Une bourse d’études, une résidence d’écriture de longs métrages, la formation de 12 productrices sénégalaises. Afric’Art Progress, fondée par Binetou Faye, entend impacter positivement l’avenir du cinéma sénégalais. Ce 24 octobre, la première cohorte formée va piocher ses projets de films. Une «pierre» que Binetou Faye vient poser sur l’édifice d’un cinéma sénégalais dans lequel le legs des anciens a été déterminant.Afric’Art Progress a lancé un certain nombre d’initiatives : l’organisation d’une résidence d’écriture, la formation de productrices, l’octroi d’une bourse d’études. Quel est l’objectif derrière ?
La stratégie d’Afric’Art Progress, c’est d’accompagner des projets. Il y a deux ans, j’ai assisté à la mise en place de fonds, comme l’Aide aux cinémas du monde, à l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) où j’étais assistante de projet du Fonds images francophones. A chaque fois, il y avait les mêmes retours, surtout sur les projets africains. Ils n’étaient pas bien structurés ou ils manquaient d’accompagnement au développement, ou alors c’étaient des projets qui étaient venus trop tôt pour demander une aide à la production. Après avoir fini mes études, j’ai créé ma structure et j’ai décidé de me focaliser sur tout ce qui manque : c’est la production et aussi les résidences d’écriture. Spécifiquement, les résidences de films populaires qui racontent nos histoires pour que notre société puisse se voir à travers ces films-là. Les bourses, c’est parce que quand je faisais mes études, j’ai eu à rencontrer beaucoup de difficultés. J’ai même été accompagnée par l’Etat du Sénégal pour payer une partie de ma bourse.
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J’ai vu d’autres étudiants qui ont dû arrêter leurs études parce qu’ils ne pouvaient pas payer 16 000 euros pour leurs deux années de Master. Donc j’ai proposé à l’école où j’étais un programme de bourse. Deux bourses pour cette année afin de faire venir deux jeunes. J’ai fait venir une Centrafricaine et un Béninois parce que les instituts français prenaient les bourses de vie. Une Sénégalaise avait été sélectionnée aussi mais sans bourse de vie, elle n’a pas pu partir. Cette année, on a signé une convention avec une fondation-école qui regroupe plus de 63 écoles de cinéma à Paris. Ils nous ont octroyé 15 bourses et dès l’année prochaine, on va faire le lancement.
Qui sont les participantes à ces résidences ?
La résidence est panafricaine et ouverte à tous les auteurs africains. On a accompagné 5 projets de longs métrages fictions dans les îles du Saloum : un projet sud-africain, un du Congo, un du Mali et deux projets sénégalais. Les 12 femmes de la formation production sont toutes Sénégalaises. Ce sont de jeunes apprenantes très motivées, recrutées par appel à projets. Donc, là, nous avons 12 courts métrages dont trois fictions et deux documentaires. Ces profils, nous les avons recrutés grâce à une collaboration avec l’école Mousso de Angèle Diabang, Ciné Banlieue (Collectif de cinéma de la banlieue) et l’école Sup Imax.
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12 jeunes productrices, c’est pour répondre à un besoin de leadership accru des femmes dans le secteur ?
Je sens fortement le manque de femmes dans le secteur du cinéma, parce que je suis toujours entourée d’hommes. Cette première édition est dédiée aux femmes et l’année prochaine, on va faire 70% de femmes et 30% d’hommes. Mais en tant que femmes, on doit toujours faire plus d’efforts, montrer nos talents.
Ces 12 courts métrages vont être pitchés ce 24 octobre, pour clôturer le programme. Mais est-ce qu’il y a un écosystème autour pour permettre la production effective de ces films ?
Sur ces 12 femmes, il y a les 5 meilleurs projets qui seront produits. D’ailleurs, on a un préachat Canal pour un des films. Il y a le Fopica qui va donner un prix et nous collaborons avec Atacs, l’Association des techniciens du cinéma. Nous avons aussi l’idée de voir les écoles d’actorat et les boîtes de casting. Ces collaborations devraient nous permettre d’avoir un collectif qui, chaque année, soutiendra les projets.
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Vous misez carrément sur la synergie ?
C’est la stratégie d’Afric’Art. Je me dis que le cinéma ne se fait pas seul. J’ai été aidée et accompagnée. Je veux répéter cela, et c’est la meilleure façon de rendre hommage à la personne qui m’a tendu la main. Le cinéma n’est pas un métier solitaire. On dit souvent le film de tel réalisateur, mais c’est le film d’une équipe. Je crois à cette synergie, à cette jeunesse et à notre cinéma. On a un cinéma très, très fort, et jusque-là, ce sont les synergies que nos anciens avaient posées, qui ont amené le cinéma sénégalais jusqu’ici. Je crois vraiment qu’il faut renforcer cela et que chacun apporte sa pierre à l’édifice.
Les productions sont de plus en plus nombreuses. Mais comment devrait-on faire pour qu’elles arrivent dans les salles et que le public aille les voir ?
Dans le cadre d’Afric’Art, pour notre résidence, on a choisi de parler de films populaires parce que c’est important pour nous de remplir nos salles par notre public, par nous-mêmes. Le fait d’aller voir des blockbusters, c’est bien, mais il faut que l’on fasse des films pour notre public et qu’il puisse s’identifier à ces films. C’est pour cela que la résidence, dans les appels à projets, a mis l’accent sur les films populaires : thrillers, comédies dramatiques ou même comédies musicales. A travers cela, on est plus flexibles à raconter des histoires plutôt que des films d’auteur qui partent en festival. On est sur cette démarche et il faudra que nous, jeunes producteurs, pensions en industrie, pas en festival.
Les prochains challenges pour Afric’Art ?
Les prochains challenges, ce sera de doubler le nombre de projets de la résidence. Passer de 5 à 10 ou 12 projets et faire en sorte que le public puisse voir ces projets quand ils sortiront, à travers un festival de longs métrages par exemple. L’idée, c’est aussi de maximiser les chances. Pour la formation en production, nous avons commencé par le Sénégal, mais l’année prochaine, on s’ouvre à l’Afrique.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU
mamewoury@lequotidien.sn