Son nom, Dj Dollar, résonne desormais dans les plus grandes soirées du monde. De Dakar, où il a appris à mixer sur les pas de Gee Bayss, à Dubaï et Los Angeles, où il s’est plus ou moins installé, Dj Dollar revendique une connaissance approfondie de la musique sénégalaise. Si le mbalax peine à convaincre ou si les jeunes prodiges du ­­hip-hop n’ont pas encore rencontré le succès mondial, il reste convaincu qu’il ne manque qu’une petite touche pour que la musique sénégalaise puisse exploser dans le monde, à l’image des Nigérians et Sud-Africains.Par Mame Woury THIOUBOU – Vous avez participé cette année à Afro Nation, un grand festival au Portugal, avec beaucoup de grandes vedettes. Mais il n’y avait pas d’artistes sénégalais…

J’y étais en tant que Dj, mais ils n’ont jamais booké des artistes sénégalais. C’était la première fois presque qu’un artiste sénégalais preste à Afro Nation. Mais après, tout dépend de l’industrie musicale sénégalaise, de si notre musique prend ou ne prend pas au niveau international. Si ça prenait comme les Nigérians, les Sud-Africains, c’est sûr qu’ils allaient les booker facilement. Peut-être qu’on doit juste s’organiser entre nous, essayer de développer notre musique pour mieux la vendre à l’international. Le Sénégal est un petit pays qui n’a pas d’industrie musicale. Pour que les artistes s’en sortent, il faut qu’on arrive à rentrer dans ce cercle d’industrie musicale internationale, que cette musique soit reconnue partout dans le monde et aimée par tout le monde comme l’ont réussi les Nigérians et les Sud-Africains. Franchement, on doit juste s’organiser, travailler pour mieux vendre ce qu’on fait au niveau local. Mais ça demande beaucoup de travail.

C’est une question de contenu, de talent ou bien?
Je peux le jurer, il n’y a pas plus talentueux que nos artistes qui sont ici au Sénégal. Mais c’est juste qu’on n’a pas cette industrie musicale qui est hyper développée et qui peut nous permettre de sortir. Après, c’est normal quand on dit qu’on est dans un petit pays de 16 millions d’habitants. Le Nigeria, ce sont plus de 200 millions de personnes, c’est totalement différent. Et c’est d’autant plus facile pour le Nigeria car ce qu’ils font est aimé par tout le monde. Donc on doit juste travailler. Ce n’est pas un problème de contenu, ni de langue, même si beaucoup de gens pensent que la langue est une barrière. Mais ça ne peut pas être une barrière à 100%. Quand tu fais de la musique, fait tout pour que ça soit commercial, que ce ne soit pas une musique qui est consommée seulement au Sénégal. Il manque quelque chose à la musique sénégalaise et croyez-moi, quand on va trouver cette clé-là, on va exploser dans le monde.

Le streaming va représenter plus de 500 millions de dollars en 2025 en Afrique. Est-ce que le Sénégal s’inscrit dans cette tendance ?
On n’est pas à ce niveau parce qu’on n’a pas une industrie musicale. J’en profite pour demander à nos fans et à tous les fans de nos artistes, de leur donner de la force, d’aller streamer leur son. Il faut que les gens apprennent à streamer les sons des artistes qu’ils aiment, c’est ça qui les aide.

Vous avez fait les plus grandes villes et fêtes. Quelle est la soirée la plus folle que vous avez vécue ?
Cette année, les événements les plus fous, je les ai faits en Europe. Il y’en a eu tellement et je ne peux pas vous dire quelle prestation est la meilleure, mais je sais que toutes les prestations étaient au top niveau. J’ai fait des festivals en Europe, Norvège, Danemark, France, Portugal… Mais Afro Nation, c’était magnifique et ça m’a vraiment touché parce que je rêvais de participer à ce festival en tant que Sénégalais.

Il y avait des artistes comme Chris Brown à Afro Nation. Est-ce que vous pensez à favoriser une collaboration de ces artistes-là avec des Sénégalais ?
Oui ça a déjà démarré parce qu’avec Chris Brown, j’avais déjà travaillé sur un projet avec Wally Seck et qui est sorti d’ailleurs. Et nous, on essayé de mettre en place une structure qui va faciliter la collaboration entre des artistes sénégalais et des artistes internationaux. Qui pour mieux vendre et essayer d’améliorer le type de musique qu’on a et pour un peu accéder à ce marché international ? Tout ce que je fais en ce moment avec les partenaires, c’est vendre la musique sénégalaise au niveau international et quand je parle de la musique sénégalaise, c’est surtout au niveau de la culture urbaine. Si on doit mettre quelques instruments pour un peu identifier la musique, pour montrer que ça vient du Sénégal, on va le faire. Mais l’essentiel, c’est que ça soit vraiment international et pas seulement local.

Vous avez participé à mettre en lien Wally Seck et Chris Brown ?
Bien sûr. Je peux dire que j’étais à la base du projet et je l’ai montré à Abraham vu qu’on travaille beaucoup ensemble. Abraham, c’est un promoteur, un producteur sénégalais qui travaille avec beaucoup d’artistes américains. Comme moi aussi je travaille avec beaucoup d’artistes africains de renom, on a essayé de réunir nos forces pour essayer un peu de trouver à qui on peut donner de la force. On a tout de suite pensé à Wally Seck. Donc on est partis sur ce projet et il y a aussi un autre artiste qu’on a signé pour son développement international, Samba Peuzzi. On travaille avec pas mal d’artistes pour essayer de les vendre au niveau des plateformes internationales. Hormis mon métier de Dj, j’ai toujours rêvé de faire quelque chose pour la culture urbaine de mon pays. C’est très important. Je ne veux pas être dans ce mouvement jusqu’à en sortir sans pour autant laisser des empreintes.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le Dj ?
Juste la passion. C’est vraiment dur d’aimer quelque chose. A un moment, je suivais beaucoup de Dj qui étaient aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde et je me suis dit que c’est bien, parce que ça fait plaisir de procurer de la joie aux autres. Une personne qui débarque à ton événement et qui est un peu stressée, tu fais en sorte qu’il oublie ses soucis. Ça, c’est comme être un docteur. Et du coup, ça m’a toujours plu de le faire car j’ai toujours voulu rendre service. Après je me suis retrouvé à être Dj juste par passion.

Quand vous travaillez, vous surplombez les gens avec vos instruments autour. A ce moment-là, vous pensez à quoi ?
A ce moment, la seule chose à laquelle je pense, c’est cette énergie positive qui sort de moi et qui va vers le public et qui revient vers moi. Parce que c’est moi qui gère la musique, ils sont là à danser. La danse dégage beaucoup d’énergie positive que moi je récupère encore parce que c’est ça qui me motive. Je ne peux même pas expliquer ce que l’on ressent d’être devant des milliers de personnes et tu es le seul qui a les commandes, qui leur fait plaisir et que ça revient vers toi. Cet échange d’énergie est inexplicable.

Et c’est cet échange qui conditionne les morceaux que vous allez mettre ?
Exactement. On ne sent même pas que le temps passe. Après, au fur à mesure qu’on est dedans, on sait comment gérer un public qui est assis et qui ne veut pas danser. On sait comment démarrer, ce qu’il faut mettre au milieu de la soirée et comment terminer la soirée. Tout ça, c’est important de faire ses calculs et si c’est un gars comme moi, qui tourne partout dans le monde, je suis obligé de diversifier parce que j’ai différents publics devant moi. Le public que j’ai à Paris aujourd’hui est différent de celui qui est à Dakar, au Mexique, à l’Est de l’Europe… Donc, il faut déjà avoir cette facilité d’identifier le public avec lequel tu as affaire.

Ça demande donc une énorme culture musicale ?
Une énorme culture musicale et il faut bien étudier le public parce que si tu fausses le calcul, tu fausses l’événement.
Personnellement, j’ai eu la chance d’avoir cette diversité et cette facilité de les faire bouger.

Vous vous entraînez pour faire ça ?
Pour savoir à quel public j’ai affaire ? Je n’ai pas besoin de m’entraîner pour ça. Ce que je fais, vu que le Dj c’est ma passion, c’est que quand je suis seul, je m’y mets pour revoir un peu les musiques que j’ai, les nouvelles tendances, les playlists, les transitions et tout. Mais l’été, c’est un peu difficile d’avoir du temps pour faire tout ça tellement on enchaîne d’un pays à un autre, d’une ville à une autre. Je fais partie de plusieurs collectifs de Dj et on reçoit les sons au jour le jour.

Vous tournez beaucoup plus que les musiciens…
Il arrive oui. La différence entre un Dj et un musicien, c’est que le Dj, il joue la musique qui est déjà sortie partout, et un artiste, il a un seul style de musique et si ce style ne prend pas dans le monde, c’est très difficile pour l’artiste d’exploser.

Comment définiriez-vous votre style ?
Déjà je suis un Dj et vu que je représente en quelque sorte l’Afrique, le Sénégal, donc ce qui identifie l’Afrique par rapport à l’international, c’est la musique afrobeat. Et de base, je suis un Dj afrobeat, hip-hop, mais au fur et à mesure que j’avançais, l’Afrique à commencé à s’identifier petit à petit dans le monde par rapport à cette orientation musicale et quand le monde avance, tu avances avec. J’ai vu que l’afrobeat allait prendre de l’ampleur, j’ai commencé à faire mes recherches pour être à jour. Je suis même plus afrobeat que hip-hop maintenant.

Comment ça se passe pour vos tournées internationales ?
Ca se passe bien et j’en suis très fier. J’ai toujours rêvé de représenter le Sénégal au niveau international par rapport à ce que je fais. Et le Dj que j’ai choisi d’être, m’a permis de le faire. Et franchement, je ne regrette pas parce que je suis en train de vendre la destination Sénégal. Je me suis très tôt bien organisé autour de moi. J’ai une équipe qui est en France, ce sont eux qui s’occupent de mes bookings quand je suis en Europe. Mais ça marche plus par rapport à mon carnet d’adresse dans l’industrie musicale internationale qui est très vaste. Donc à chaque fois qu’on m’appelle, je les mets en rapport avec mon équipe. Et concernant les Etats-Unis aussi, c’est la même chose, il y a une équipe anglophone qui s’occupe bien de moi. Et pour tout ce qui est tournée, je reçois mon planning et après j’exécute. C’est l’équipe qui gère tout ce qui est contrat, marketing et ils me donnent le programme et j’exécute.

Vous trouvez encore les moyens pour faire vos propres créations ?
Moi déjà, je suis Dj-producteur et j’ai mis deux singles sur le marché. Le premier, c’était il y a de cela 3 ans et récemment, j’ai sorti un autre single disponible sur YouTube, avec un jeune Sénégalais qui était aux Etats-Unis, qui est revenu au pays ; il es très talentueux et c’est un réalisateur de vidéo. Du coup, ça avance côté production et côté performance Dj.

Vous avez des perspectives et rêves pour votre carrière musicale ?
Tout ce que je peux dire là, c’est alhamdoulilah ! Le niveau où je suis en ce moment, j’en ai rêvé il y a 5 ans derrière. Et là, j’y suis mais il y a d’autres rêves plus grandioses. Du coup, j’aimerais aller jusqu’à organiser un festival au Sénégal, de l’envergure d’Afro Nation, et je travaille dessus. Quand je crois à une chose, je le fais. Et on va y arriver. Le festival, il y a une partie où l’Etat doit nous faciliter les choses. Et vu que c’est un festival pour vendre la destination Sénégal, je pensais à le faire dans une zone touristique comme Saly ou les îles du Saloum, parce que tout ne peut pas tout le temps se faire à Dakar.

D’où vient ce nom de Dj Dollar ?
Beaucoup de gens pensent que je l’ai pris parce que j’aime l’argent. Mais ça n’a rien à voir. Je l’ai choisi juste parce que j’ai toujours voulu représenter le Sénégal à l’international et le dollar, partout où on va dans le monde, tout le monde sait que le dollar, c’est une devise internationale. Donc je me suis dit que je serais comme le dollar et que partout où on va dire Dj Dollar, les gens sauront que c’est un Sénégalais, il est international et connu partout dans le monde.

Et là, on est au coeur de l’été au Sénégal. Et vous, les Dj, êtes ceux qui définissent les tendances. Ça va être quoi les tendances cet été ?
L’été a déjà bien pris, par contre, moi, je l’ai démarré un peu plus tôt parce que je reviens juste d’une tournée européenne. Mais je sais que les tendances, c’est plus de l’afrobeat qui, aujourd’hui, a pris beaucoup de puissance dans le monde.

Et le mbalax dans tout ça ?
Le mbalax, ce n’est pas mal. On le fait souvent en fin de soirée et ça prend beaucoup parce que c’est notre culture et on ne peut pas le mettre de côté. Je sais que les gens aiment bien le mbalax mais l’ampleur qu’a pris l’afrobeat au niveau mondial, le mbalax ne l’a pas. Dès lors, ça reste une musique un peu locale et consommée par les Sénégalais.

Ce qu’on constate aussi, c’est qu’avant, l’été était le moment où les chanteurs rivalisaient pour sortir «le tube de l’été». Mais depuis quelques années, ce n’est plus le cas…
Je peux dire que le tube de l’été, ça reste un tube afrobeat. Sinon, au niveau local, j’ai vu juste avant de revenir de ma tournée, qu’un de mes jeunes frères, Bilou, a sorti un son au niveau local qui s’appelle «Fatal ma fofou» et ça prend bien quand même comme tube au niveau local.

Le métier de Dj, c’est quoi ? Pourriez vous nous le définir ?
C’est vraiment complexe comme métier parce que le Dj, il peut être producteur ou compositeur ; c’est un accompagnateur d’artiste… On est dans une société où le Dj n’est pas très valorisé. Il y a des parents, même s’ils voient que leur fils veut être Dj, des fois, ils lui interdisent sous pretexte que c’est un milieu de débauche comme on le dit souvent. Mais tout dépend des convictions de la personne.

Le Dj compose en direct. N’est-il pas en conflit avec le travail du musicien ?
Non, du tout, parce que dans le domaine du Dj, il y a ceux qu’on appelle les turntablist, des gens qui font des remix en live, des passe-passe, des techniques un peu crack. Ce sont des aspects plus techniques dans le Dj et c’est différent de ce Dj qui vient juste faire danser les gens. Par exemple, j’ai démarré en tant que turntablist. Après, je me suis concentré sur le clubbing et là, je suis un Dj 100% festival.

Avez-vous fait une école de Dj ?
Je n’ai pas fait d’école de Dj, mais j’ai appris avec une des légendes du Sénégal qui s’appelle Dj Gee Bayss, que je remercie au passage. Et il était le Dj de légende du groupe Pee Froiss. Je faisais mes études et en même temps, j’apprenais le Djing. La majorité des Dj qui sont ici au Sénégal, sont passés par lui et j’ai été un de ses premiers élèves.

Et là, ces dernières années, vous êtes plus à Dubaï qu’au Sénégal. Pourquoi cet exil ?
En fait, ce n’est pas un exil. Je voyage beaucoup et c’est vrai que je suis plus entre Dubaï et Los Angeles, mais n’empêche, je suis toujours basé à Dakar et je représente le Sénégal. J’ai préféré être entre Dubaï et Los Angeles parce que ce sont des villes où l’industrie musicale a de la force. Et pour mieux évoluer, il faut être dans une industrie où ça marche. Cette identité que j’ai, c’est l’identité de ce Dj qui est venu du Sénégal. Et ça me fait plaisir d’entendre les gens m’appeler le Dj sénégalais. Ce que je veux dire aux artistes du Sénégal, c’est que l’union fait la force. La concurrence, elle n’est pas locale mais internationale. Il faut se réunir, se battre et porter le drapeau du Sénégal au niveau international, à travers ce que l’ont fait, qui est la musique, et surtout la culture urbaine sénégalaise.

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