Horizon – Bibi Seck, designer : «Le développement de l’Afrique passe par l’artisanat»

La Galerie Quatorzerohuit de l’Avenue Ponty, ces sièges larges en plastique recyclé que l’on retrouve dans les espaces de vie des nouveaux pavillons de l’Ucad, ce sont là quelques-unes des œuvres de Bibi Seck. Le designer sénégalais, qui a longtemps travaillé pour Toyota ou Renault et dessiné les contours du Pavillon Sénégal à la dernière Exposition universelle de Dubaï, est un fervent militant du développement du secteur artisanal.Comme designer, est-ce facile de collaborer avec les artisans sénégalais ?
Ils ne demandent que ça. A partir du moment où vous créez une relation émotionnelle avec un artisan, vous discutez, vous rigolez, etc., il y a comme une espèce de complicité. L’artisan, en général, il est en train de créer son truc, mais travailler avec quelqu’un qui a des idées et qui n’est pas menuisier par exemple, c’est très enrichissant pour le menuisier mais aussi pour le designer. Je découvre des choses que je ne connaissais pas avant. Pareil pour eux. Et tout ceci s’inscrit dans ce qui, pour moi, est une priorité pour le Sénégal. Le Sénégal ne pourra jamais, je dis bien jamais, se développer sans le développement de l’artisanat. Le développement de l’Afrique passe par l’artisanat. Quand vous regardez les grandes marques européennes, ce sont des artisans. Chanel est un artisan, Peugeot est un carrossier, Renault, Hermès, Louis Vuitton… Les grandes marques de luxe sont au départ des artisans qui étaient au fond de leur jardin en train de faire leurs sacs, en train de faire de la carrosserie automobile. Et parmi ces artisans, certains sont passés du stade de l’artisanat à celui de l’industrie pendant la taylorisation, les Henry Ford, etc., et ont commencé à produire en série. Mais on n’a pas ça au Sénégal encore. C’est quelque chose que je ne comprends pas finalement.
Qu’est-ce qui manque ?
Qu’on réfléchisse à la question. Qu’on se demande pourquoi il est indispensable de développer l’artisanat pour développer le pays ? Et après, mettre les moyens qu’il faut pour développer l’artisanat. Les artisans sénégalais ne manquent pas de motivation. Ils manquent d’outils, de formation. Même si on fait venir une scie à ruban d’Europe ou d’ailleurs, il faudrait les former à cet outil-là. Premièrement, posons-nous la question comment et pourquoi il faudrait le faire. Est-ce qu’il y a une politique pour développer l’artisanat et en faire quelque chose d’incontournable pour le développement du pays ? L’artisan travaille tout seul. Mais un jour, il pourrait travailler avec une centaine de personnes autour de lui. Et ce sont eux qui créeraient des emplois. Des industries viennent s’installer clé en main, venant d’Inde ou de Chine. Mais pourquoi nous, on ne créerait pas des industries qui commenceraient par le développement de l’artisanat ? Il y a des marques qui commencent à se détacher, Maraz est en train de passer de l’artisanat à une compagnie semi-industrielle. Mais si on ne développe pas l’artisanat, nos enfants vont mourir de faim. C’est aussi simple que ça.
Il y a donc une dimension économique qui n’est pas prise en compte ?
Même dans votre maison, vous vous dites pourquoi cette prise électrique ne marche pas. Vous vous posez la question de savoir quel est le devenir de l’artisanat en Afrique et pourquoi doit-on développer l’artisanat au Sénégal pour développer notre pays. Quelle est l’importance de développer l’artisanat ? Il faut poser les bonnes questions. Je veux développer l’artisanat, ok, mais qu’est-ce qu’il me faut ? Il faut former les gens, les équiper, leur donner des aides, etc. Il y a des programmes qui vont être édifiés pour s’acheter une conscience, on va faire des programmes de formation, mais ce sont des programmes souvent appuyés par des aides étrangères, des Ong. Mais sérieusement, nous, est-ce qu’on s’est posé la question du développement de l’artisanat pour le développement de notre pays. Aujourd’hui, un sac Hermès coûte jusqu’à 50 mille euros.
C’est peut-être la dimension informelle du secteur ?
Les filières ne sont pas identifiées et peut-être qu’on se dit aussi que l’artisanat c’est ça, et qu’il doit rester dans cet état-là. Mais nous préférons faire un lit avec le menuisier du quartier parce que si le lit se casse, il vient le réparer. En plus, il est plus logique de consommer nos produits parce que le service après-vente est ici, alors que si vous achetez un meuble en Chine, qu’il se casse et qu’il faut une pièce particulière pour le réparer, vous êtes bien embêté.
Vous les designers, qu’est-ce que vous pouvez apporter à ces artisans pour les rendre plus professionnels ?
Le designer est un créatif, son métier c’est de trouver des solutions en utilisant sa créativité. Il y a un problème, il trouve une solution. C’est ça son travail, pas de rester au fond de son jardin à dessiner tout et n’importe quoi. Sa première mission, c’est de trouver une solution à un problème donné. Vous me dites que je dois ouvrir cette porte, je ne vais pas me mettre à réinventer la roue. Les poignées de porte et les mécanismes, ça existe. Je vais aller chercher une poignée de porte qui existe et je vais la mettre là. Vous allez me dire oui le problème est réglé, mais je veux une poignée de porte en bois. Une poignée de porte en bois ne se fabrique pas de la même façon qu’une poignée de porte en verre, en métal, etc. Donc, il y a une difficulté. Ensuite, vous me dites, je veux ouvrir une porte dans un centre médical où la moitié des résidents sont handicapés. Donc, je ne vais pas prendre n’importe quelle poignée de porte pour la mettre là. Je vais concevoir une poignée électronique qui s’ouvre d’un mouvement de la tête ou une poignée qu’on peut ouvrir avec le pied. Le rôle du designer, c’est de trouver des solutions. Même pour un siège de toilette, un verre, une machine à café.
Le design n’est-il pas un peu élitiste ?
Pas plus que les métiers de comptable ou d’avocat. L’avocat va trouver des solutions à votre problème juridique, le designer va trouver des solutions à vos problèmes dans votre milieu de vie. On n’est pas élitistes. Pour développer le design, il faut vulgariser le métier. C’est-à-dire que ce métier soit aussi vulgarisé que le métier de menuisier. Il faut banaliser la profession, que ça rentre dans la tête des gens. Je ne suis pas plus cher qu’un avocat ou un ingénieur agronome. C’est un métier, c’est mon expertise.
Vous avez ouvert la Galerie Quatorzerohuit, aviez-vous des objectifs précis ?
Je développe beaucoup le plastique recyclé, je conçois beaucoup de meubles en plastique recyclé qui vient de nos poubelles. Je conçois aussi des meubles réalisés en récupérant des cannettes de boisson, celles que l’on utilise à Rebeuss pour faire des cannettes de marmite. Je pense à des meubles réalisés de la même manière et plutôt que de faire des marmites, faire des sièges. Dans la partie design de la galerie, vous verrez des choses qui font partie de notre quotidien. Même quelqu’un qui n’a jamais fait de design peut dessiner. Ce que fait le designer, c’est concevoir. Vous prenez un crayon, vous faites deux croquis et vous appelez votre menuisier, c’est vous qui avez conçu le truc. Bien sûr, il y a le designer académique, celui qui a fait des études pour le devenir comme moi, mais le fait de concevoir, c’est du design. Vous allez voir votre tailleur, vous lui dites je veux ma robe comme ça, comme ça. C’est vous le designer et lui est l’exécuteur. C’est comme ça aussi qu’on vulgarise le métier et qu’on n’en fait pas un métier d’élite.
Vous faites toujours le design de voitures ?
De temps en temps, ça m’arrive. Pour Toyota.
Des projets au Sénégal ?
Le dernier projet que j’ai réalisé, c’est l’aménagement et le design du Pavillon du Sénégal à l’Exposition universelle de Dubaï.