C’est à la suite de deux auditions auxquelles j’ai été soumise que j’ai pu convaincre les responsables de Sorano de me recruter. Ce n’est qu’en 1998 que j’ai pris ma retraite à Sorano. J’y ai passé dix ans.
Peut-on avoir une idée de votre salaire à vos débuts à Sorano ?
Le salaire que je percevais à mes débuts n’était pas du tout consistant. J’avais un salaire de 45 mille francs. Mais avant de partir à la retraite, celui-ci a connu une hausse grâce à l’action des syndicalistes. C’est ainsi que je me suis retrouvée à percevoir 220 mille francs chaque mois. Nous avions droit à des indemnités de logement et de transport. Mais le premier cachet que j’ai reçu était de 60 mille francs. Je l’avais empoché d’un promoteur de spectacle qui m’avait engagée à Dakar. Cela remonte à très longtemps. L’Ensemble lyrique traditionnel de Sorano m’a permis de voyager partout. J’ai fait quatre fois la France. J’étais déjà allée en France avec ma troupe, mais j’ai pu y retourner grâce à Sorano. Je suis allée six fois aux Etats-Unis. J’y avais un contrat de cinq ans et j’y passais mes périodes de congé parce qu’une de mes proches vivait là-bas. J’ai découvert l’Afrique aussi (l’Algérie et le Nigeria) grâce à Sorano dans le cadre de tournées dans ces pays.
Que retenez-vous de votre collaboration avec Sorano ?
Je suis la première chanteuse pulaar à être passée sur Radio Mauritanie en 1971. Ce qui me fait plaisir, c’est d’être le porte-drapeau de la chanson pulaar. Il n’y avait que Sorano comme lieu de représentation à cette époque. Et quand je me remémore ces moments où je suis montée sur scène pour défendre le drapeau de ma communauté, ça m’emplit de joie. J’incarnais la musique pulaar sur le plan national et international. Cela suffit pour me faire énormément plaisir. Je me considérais comme une chanteuse qui était là pour hisser au sommet cette musique pulaar.
Durant votre carrière, quel est votre plus mauvais souvenir ?
Le souvenir que je n’oublierai ne jamais est parti d’une tournée que j’avais effectuée au Fouta. J’y avais passé 17 jours. Un jour, j’ai appris le décès de ma fille par noyade. Elle était membre de mon groupe et elle m’avait accompagnée au Fouta pour les besoins de cette tournée. Ma fille avait 24 ans. Elle a perdu la vie en compagnie de ma choriste, âgée aussi de 24 ans. Ce drame est intervenu à Wali Diantan en 1996, au moment où ma fille s’apprêtait à se marier. Mais Dieu l’a arrachée à mon affection.
Comment trouvez l’évolution de la musique pulaar, comparé à votre époque ?
La musique pulaar a beaucoup régressé. Il n’y a plus Wang, de Léré etc. Il n’y a plus de programme de musique. Baba Maal se bat pour maintenir le cap, mais il n’y a plus beaucoup de spectacles destinés à la communauté pulaar. La vérité, c’est que la musique pulaar manque de soutien. C’est aux producteurs de la soutenir parce qu’elle a révélé beaucoup de talents. Il y a un creuset de chanteurs pulaar très talentueux. Je peux citer Fatim Samba Diop (Funèbébé Fuuta), Coumba Samba Guèye et Ndèye Diarra Guèye. La musique pulaar a du mal à émerger à cause d’un manque de soutien. Cela ne servira à rien de se mettre dans son coin et de travailler sa voix sans appui. Mais il faudra davantage pour que la musique pulaar sorte de son manque de promotion. J’en appelle aux producteurs pour qu’ils viennent en aide à cette musique et pour que la promotion se fasse davantage. Je pense que c’est un genre musical qui n’est pas suffisamment boosté à l’heure actuelle. J’ai réalisé neuf titres. Mais à cause d’un manque de promotion des autres titres, il n’y a que Miine débo qui est le plus connu des mélomanes sénégalais. De mon temps, il n’y avait que Radio sénégalais. Nous n’avons pas eu la chance de la jeune génération qui dispose des nouvelles technologies de l’information et de la communication et d’une pléthore de radios privées où s’appuyer pour se faire connaître. Si on avait eu la même chance que la jeune génération, peut-être notre carrière aurait connu un succès beaucoup plus éclatant. Mais Dieu merci, j’ai pu me construire une maison à Yeumbeul.
A votre époque, faire de la musique était plus difficile ?
A l’époque, il n’y avait que Radio Sénégal pour faire la promotion de la musique sénégalaise et il fallait graisser la patte à quelqu’un pour qu’on fasse passer tes tubes. Il y avait un technicien dont j’oublie le nom qui exigeait 20 mille francs pour faire passer tes morceaux. J’en avais ras-le-bol.
Vos parents étaient-ils d’accord pour que vous fassiez de la musique ?
Mon père s’était opposé à ce que je fasse de la musique. J’ai reçu toutes sortes de brimades de sa part pour que je quitte la scène. Mais j’ai eu la chance de me marier tôt, ce qui m’a maintenue dans la musique. Je partage la passion de la musique avec mon mari. Nous évoluions dans le même groupe Lasli Fouta. Etant Torodo, il est très difficile de faire de la musique. Depuis qu’on est revenu de la France, mon mari a laissé tomber. Il était membre de Lasli Fouta et comprenait ma passion pour la musique. C’est là-bas que je l’ai connu d’ailleurs. On a cheminé ensemble dans cette troupe. Aujourd’hui, il est là et se porte à merveille macha Allah. Avec l’argent que j’avais dans la musique, j’ai essayé de contenter mes parents en subvenant à leurs besoins.
Qui parmi vos enfants a décidé de suivre vos pas de musicienne ?
Ma défunte fille qui s’appelait Fat Sy était la seule qui avait voulu faire comme moi, c’est-à-dire embrasser une carrière de musicienne. Elle s’apprêtait à se marier avant que Dieu ne l’arrache à notre affection. J’avais sept enfants, les quatre sont décédés. Il ne me reste que trois enfants, deux filles qui sont mariées et un garçon que j’ai amené en Hollande.
Continuez-vous à pratiquer la musique jusqu’à présent ?
Depuis que j’ai effectué le pèlerinage à la Mecque, j’ai levé le pied. Je ne fais plus la musique comme auparavant. Je me contente de faire des playbacks lorsque je suis engagée quelque part, surtout au Fouta où je suis le plus souvent sollicitée. Je n’ai plus de groupe parce que ça demande beaucoup de moyens financiers pour entretenir un groupe.
Que vous inspire le Covid-19, avec surtout l’assouplissement des mesures prises par le Président Macky Sall qui invite les Sénégalais à apprendre à vivre avec le virus (l’entretien a été réalisé avant la levée de l’Etat d’urgence) ?
L’assouplissement des mesures restrictives liées au Covid-19 ne devrait pas pousser les Sénégalais à oublier de respecter les gestes barrières, à porter les masques, à se laver les mains, soit avec de l’eau et du savon ou avec du gel hydro-alcoolique.