C’est une grande première. Un slameur va s’attaquer aux 1500 places de Sorano. La tête bien pleine, le palmarès gros comme le Sénégal, l’ancien champion national de slam donne rendez-vous aux amoureux des mots et de la belle gamme de sonorités africaines à Sorano, pour un spectacle que Maïssa Mara qualifie d’exceptionnel. Dans cet entretien, le poète et animateur revient sur son sacre, les préparatifs du show et donne son point de vue sur le débat identitaire.Veuillez vous présenter à nos lecteurs.

Sur le plan artistique, Maïssa Mara se décrit comme un artiste de la parole. Je suis un poète-slameur, amoureux du savoir et des mots, et protecteur de nos valeurs d’hier et d’aujourd’hui.C’est cet amour conservateur que vous retrouverez dans mon premier recueil de poèmes, Tóortóor, écrit intégralement en wolof. Dans mon écriture et ma création artistique, je m’approprie ce qui est nôtre. Je vais même au-delà du Sénégal, pour parler de l’Afrique. A mes débuts, j’utilisais mon «Kalimba» comme outil de musicalité sur scène. Et jusqu’à présent, mon style d’expression, mes habits, mes sonorités et tout le reste tirent leur splendeur de notre culture. Sur les ondes des mots, je suis artistiquement africain.

On peut dire que vous faites danser les mots de manière moderne, en vous basant sur notre culture ?
«Faire danser les mots», je vais te piquer cette expression. Avant tout, il est important de noter que la voix est l’instrument premier d’un artiste de la parole. Alors, par ma voix et mon souffle, je fais danser les mots et rimes au rythme de la kora de Toumany Diabaté, des tambours de Doudou Ndiaye Coumba Rose, des instrumentales alliant tradition et modernité du créateur Abdoulaye (aka 1dabeatz) et bien d’autres.

Vous vous apprêtez à organiser un spectacle à Sorano. Jamais dans l’histoire, un slameur n’a pris cette salle. Dans quelle logique préparez-vous cet événement ?
Le slameur que je suis considère Sorano comme un lieu culturellement spirituel. Le Président-poète Senghor s’y rendait très souvent et cela témoigne du statut de l’endroit. Sorano est une salle mythique. Beaucoup de grands artistes y ont fait des spectacles mémorables. Après avoir écrit plusieurs spectacles, m’être produit sur plusieurs scènes et plus récemment, mon premier spectacle individuel qui s’est tenu à Linguère, en hommage au Joloof qui m’a vu grandir, et qui a rencontré un franc succès, c’est un devoir pour moi d’honorer le Théâtre national Daniel Sorano. L’objectif principal est de produire un spectacle slam et poésie digne de cette scène.

Le Sénégal juge souvent l’artiste sur sa capacité à remplir cette salle. Cela ne vous met pas la pression ?
(Rires) Sincèrement, oui ! Mais j’ai pris ce challenge et je n’ai pas réellement de doute sur ma capacité à remplir cette salle avec l’équipe et les mentors que j’ai la chance d’avoir. Je compte sur mes allié(e)s de toujours, toutes ces personnes qui consomment mes contenus, achètent mes livres, me suivent sur les réseaux sociaux et me soutiennent dans toutes mes entreprises. Je compte aussi sur toutes celles et ceux qui sont de fervents promoteurs et promotrices de la culture sénégalaise. Le challenge principal est de produire un spectacle dont tout un chacun se souviendra.

On parle d’un spectacle quand même. Que doivent attendre les fans ? Un show à l’Américaine ?
(Rires) Ils doivent s’attendre à du jamais-vu. Ce sera un excellent mix d’hier et d’aujourd’hui. Un régal pour les personnes qui me suivent et qui apprécient ce que je fais. Il est important aussi de noter que ce spectacle se fera sous la direction artistique du Dr Massamba Guèye. J’aime à dire que ce sera le rendez-vous «Des mots qui soignent». Des mots qui élèvent. Des mots qui régalent. L’apothéose des émotions !

Revenons sur votre sacre. Quel est l’impact d’un tel titre sur la carrière d’un slameur ?
Une confirmation de mon talent. Le respect de mes pairs et l’honneur de représenter le Sénégal à l’international. Malheureusement, je n’ai pu ni aller en finale de la Coupe d’Afrique ni en Coupe du monde. Mais j’ai pu étendre mon art, promouvoir le slam et les arts oratoires au Sénégal et au-delà des frontières. Le reste de ma carrière est fait de sacrifices, d’éducation, d’investissements personnels et toujours avec la complicité des personnes et institutions qui me soutiennent et qui m’ont donné l’impact que j’ai aujourd’hui.

Sachant que les musiciens se plaignent de la non-existence d’une industrie capable de payer son homme, comment faites-vous pour vivre du slam ?
En effet, ce n’est pas facile, surtout lorsqu’on s’auto-produit et qu’on s’investit beaucoup financièrement, physiquement et moralement. Seulement, avec l’art, qui est un don de Dieu, vient plusieurs capacités naturelles et savoir-faire pratiques. J’ai lancé Diwaanu Seex Anta Jóob, qui est avant tout une librairie de vente de livres en wolof et français, qui donne des prestations de traduction de textes en français, wolof et anglais, mais aussi des cours de wolof. Je suis présentateur à la 2stv et dans une télé 100% digitale, Cnm Tv. Plus récemment, j’ai co-fondé avec plusieurs proches, Kàddug Njariñ, une maison de production et événementielle. Je suis obligé de souvent serrer le ventre pour investir dans mon art parce que j’ai la certitude que ce n’est pas un investissement en vain et cela commence petit à petit à porter ses fruits.

Le repli identitaire devient de plus en plus une question politique dans le monde. Vous, en tant qu’artiste, comment interprétez-vous ce mouvement ? Doit-on parler d’une identité africaine ?
Promouvoir et défendre les valeurs et la culture africaine sont une de mes principales missions. Montrer au monde que l’Afrique, berceau de l’humanité et des civilisations, a été la première créatrice. Tout vient de chez nous, alors nous devons consommer et être ambassadeurs de ce que nous produisons. Je crois en l’identité africaine car l’Africain est le citoyen du monde. Je le dis dans un de mes textes que j’ai titré Renaissance africaine, que nous devons affirmer notre identité pour nous identifier. Assumer notre africanité pour nous affirmer. Répudier l’infirmité intellectuelle effrénée. Libérer nos réalités longtemps enchaînées. Nous ne devons pas nous laisser emporter par ce qu’on appelle la modernité, mais contribuer à la modernité en rappelant aussi que la Charte de Manden a inspiré la Charte universelle des droits de l’Homme. L’Afrique a toujours inspiré et continuera d’inspirer le monde.
Propos recueillis par Malick GAYE (mgaye@lequotidien.sn)