Horizon – Fatima Bathily, productrice de «Kady et Djudju» : «L’animation est tellement difficile à financer»

«Les aventures de Kady et Djudju», une série animation de 13 épisodes produits par Fatima Bathily, a obtenu le Prix du Jury à la 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Une consécration qui vient mettre en lumière un secteur du cinéma sénégalais particulièrement peu financé.Vous êtes réalisatrice, éducatrice et spécialiste du cinéma d’animation. La série animation Les aventures de Kady et Djudju (une réalisation de Yankoba Diémé) est en compétition officielle au Fespaco. Comment est venue l’idée de ce projet ?
Les aventures de Kady et Djudju, c’est un projet qui date de 2015. Ça fait 10 ans que je travaille sur ce projet-là, avec Yankoba Diémé. C’est un projet d’animation, une série qui raconte l’histoire de deux enfants qui voyagent à travers le temps à la rencontre des rois, des reines et de notre patrimoine culturel. Moi, je suis éducatrice, je travaille depuis des années dans le milieu des enfants. A un moment, j’ai remarqué qu’au niveau du préscolaire et du primaire, les enfants ne connaissent pas leur histoire. Ils ne connaissent pas les personnages africains. Ils sont beaucoup plus influencés par les personnages qui nous viennent de l’Occident. Les enfants, nous le savons tous, adorent tout ce qui est animation, tout ce qui est personnage. Ils s’identifient beaucoup aux personnages qui nous viennent de l’extérieur. C’est à partir de là que j’ai eu cette idée de raconter à nos enfants l’histoire de nos héros.
Pourquoi ça a tardé à se faire ? De 2015 à 2025, ça fait 10 ans. Pourquoi le projet a tardé à voir le jour ?
J’ai eu à faire des formations avec ce projet-là pour l’écriture du scénario. Déjà, finir les épisodes en écriture. Ensuite, on a eu énormément de difficultés par rapport au financement. Parce que l’animation est tellement difficile à financer. Même la réalisation aussi, ça prend énormément de temps. Après, si le financement ne suit pas, au niveau de la réalisation aussi, ça ne suit pas parce qu’il faut mettre en place une équipe. Et s’il n’y a pas d’argent, on n’a pas une équipe qui peut travailler de manière rapide à la réalisation.
Les films d’animation, ça fait un boom depuis plusieurs années en Europe. En Afrique, on voit des pays comme la Côte d’Ivoire. Pourquoi chez nous, ça tarde autant à décoller ?
Peut-être que nous n’avons pas encore compris l’importance du cinéma d’animation. Aujourd’hui, on voit en Europe, en Occident, en Arabie, même en Afrique du Nord, l’importance qu’on donne au cinéma d’animation. Ici, au Sénégal, ça tarde. Je pense qu’ils ne sont pas nombreux, mais il y a des réalisateurs qui font des choses dans leur coin. Et puis, on n’a pas de financement, il n’y a pas de visibilité par rapport à ce qu’on fait. Il y a des gens qui pensent que ce n’est pas très important. Ils ne comprennent pas que l’éducation commence par le préscolaire. Et, c’est de 3 ans à 5 ans. Ensuite, le primaire. Je pense que c’est à partir de cet âge-là qu’il faut commencer à parler aux enfants. Il faut commencer à leur donner les bases au niveau de notre culture, de notre patrimoine culturel. Il faut commencer très tôt.
Nos séries ont réussi ce pari de mettre de côté les telenovelas et autres qui nous venaient de l’extérieur. Quelles sont vos ambitions pour le film d’animation au Sénégal ?
On a tellement de choses à raconter, notre patrimoine historique, culturel est tellement vaste. C’est tellement beau. Nous avons tellement de contes à raconter à nos enfants. Avant, c’étaient nos grands-parents qui nous racontaient nos histoires. Aujourd’hui, les grands-mères, les grands-pères n’ont même pas de temps pour ça. Et on est dans l’ère du numérique. C’est le numérique qu’on doit utiliser pour continuer la transmission.
Cette sélection au Fespaco dans la catégorie film d’animation dans la compétition officielle, elle représente quoi pour vous ?
C’est un honneur parce que depuis des années, on travaille sur ce projet-là. Et avoir aujourd’hui l’opportunité de venir ici présenter le projet, montrer le projet et faire comprendre que dans notre coin, on travaille, on essaie d’évoluer, parce qu’on y croit. Aujourd’hui, nous remercions le Fespaco qui nous donne l’opportunité de faire croitre notre travail. Nous remercions aussi le ministère de la Culture, la Direction de la cinématographie, le Fopica qui a été le premier fonds à nous donner l’opportunité de commencer. C’est vrai que l’animation est chère à financer, mais au moins, ils ont cru en nous. Et ils nous ont donné la possibilité de commencer à faire le travail. Et puis voilà, on espère qu’il y aura d’autres fonds qui vont suivre.
Est-ce que du point de vue des ressources humaines, c’est facile de faire du cinéma d’animation à Dakar ?
Non, pas du tout. Parce qu’on a énormément de difficultés de ce côté-là. Donc je pense que déjà, il faudrait que les réalisateurs en animation… Moi, je suis productrice, pour ce qui est de la technique, je ne m’y connais pas. C’est Yankoba qui pourra être plus pertinent dans ça. Mais il y a un manque énorme de ressources. Il faut beaucoup de formation. Et puis, il y a beaucoup de jeunes qui ont envie de faire ça. Il y en a énormément. Donc je pense qu’il faut vraiment que ce soit pris au sérieux. Parce que les enfants, c’est l’avenir. Et il faudrait qu’on puisse leur donner la possibilité de comprendre qu’ils ont une belle histoire. De comprendre qu’ils ont une grande civilisation. L’Afrique a une grande civilisation. Et ça, il faudrait que les enfants le comprennent. Et ça doit passer par le numérique.
Au sein de la famille de l’animation, est-ce qu’il y a une dynamique collective ?
Alors moi, je pense qu’il faudrait qu’on puisse faire ça, voir comment faire en sorte que les gens du secteur puissent se voir et discuter. Et trouver un moyen de collaborer.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU
(mamewoury@lequotidien.sn)