Al Hassan Salam, plus connu sous le nom de Index Ñuul Kukk, est un chanteur pétri de talent. De Saint-Louis de ses origines à l’université de Picardie où il suit un Master II de Sociologie, le jeune chanteur, qui revendique un style musical hybride, ne mâche pas ses mots pour dénoncer le système colonial qui perdure au Sénégal. Du système éducatif inadapté à la polémique sur la statue de Faidherbe, Index Ñuul Kukk crache ses vérités.

D’où vient ce nom de Index Ñuul Kukk ?
Mon nom de scène c’est Index et je suis membre du groupe de rap Ñuul Kukk, originaire de Ndar. Comme j’aime à le dire, Index c’est le doigt qui symbolise le plus de choses. Il indexe, donc pointe du doigt pour dénoncer, il indique un chemin, ce que les Wolof appellent tektal. En tant que croyant, il symbolise la grandeur de Dieu et surtout le fait qu’Il est Unique.

Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos chansons ?
Dans ma musique, j’aborde tout ce qui fait écho dans mon cœur et dans la vie de mes semblables. Je chante par amour. Même les thèmes les plus engagés que j’ai faits, je les ai faits par amour. L’amour de mon pays, de mon Afrique et de mes semblables humains. Il y a une seule chose à laquelle je fais attention, c’est de ne pas chanter des choses auxquelles je ne crois pas. J’aime chanter pour ceux qui souffrent, les gens qui n’ont pas de voix. J’aime aussi chanter pour rendre tous ces gens heureux, ne serait-ce que le temps d’une chanson.

Parlez-nous un peu de votre production musicale ?
Avec mon groupe Ñuul Kukk on a une compilation, un Ep et un album intitulé Raglu sorti il y a 5 ans. Depuis, on enchaîne les projets de festival et surtout avec notre association Bëccëgu Ndar Kamm, on travaille pour mettre en place un label de production du nom de Cheikh Anta Diop Records. Alhamdulillaah nous l’avons fait. Reste à le développer pour les artistes de la région et d’ailleurs. Mes projets pour l’instant c’est un Ep solo que je veux sortir en France d’abord et puis au Sénégal et sur le Web. Avec Ñuul Kukk aussi on prépare notre deuxième album mais sans pression. Pour l’instant, je veux surtout développer les rubriques A Capella Time que je fais sur les réseaux sociaux. Ce sont des séries d’a capella qui abordent différents thèmes et beaucoup d’actualité.

Quel est votre genre musical ?
C‘est toujours difficile à définir parce que je viens du thiant comme les Baye Fall, j’ai évolué et j’ai commencé à faire du reggae. Après j’ai rencontré Ñuul Kukk, je me suis mis à faire du rap et maintenant je fais des trucs… Je ne sais même pas le définir, je chante en tout cas et je suis un élément du hip-hop africain : la voix et l’écriture, c’est ça qui définit la musique, les instruments sur lesquels je les pose sont des détails pour moi.

Comment vous êtes arrivé à la musique ?
Honnêtement, c’est mon père et ma mère qui m’ont poussé à faire de la musique. Mon père récitait le Coran et il avait une si belle voix (paix à son âme), il faisait un zikr tellement beau que j’ai toujours voulu chanter. Ma mère aussi chante bien, on chante beaucoup chez nous en famille. Les mélodies et le rythme m’ont très tôt bercé dans ma vie. Je n‘ai jamais aimé l’école, mais j’ai toujours aimé le savoir. Mais le problème c’est que l’école ne jouait pas toujours le rôle d’éveil de conscience. Au contraire. Des fois on nous apprenait des choses qui sont décalées par rapport à notre réalité, mais ça quand tu es gamin tu ne peux pas le savoir. Tu le sens juste, sans pouvoir l’expliquer. Mais quand tu grandis, tu comprends tout simplement que l’école doit être pensée «sénégalaisement», une éducation vraiment nationale et non un copié-collé de ce qui se fait ailleurs. Attention, tout n’est pas à jeter, au contraire. Mais ce que je dis, c’est par exemple si on apprenait nos histoires avec nos langues maternelles, on n’allait pas détester les cours d’histoire géographie avec des dizaines de pages remplies de dates à apprendre par chœur. C’est ça au final que je reproche à l’école sénégalaise. J’ai eu mon bac, je suis allé 2 ans à l’université, j’ai cartouché comme on dit, je suis retourné à Saint-Louis, j’ai commencé à mettre en place des projets de hip-hop comme ça, j’apprenais sur le tas, de mes erreurs comme de mes réussites… Et puis j’ai eu la chance d’aller en France pour un festival de rap, une fois, deux fois, trois fois et j’ai rencontré beaucoup de gens qui m’ont apporté énormément de choses. C’est aussi comme ça que j’ai rencontré une personne qui m’a parlé d’un concours à l’université Jules Vernes de Picardie, je l’ai fait et j’ai été sélectionné, j’ai eu la bourse et me revoilà encore étudiant 7 ans plus tard… Et ce sont ces années de hip-hop qui m’ont aidé à réussir le concours malgré la longue absence dans les études. Actuellement je prépare mon Master 2 en sociologie et j’ai fait mon mémoire Master 1 sur les ateliers d’écriture rap.

Vous êtes originaire de Saint-Louis. Pensez-vous qu’il faut déboulonner cette statue de Faidherbe qui trône au centre de la ville ?
Je pense que la statue de Faidherbe n’a pas sa place ici. Je fais partie des gens qui luttent pour qu’elle soit déboulonnée parce qu’elle symbolise la colonisation. Et ceux qui disent que c’est quand même notre histoire, ils répètent l’argument du colon et ces arguments ne sont pas recevables. La France a été colonisée, une partie de la France était envahie par les nazis sous le régime de Hitler, mais aucune rue ne porte un nom de nazi et pourtant c’est leur histoire. Mettre une statue quelque part c’est glorifier quelqu’un. La preuve, ceux qui disent que la statue permet de se rappeler le mal que Faidherbe à fait, ils n’ont qu’à lire ce qui est écrit dessous. Il n’est pas écrit : «Cet homme est un colon sanguinaire qui a assassiné 20 000 personnes, brûlé des villages, exilé des rois, dépouillé des richesses au Sénégal au nom de la colonie française.» Ce qui est écrit c’est : «Le Sénégal reconnaissant.» Reconnais­sant de quoi ? D’être asservi et réduit à esclavage ? Il faut vraiment lire les théoriciens des bienfaits de la colonisation à l’école, et toute sa vie, pour dire une chose pareille. C’est une insulte. C‘est toujours compliqué et délicat de parler de colonisation et d’esclavage, parce que les gens vont souvent le prendre personnellement. La colonisation, comme le racisme d’ailleurs, est systémique. La colonisation c‘est un système, une politique qui a pour but de prendre toute l’économie, toutes les richesses et les terres d’un pays ou d’un Peuple. Et pour rendre ça possible, pour rendre ça légal et peut-être même juste, aux yeux du monde entier, ce système a besoin de s’appuyer sur le racisme. Il a besoin de dire qu’il y a des races supérieures et des races inférieures, donc nous en tant que race supérieure, blanc, on a le devoir de civiliser les nègres, c’est une race entre l’homme et le singe, il ne sont pas vraiment dotés de raison. Il faut qu’on les aide à s’élever au rang de vrai humain…comme nous. Donc, il faut qu’on les envahisse. Ce n’est pas trop joli, ça peut être violent, mais c’est pour leur bien ! C’est ça la colonisation et c‘est contre ça qu’on se bat, mais pas contre mon pote Jean-Michel ou mon ami Thibault qui vit sa vie tranquille.

Il y a eu aussi l’assassinat de George Floyd qui met en lumière une Amérique raciste quelque part …
Ce que je peux dire de la mort de George Floyd, c’est que c’est un crime raciste, et c’est le résultat de tout ce que j’ai dit avant sur la colonisation et l’esclavage. Tant qu’on ne fait pas face à l’histoire et qu’on n’éduque pas le monde différemment, l‘histoire va se répéter. Un pays où la justice ne s’applique pas de la même manière selon que tu sois blanc ou noir, un pays comme ça connaîtra la guerre civile tôt ou tard. Parce que la justice est le chemin le plus court pour atteindre la paix. Mais moi à la rigueur, j’en ai marre de parler à ceux qui dominent les noirs, aux racistes et pro-colons, j’en ai marre d’essayer de les convaincre parce ce n’est pas de leur intérêt. Ils ne veulent pas renoncer à leurs privilèges au nom de la justice et de la paix. Désormais, je vais m’adresser aux gens comme moi, aux gens qui subissent les injustices et le racisme, aux gens, même s’ils sont blancs, du moment qu’ils se battent pour la justice, pour la dignité humaine, pour l’égalité, etc. Je vais parler avec ces gens-là, je vais leur dire de continuer le combat. D’édu­quer nos enfants à ce qu’ils puissent prendre le relais et essayer de changer ce monde qui dégoûte de plus en plus. Parce que la liberté ne se quémande pas, elle se gagne par la lutte c’est tout. Et même partager une publication sur Face­book pour dénoncer le racisme ça fait partie de la lutte. Le plus important ce n’est pas la taille de l’armée, mais c’est savoir pourquoi on se bat.