Depuis plusieurs années déjà, Macky Madiba Sylla poursuit le rêve de porter à l’écran la vie du Maestro de la musique, Laba Sosseh. Le projet qui a pris vie depuis, est aujourd’hui en cours de finalisation. Dans cet entretien qu’il nous a accordé depuis la Suisse où il vit, celui que beaucoup de mélomanes sénégalais connaissent sous le nom de scène de Daddy Macky explique son intérêt pour ce monument de la musique Salsa. Il réagit également au contexte mondial marqué par la propagation du coronavirus.

Vous êtes en train de travailler sur un documentaire sur Laba Sosseh. Où en êtes-vous avec ce projet ?
Le film documentaire El Maestro Laba Sosseh est en cours de finalisation. C’est une sacrée aventure ! Nous sommes partis sur les traces de Laba Sosseh, de la Gambie où il est né en passant par le Sénégal, la Côte d’Ivoire où il a vécu et aussi par Cuba…Nous nous apprêtions à entrer en post-production, mais malheureusement il y a eu cette pandémie…

Qu’est-ce que vous pouvez nous raconter sur le tournage de ce film ?
Il y en a eu plusieurs grands moments dans ce tournage. Le 1er  c’est sans doute quand nous sommes allés, Lionel Bourqui et moi, à Banjul dans la maison familiale de Laba Sosseh. Ils étaient surpris et sa fille a fondu en larmes et m’a dit qu’elle pensait que tout le monde avait oublié son père malgré tout ce qu’il avait accompli. Le 2e moment qui m’a marqué, c’est quand nous sommes partis à Abidjan et que la comédienne Thérèse Taba, qui a été mariée à Laba Sosseh pendant plus d’une dizaine d’années, nous a accueillis chez elle pour nous parler de l’homme et de l’artiste qu’elle a connu. Les femmes ont beaucoup compté dans la vie de Laba Sosseh. J’ai fait plusieurs voyages au Sénégal, j’ai contacté les femmes qui ont eu à partager sa vie mais pour des raisons que j’ignore, aucune d’elles n’a voulu m’accorder d’interview. Ce qui reste une grande frustration de mon côté.

A un moment, vous vous êtes heurté à un problème d’accès aux archives. Com­ment vous vous en êtes sorti ?
J’ai beaucoup galéré pour obtenir des archives de la Radiodiffusion télévision sénégalaise (Rts). Ça m’a pris presque 3 ans mais au final, je les ai obtenues. Il y aussi l’animateur de Radio Dunya (Rdv), Mass Diallo, qui m’a remis grâcieusement ses archives personnelles et aussi Monsieur Djibril Gaby Gaye.

Qui a financé ce projet ? Le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique (Fopica) ?
En ce qui concerne le financement du film, il s’est fait sur nos fonds propres. C’est notre boîte de production, Linkering Productions, qui a pris en charge toute l’étape de la production. J’ai par la suite demandé l’appui du Fopica, afin de pouvoir terminer cette dernière étape. Je co-réalise le film avec Lionel Bourqui qui est Suisse et dès le début, on voulait que le film soit exclusivement de nationalité sénégalaise. D’ailleurs, je profite de l’occasion pour remercier le directeur de la Cinématographie, Monsieur Hugues Diaz. Mais là, nous sommes donc directement impactés, au même titre que tous ceux qui travaillent dans le secteur de l’audiovisuel et ailleurs avec cette pandémie qui se propage.

Pourquoi Laba Sosseh ?
Laba Sosseh fait partie de notre patrimoine, mais il est malheureusement tombé dans l’oubli. C’est pourtant un artiste qui a marqué son époque et toute une génération de mélomanes. Quoi de plus normal que de rendre hommage aux pères fondateurs de la musique sénégalaise ! Il faut que nous apprenions à raconter nos propres histoires et surtout à rendre à nos anciens cet hommage de leur vivant. Ça fait quatre ans que je travaille sur le film et entre temps le Maestro Daniel Cuxac, Camou Yande et Pascal Dieng nous ont quittés… Ce film leur sera dédié inchallah et j’ai vraiment envie de le terminer pour honorer leur mémoire.

Comment se passe la vie en confinement pour l’artiste que vous êtes ?
Le confinement est difficile pour l’artiste que je suis, car je suis habitué à voyager et à rencontrer du monde. J’ai la chance d’habiter à côté d’une forêt. Donc je vais y faire mon footing d’une heure tous les jours, afin de m’aérer l’esprit. Je lis, j’écris et j’essaie de m’occuper comme je peux en attendant des lendemains meilleurs.

Que pensez-vous de la façon dont la pandémie est gérée par le Sénégal avec les mesures prises par le président de la République, notamment l’instauration d’un Etat d’urgence ?
Au début de la pandémie, j’avoue que j’avais des craintes concernant la façon dont nos autorités allaient réagir. Pour tout dire, j’ai senti un peu de flottement, voire des hésitations, mais par la suite notre gouvernement s’est rattrapé. J’ai beaucoup apprécié la communication et surtout la transparence du ministère de la Santé avec des points de presse quotidiens où on peut suivre l’évolution de la pandémie. Je suis reconnaissant du travail fourni par l’ensemble du corps médical sénégalais.

Au tout début de la pandémie en Afrique, le Pr Mira parlait de faire des essais de vaccins en Afrique en faisant une corrélation avec le vaccin contre le Sida et les prostitués. Qu’est-ce que vous avez envie de lui répondre ?
Ma réponse au Pr Mira est le mépris et rien d’autre que le mépris. L’époque où l’Afrique servait de laboratoire d’expérimentation aux industries pharmaceutiques occidentales en dehors de toute considération éthique est révolue. On doit nous respecter ! Il faut que l’Occident en finisse une bonne fois avec ces vieux réflexes coloniaux qui appartiennent au passé. Même si nos leaders sont trop faibles et acceptent tout, nous, le peuple, nous disons non !

Pensez-vous que le monde va changer après cette pandémie ? Que l’Afrique va changer ?
Malheureusement, je ne me fais aucune illusion : l’humanité ne tirera aucune leçon de ce que nous sommes en train de vivre. Et pourtant, c‘est une opportunité formidable que nous offre la nature, mais nous ne la saisirons malheureusement pas. Nous continuerons à polluer les océans, à détruire les forêts et à inciter les gens à la surconsommation. Ce virus est cependant une véritable piqûre de rappel qui nous montre, s’il le fallait, à quel point nous sommes fragiles. Le capitalisme sauvage et l’économie de marché reprendront de plus belle et les inégalités vont s’accroître encore plus. Quant à l’Afrique, elle ferait mieux de puiser dans son histoire et son passé pour trouver les solutions à ses problèmes. Si nous concevons le développement de la même manière que le monde occidental ou asiatique, nous allons léguer aux générations futures un continent où il ne fera pas bon vivre. Comme le dit si bien Felwine Sarr, «l‘Afrique n’a personne à rattraper». J’ai le cœur meurtri quand je me balade à Dakar, ville de mon enfance, où il n’y a plus aucun espace vert. Ne plus apercevoir la mer à cause des constructions sur la Corniche est pour moi, un vrai déchirement…mais bon, ils appellent cela développement…