Durant la colonisation belge, au Congo, au Rwanda et au Burundi, plusieurs milliers d’enfants métis furent victimes d’une ségrégation ciblée, aujourd’hui encore méconnue. Nés d’un père belge et d’une mère africaine, ces enfants furent cachés et isolés par l’Etat, enlevés à leurs familles, puis placés dans des pensionnats spécialisés. Tel est le postulat sur lequel est construite la réalisation du film documentaire «Métis, les enfants cachés de la colonisation». Présenté en compétition internationale au Festival international du film documentaire de Saint-Louis, ce film se concentre sur les voix des témoins, permettant ainsi une réflexion intime sur les héritages douloureux du passé colonial. Propos recueillis par Ousmane SOW – Quel a été votre principal objectif en réalisant ce film, Métis, les enfants cachés de la colonisation, et comment espérez-vous qu’il contribue à la prise de conscience et au dialogue sur ce sujet délicat ?
J’ai découvert le sujet en 2018, en lisant par hasard un article de presse qui évoquait l’enlèvement, l’isolement puis l’exil des enfants métis, durant la colonisation belge. Je ne saurais pas vraiment vous expliquer pourquoi cette thématique m’a ému et troublé, sans doute parce qu’il évoque des blessures d’enfance, un thème qui me touche particulièrement. Cela m’a fait penser également aux enfants de la Réunion, qui avaient été enlevés à leurs familles pour repeupler la Creuse et les campagnes françaises, dans les années 1980. Alors j’ai d’abord eu envie d’en savoir plus, et peut-être de raconter ce drame poignant, cette violence d’Etat.
Et comment avez-vous navigué entre l’aspect historique et personnel de ce récit, en mettant en lumière à la fois les événements historiques et les parcours individuels des enfants métis de la colonisation, avec une perspective de guérison et de reconstruction ?
Mes premières rencontres à Bruxelles, avec des personnes qui avaient vécu cette ségrégation, m’ont permis de mieux comprendre le contexte historique, les enjeux et les problématiques politiques. Mais très vite, au fil de nos échanges, j’ai senti que j’étais surtout intéressé par leur parcours, leur vécu : ce drame laisse encore des traces, des failles, des blessures ouvertes, soixante ans après les faits. Et lors de l’écriture, j’ai voulu que ces témoignages soient véritablement au cœur du film. Le documentaire a donc été construit d’abord autour des récits des intervenants : chacun évoque son témoignage et ses propres souvenirs, puis le film s’intéresse effectivement à la question de la guérison, de la reconstruction. Tous les intervenants n’ont pas vécu les évènements de la même façon, mais on retrouve souvent des traces de ces blessures et traumatismes d’enfance par exemple dans la difficulté à renouer des liens avec sa famille, à parler de son passé avec ses enfants ou tout simplement à construire une vie familiale et professionnelle stable, après avoir vécu ces évènements douloureux. Ce sont toutes ces histoires humaines, à la fois différentes mais avec des points communs évidents, qui sont au centre du film et qui permettent, je l’espère, d’aborder ce sujet plus largement. J’ai donc voulu que les explications et le contexte historique soient réduits au minimum. Il était bien sûr important que le spectateur puisse comprendre le sujet, mais je ne voulais pas que les détails historiques empiètent sur les témoignages. Je crois que les questions historiques et politiques apparaissent forcément en creux, et résonnent bien sûr, pour le spectateur, avec l’Histoire ou l’actualité, mais je ne voulais pas qu’elles soient abordées frontalement. De même, il n’y a pas de voix off dans le documentaire, pour ne pas prendre le risque de raconter l’histoire à la place des intervenants.
Quels sont vos attentes ou espoirs pour l’impact futur de ce film, en particulier dans le cadre de la lutte contre le racisme dans le monde ?
Mon travail est surtout de transmettre, de raconter des histoires. Je suis très heureux que ce documentaire ait permis de relayer la parole des métis, de faire connaître leur vécu, leur témoignage, à un public plus large, dans différents pays du monde. Je ne suis pas certain que cela puisse avoir le moindre impact direct dans la lutte contre le racisme ou même sur les questions politiques, mais si cela permet de transmettre, d’émouvoir et peut-être de créer un peu d’empathie, alors c’est déjà ça !
De la France où vous êtes, en tant qu’artiste, quel écho avez-vous des relations entre les pays colonisateurs et colonisés aujourd’hui encore au 21ème siècle ? Le discours a-t-il changé ?
Ce qui me frappe, c’est surtout de voir à quel point les pays européens ont du mal, aujourd’hui encore, à reconnaître leur responsabilité vis-à-vis de l’époque coloniale. Difficile, pour la Belgique ou la France, par exemple, d’évoquer des excuses, et encore moins des réparations ! Je n’ai pas l’impression que le discours ait beaucoup changé, mais il est, au moins, plus souvent qu’avant, sur le devant de la scène. De nombreux collectifs, historiens, association, abordent régulièrement ces sujets, et on peut espérer que le discours et les actes finiront par évoluer. Sur la question des métis plus précisément, les excuses ne suffisent pas, et les personnes concernées attendent aujourd’hui encore des réparations et des moyens concrets pour accéder aux archives personnelles ou organiser les retrouvailles familiales.