La pandémie du Covid-19 a privé des milliers d’artistes de prestations scéniques. Aujourd’hui que les mesures de prévention sont de moins en moins lourdes, les artistes veulent reprendre du service. Artiste-rappeur, Malal Talla ne mâche pas ses mots pour demander la réouverture des salles. Selon lui, les artistes «veulent aussi vivre comme tout le monde».

Il y a actuellement une campagne menée par les artistes sénégalais pour demander la réouverture des salles.

Quelle est aujourd’hui la situation des artistes et est-ce que vous pensez qu’il est temps d’ouvrir les salles ?
Il est temps d’ouvrir les salles. Le prétexte de l’Etat par rapport à la fermeture des salles ou l’interdiction des concerts, c’est pour éviter les rassemblements. Alors qu’en réalité, on continue à avoir des mariages, des baptêmes, des funérailles et même des cérémonies religieuses sont autorisées et elles regroupent beaucoup plus de monde. Donc en fait, il n’y a plus de raisons de fermer les salles et d’un certain point de vue, c’est très injuste. Les artistes ne peuvent pas continuer à croiser les bras.

Ils vont vivre de quoi ?
D’absolu­ment rien du tout. Si on prend par exemple un musicien d’hôtel, il gagne 10 ou 15 mille francs par prestation. C’est avec ça qu’il fait vivre sa famille mais il ne le peut plus. Les 3 milliards repartis entre les différentes personnes qui évoluent dans le secteur des arts et de la culture, par exemple au niveau de la Sodav, ils n’ont reçu que 126 500 francs Cfa. Et avec cette somme, ils ne peuvent pas tenir. Un Dip Dound Guiss qui fait son concert, il fait beaucoup de chiffres. Nous sommes aussi un secteur qui développe l’économie de ce pays. Et je trouve très injuste de laisser les artistes chômer sans trouver d’alternatives. L’autre chose est que le fait d’aller regarder un concert est bénéfique sur le plan psychologique. Mais on ne peut plus le faire. Pour moi, il faut que cette mesure soit levée pour que les artistes retrouvent leur public.

La situation s’y prête selon vous ?

Est-ce que la situation se prête à la tenue d’une cérémonie religieuse ? Si c’est le cas, un concert peut aussi avoir lieu.
Dans le milieu du hip-hop, la situation doit être encore plus difficile puis­que ce sont des jeunes qui vivent de petits métiers et sans beaucoup de moyens…
Ce sont des jeunes qui vivent de leurs petites prestations en tant que Dj, en tant que présentateur de spectacle, beat maker, régisseur, vidéaste ou infographe. C’est très compliqué. Même si nous avons essayé de trouver d’autres alternatives en poursuivant l’action culturelle en ligne, la vérité, c’est que l’activité artistique a besoin d’interactions physiques, d’échanges d’émotions, etc. On ne peut pas continuer à vivre virtuellement notre art. C’est-à-dire faire un concert, des festivals. Prochainement, nous allons organiser à la 2sTV un festival «Restez chez vous» où il n’y aura pas de public (Ndlr : l’entretien a eu lieu la semaine dernière). Il y aura seulement des artistes qui vont faire des prestations et des gens qui vont rester chez eux et regarder. On essaie de trouver des alternatives. Mais même ces alternatives, quand on les trouve, on n’a pas assez de partenaires qui répondent pour pouvoir effectivement prendre en charge un certain nombre de dépenses liées au cachet des artistes. Pour nous, il faut quand même sauver un certain nombre d’emplois par la poursuite de l’action culturelle. La poursuite de l’action culturelle en ligne, elle est magnifique, mais ça ne suffit pas. On a besoin de voir notre public, de danser sur scène, d’être proches de notre public. Maintenant, par rapport à la pandémie, tous les comportements, toutes les attitudes montrent que les Séné­galais ne pensent plus à la maladie. Ils cherchent à vivre. Et nous aussi, on veut vivre comme tout le monde.

Et aujourd’hui, vous en tant qu’artiste, comment avez-vous vécu cette période ? De la réflexion, des nouveaux projets ?

Ça m’a permis de travailler sur beaucoup de projets. Si je prends par exemple les jeunes qui travaillent avec moi à Guédiawaye hip-hop, ils se sont regroupés et pendant cette période, ils ont enregistré un album de 20 titres qu’ils vont sortir. Ça a été une opportunité de création. Les gens ont profité du couvre-feu, de l’Etat d’urgence et ça a stimulé leur créativité. Ça a dégagé leur stress et ils ont, en un temps record, réalisé 20 titres qu’ils vont sortir sous le nom de Jaxass gang et c’est magnifique. Personnellement, à mon avis, en tant qu’artiste dans la production de contenus, j’essaie de nouvelles choses. Cette pandémie, c’est presque une catastrophe. Si ça devait durer deux ans encore, il faudrait forcément inventer quelque chose de nouveau pour vivre. On ne peut pas rester les bras croisés, il faut que notre art vive. On a besoin de créer. C’est important pour l’équilibre social de tous les sénégalais et même du monde. Il faut créer et pour créer, il faut laisser le public apprécier virtuellement mais aussi physiquement.
Sur le plan social, il y a certains quartiers qui sont inondés. Et on a vu des responsables politiques en arriver à se battre pour apporter du secours à ces populations sinistrées.

Com­ment vous voyez tout cela ?
On ne peut pas reprocher aux opposants d’aller sur le terrain et de critiquer le gouvernement actuel par rapport à la gestion des inondations. C’est normal parce qu’un opposant est connu pour s’opposer. Je pense que c’est une opportunité. Et quand on a l’occasion de tirer sur son adversaire, il faut le faire. Même si des fois, certains choisissent de le faire avec beaucoup de populisme, d’autres avec subjectivité, c’est très normal. Mais au-delà de ça, il faut faire face à la réalité. Et la réalité, ce sont les inondations, ce sont des populations qui vivent dans les eaux et qui ont besoin d’aide. Parler c’est important mais ce que veulent les populations, c’est de trouver des solutions durables à leurs problèmes. Maintenant, il y a quelques années, les inondations ont été assez bien gérées. Je lisais hier un article sur le Burkina Faso. Le gouvernement parle maintenant de catastrophe naturelle. Ça peut se comprendre si on prend en compte le dérèglement climatique. Mais un Etat doit être dans la prévention, il doit anticiper. On a des inondations, on sait que c’est très problématique dans nos pays, il faut que l’Etat soit capable d’anticipation et ne pas s’en tenir à dire que c’est une catastrophe naturelle. Dans les pays sérieux, on cherche aussi les moyens de gérer des catastrophes naturelles en réunissant des scientifiques, en parlant régulièrement aux populations parce que ce sont des choses pour lesquelles les responsabilités sont partagées.