Horizon – Diatou Cissé, ancienne Secrétaire générale du Synpics : «Il y a un énorme travail à faire pour que la production médiatique parle objectivement de ce que les femmes font»

Dans les rédactions où elles se heurtent à un plafond de verre ou dans le traitement de l’information qui les enveloppe de stéréotypes, les femmes sont toujours en quête d’une meilleure place. Pour la journaliste et ancienne Secrétaire générale du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics), Diatou Cissé, seul un mouvement d’ensemble pourrait permettre de changer cette perception. Elle animait ce mercredi un panel sur le traitement médiatique équitable pour les femmes dans le cadre de l’Université d’été féministe qui s’est tenue à Dakar du 1er au 3 août.Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU –
Dans le cadre de l’Université d’été féministe, vous venez de participer à un panel pour un traitement médiatique équitable pour les femmes. Quelle est la situation au Sénégal ?
Je pense qu’il faut appréhender ça sous deux angles. Les femmes dans les médias et les femmes à travers les médias. Si nous prenons les femmes dans les médias, je pense que quand même, il y a des avancées notables. Nous sommes de plus en plus nombreuses, nous sommes de mieux en mieux formées et parfois même, nous sommes plus formées que les hommes. Le niveau de compétence et de professionnalisme des femmes, à mon avis, est indiscutable. Bien sûr il y a maintenant des entraves, des obstacles socioculturels qui, peut-être, impactent les femmes dans les rédactions particulièrement. Parce que n’oublions pas qu’une femme journaliste a des contraintes liées essentiellement au fait qu’elle ne maîtrise pas son emploi du temps. Et pour autant, elle n’est pas débarrassée des rôles domestiques assignés aux femmes. Ça les met en position d’équilibrisme presque toute leur carrière. Maintenant, les femmes à travers les médias, je pense qu’il y a un recul. Il y a tellement de stéréotypes, de discours dégradants, conservateurs, infantilisants qui sont développés en direction des femmes, aussi bien dans les programmes que même souvent dans les émissions à caractère religieux. Il y a un conservatisme de mauvais aloi qui, en fait, est en train presque de ramener les femmes à leurs casseroles en fait. Vous avez bien vu comment on a parlé de cette femme qu’on a appelle «la députée jongoma» qui a du mérite, qui est arrivée à l’Assemblée nationale, mais on ne relève que ses rondeurs et sa coquetterie. Vous avez bien vu quand cette mannequin a estimé avoir été violée, comment on a parlé d’elle, tous les qualificatifs et quolibets dont les médias ont affublé Adji Sarr pour parler d’une affaire récente. Autant dire que pour moi, le discours n’a pas évolué, mais il a régressé. Ce qui est plus grave, il y a un énorme problème d’image des femmes à travers les médias et je le lie à la montée du conservatisme, au retour en force du patriarcat.
C’est pour cette raison que vous préconisez un mouvement d’ensemble pour tenter d’apporter une solution ?
Bien sûr. Des gens ont dit aux femmes : «Battez-vous, faites ce que vous avez à faire.» Ok, c’est bon. Mais on ne peut pas analyser les contraintes des femmes sans les mettre en contexte avec la société dans laquelle elles vivent. Si vous êtes dans une société où même si vous êtes ministre, les tâches domestiques vous sont dévolues, au point que vous les confiiez à une domestique, il faut interroger le système et non vous-même. Si vous êtes dans une société où toute l’organisation sociale des cérémonies et autres repose sur les femmes, il faut interroger le système. Si vous êtes dans une société où votre enfant a de la fièvre, le mari se lève et va au travail, et attend 11h pour vous dire : «qu’est-ce que le médecin a dit ?» ! On ne peut pas aussi faire l’impasse sur ça. Au-delà des questions apparentes, absentéisme, situation mère-femme, je pense que ce sont hautement les rôles de genre qui justifient un peu cette situation qui, il faut le reconnaître, fragilise les femmes. Souvent, lorsqu’il s’agit de promouvoir ou confier des responsabilités aux femmes, l’argument premier qui vient, c’est qu’elle est femme, elle a des enfants et c’est trop lourd pour elle. Mais ça, c’est un raisonnement qui est documenté par la distribution des rôles de genre dans la société sénégalaise. Maintenant, aller dire aux femmes : «allez ruer dans les brancards, allez briser tout ce système et affirmez-vous», je pense que c’est trop leur demander. C’est un mouvement d’ensemble. Il s’agit de déconstruire ensemble les rôles de genre assignés aux hommes et aux femmes pour libérer les femmes.
On se rend compte aussi que même si les femmes sont bien formées maintenant, le nombre de celles qui accèdent à des postes de responsabilité reste marginal…
Ce n’est pas spécifique aux médias. C’est le fameux plafond de verre. Les postes de responsabilité dans le monde sont essentiellement, pour plus de 80%, contrôlés par des hommes. En Afrique, c’est encore pire. Mais là aussi, il faut interroger la culture. Ici, le pouvoir est un attribut masculin. Le leadership est incarné par le mari, le père de famille. De façon très docte, les hommes disent : «Ici, c’est moi le chef, c’est moi qui décide.» Je pense que lorsqu’il s’agit d’arriver à des postes de pouvoir, on songe plus à les confier à des hommes. Et ce sont les mêmes stéréotypes qui font que quand il s’agit d’une femme, on se dit : «Est-ce qu’elle est compétente, bien formée ?» Mais on ne pose jamais ces questions-là quand il s’agit d’un homme. Ensuite, c’est le mode-même de désignation ou d’accès aux postes de responsabilité. Tant que c’est le pouvoir discrétionnaire, ce ne sont jamais des postes ouverts où les femmes peuvent très souvent «compétir» à égalité avec les hommes, sur des critères clairs, largement partagés aussi bien par les hommes que les femmes. Ça ne se passe pas comme ça. Ca relève souvent du pouvoir discrétionnaire, et si vous êtes une femme compétente, qui n’a pas même de contraintes de famille pointues, le fait que vous soyez une femme compétente, et avec sûrement du caractère, vous exclut. Parce que les femmes compétentes avec du caractère, on les aime de loin, mais très souvent, on n’aime pas les avoir comme collaboratrices.
Pour changer la situation globale de la société, le combat est contre qui alors ?
Ces discussions sont des discussions de société, et il ne faut pas qu’on s’enferme dans une espèce de communautarisme de femmes. Parce que si on reste dans notre confort, entre femmes, ça veut dire qu’on n’a pas la perspective des hommes. Et pour déconstruire une perspective, il faut la voir, en connaître les fondements, son contenu et ses orientations. Il faut à mon avis, qu’on ait le courage, de plus en plus, de discuter avec les hommes, de sortir de notre zone de confort. Moi, j’aurais bien voulu, sur ce panel, avoir un rédacteur en chef ou un directeur de publication, pour avoir aussi sa perspective parce que nous sommes ensemble. Cela dit, je pense aussi que c’est un problème global de société. C’est d’une déconstruction qu’il est question. Maintenant, qu’est-ce qu’on peut faire en tant qu’acteurs des médias ? Nous avons quand même un pouvoir. Nous participons à la formation des idées, à la constitution ou à la consolidation des opinions et perceptions, et la façon dont les médias parlent des femmes peut aider, en bien ou en mal, génère des opinions. Vous avez vu comment la société sénégalaise entre guillemets est fortement islamisée et en voie d’arabisation, à travers toutes les émissions religieuses qui ont renforcé le niveau de religiosité des femmes. Si on pouvait faire un mouvement d’ensemble pareil, en se focalisant sur les questions d’égalité de genre, de droit humain des femmes, on aurait eu également le même impact. Donc, les médias constituent un levier, mais le biais c’est aussi de considérer que les médias, ce sont les journalistes. Dans la production médiatique, la production journalistique est epsilon. C’est essentiellement dans les news et la production de quelques magazines. Il y a toute la production artistique, toute la production du folklore où on te dit que «sey kharé la» (le mariage est un sacerdoce), toutes les pièces de théâtre très stéréotypées où les femmes passent pour des mégères qui se tuent pour des histoires de polygamie et tout ça. Il y a toute cette production qui, forcément, contribue à façonner comment les femmes sont perçues. Et malheureusement, la façon dont nous sommes décrites est absolument en déphasage avec notre positionnement dans la société et dans l’espace public. J’en veux pour preuve les quelques candidatures féminines qui se sont déclarées. Ils ont commencé à flétrir les candidatures féminines. La jeune Anta Babacar Ngom, on lui dit le Sénégal, ce n’est pas un poulailler. Aïda Mbodji, c’est sans histoire, Mimi, c’est la candidature de trop, Nafissatou Wade, quand elle était candidate, c’était une célibataire qui veut déclarer la guerre aux hommes. Donc je pense qu’il y a un énorme travail à faire pour que la production médiatique soit non pas favorable, mais qu’elle parle objectivement de ce que les femmes font, de ce que les femmes représentent et de ce qu’elles apportent au développement de cette société.
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