On attend des mannequins qu’ils aient une taille assez grande pour survoler les plateaux et mettre en valeur les créations des stylistes. Mais chez Ibrahima Traoré, la nature a été plus que généreuse. Avec son 1m 96, le jeune Sénégalais de 27 ans doit fournir davantage d’efforts pour s’imposer sur les podiums de l’Hexagone. Mais le début est prometteur puisqu’il a déjà été remarqué par de grands noms de la mode parisienne comme Jean Paul Gauthier dont il a arboré les créations à la Fashion week de Paris. Avec des origines malienne, guinéenne et gambienne et même capverdienne, il se construit petit à petit une place sur les rives de la Seine où il a posé ses valises pour poursuivre ses études supérieures.

Qu’est-ce qui vous a amené vers le mannequinat ?
J’ai débuté dans le mannequinat vers 2014. Des amis m’ont proposé pendant longtemps de faire des défilés, de rentrer dans le milieu, mais je n’avais jamais rêvé d’être mannequin. J’ai toujours aimé la mode, être bien habillé, me mettre en valeur. C’est la raison pour laquelle mes amis m’ont poussé vers le mannequinat. J’ai attendu d’avoir ma Licence pour me lancer sur un coup de tête. Mes premiers castings, ça avait marché. Mais celui qui m’a le plus donné l’espoir que c’était possible, c’était celui de la Dakar fashion week de Adama Paris. J’étais nouveau, je n’avais que quelques mois d’expérience et j’ai retrouvé des grands mannequins du pays. Malgré mon inexpérience, Adama Paris m’a mis dans le deuxième groupe alors qu’il y avait des centaines de mannequins qui étaient venus faire le casting. Et c’est grâce à elle que j’ai eu le courage de continuer. J’ai représenté le Sénégal au Maroc dans un concours où je me suis classé 2e. J’ai aussi été élu meilleur mannequin espoir du Sénégal en 2018.

Après le Sénégal, vous êtes maintenant en France. Vous y arrivez ?
Cela fait un an que je suis en France. Pas pour le mannequinat, mais pour poursuivre mes études même si je suis toujours mannequin. L’Europe est un continent très difficile pour moi parce que je suis trop grand avec mes 1m 96. Généralement, on dit que les mannequins doivent être grands, mais je dépasse la limite. Ici en France, la limite c’est 1m 94. Du coup, j’ai un peu de mal à me trouver une agence. Mais comme j’ai toujours été freelance, je continue à l’être et je travaille à mon nom. Je me cherche mes propres défilés et ce n’est pas comme les mannequins qui sont en agence et qui sont placés. J’ai quand même fait deux grands défilés, la Black fashion week de Adama Paris et aussi la Fashion week de Paris où j’ai défilé pour Jean Paul Gauthier. Ça a été une très belle expérience pour une première année déjà.

Au-delà de la beauté esthétique, qu’est-ce que vous ressentez quand vous revêtez la création d’un styliste ?
De la fierté. Parce que quand on met en valeur une création, cela veut dire que le styliste a choisi l’habit adéquat pour ta morphologie, ton physique, ta démarche. Ce n’est pas par hasard que ça arrive. Nous sommes nombreux à être mannequins, mais nous n’avons pas tous la même morphologie. C’est une bonne conclusion pour les sacrifices que je fais en termes d’entraînement sportif.

Est-ce qu’il y a une différence entre la façon dont ça se passe au Sénégal et en France ?
Il y a une différence entre l’Europe et l’Afrique, surtout sur le plan organisationnel. C’est mieux organisé ici qu’au Sénégal et il y a plus de respect. Même entre les mannequins et les stylistes, il y a plus de compréhension et de sérieux qu’au Sénégal. Mais c’est aussi peut-être un problème de moyens. La France est la capitale de la mode, donc ils ont beaucoup plus de moyens, de sponsors. Ce n’est pas comme au Sénégal où généralement les organisateurs n’ont pas de sponsors et ont souvent du mal à payer les mannequins. Mais on respecte plus les mannequins ici qu’au Sénégal. C’est peut-être encore un problème de moyens.

On dit souvent que c’est un milieu où les tentations et la précarité sont importantes. Est-ce que vous avez été confronté à des situations difficiles ?
C’est vrai que c’est un milieu de tentation, mais je n’ai jamais vécu de situations difficiles parce que chacun a sa manière de vivre. Je suis du genre casanier. Généralement c’est rare dans le milieu, mais je n’aime pas être en public même si j’arrive à défiler. J’aime plutôt être en famille.

Qu’est-ce qui est le plus difficile quand on est mannequin en France ?
Ce qui est le plus difficile, surtout pour nous qui venons d’Afrique, c’est de s’imposer. On va dire qu’il y a toujours du racisme même si la peau noire est de plus en plus prisée. Mais moi ma difficulté c’est vraiment ma grande taille. Beaucoup aiment mon profil, mais c’est ma taille qui me bloque généralement. Je n’ai eu que deux grands évènements ici, mais j’ai aimé le respect qu’on donne aux mannequins. Et les podiums sont différents. On prend bien soin de nous quand on doit défiler. On met des personnes à notre disposition. J’adore le casting ici en tout cas.

Auriez-vous suivi la même carrière si c’était à refaire et quel conseil donneriez-vous aux jeunes qui veulent suivre vos pas ?
La réponse est oui bien sûr. Jusqu’à présent je ne regrette rien. Même le fait de voyager, c’est grâce au mannequinat. C’est ce qui m’a permis de rencontrer des personnes très importantes. Le conseil que je peux donner aux jeunes, c’est de connaître sa valeur et son profil. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent devenir mannequin, mais qui n’ont pas le profil et forcent. Il y en a même qui handicapent ceux qui ont le profil. Au Sénégal, les stylistes et les organisateurs d’évènements qui n’ont pas d’argent, mais qui veulent organiser des défilés vont prendre ces personnes qui veulent se faire voir au détriment de celles qui ont le profil et qui veulent être payées.

Pour les femmes, le régime alimentaire peut être très strict. Est-ce la même chose pour les hommes ou c’est le sport plutôt ?
Un mannequin doit aussi entretenir son corps, faire ses entraînements et croire en lui-même. Le régime alimentaire concerne aussi les hommes tout comme les entraînements. C’est nécessaire pour avoir la forme parce qu’il ne faut pas avoir de graisse, etc.

Vous parlez souvent de respect. Tu penses que les mannequins ne sont pas respectés au Sénégal ?
Il y a beaucoup d’organisateurs qui exploitent les mannequins. Il y a même des gens qui organisent un défilé, disent qu’ils vont payer, et à la fin le mannequin ne perçoit pas son argent. C’est déplorable et irrespectueux.