HORIZON – Mamadou Dia, réalisateur de «Baamum Nafi» : «Nous sommes une génération qui récolte ce que les aînés ont semé»
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Pour son premier long métrage, le cinéaste sénégalais Mamadou Dia a fait un triomphe au 72e Festival de Locarno en Suisse. «Baamum Nafi» a remporté le Léopard d’or du meilleur premier long métrage et donné à son auteur le Léopard d’or de la section Cinéaste du présent. Dans cet entretien, le cinéaste sénégalais qui vit à New York, aux Etats-Unis, raconte son passage dans ce prestigieux festival.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je me nomme Mamadou Dia. Je suis réalisateur-scénariste et directeur de la photographie. Je suis né et j’ai grandi à Matam. J’ai étudié la Géographie physique à l’Université de Dakar et j’y ai obtenu ma Licence. J’ai aussi fait le Média Centre de Dakar pendant une année en 2005. J’ai ensuite travaillé comme vidéo-journaliste. D’abord à temps plein, puis comme freelance pour des agences comme the Assocaited Press et l’Agence France-Presse (Afp). J’ai couvert des actualités et fait de longs reportages sur la politique, la santé, le social et l’économie etc., en voyageant à travers une trentaine de pays africains. En 2014, j’ai rejoint la New York University aux Etats-Unis pour un Master en film ou je suis sorti trois ans plus tard. Mon précédent court métrage, Samedi cinéma, a fait sa première aux Festivals de Venise (Italie) et de Toronto (Canada). Il a gagné plusieurs prix dont celui du Meilleur film au Festival Image et vie de Dakar. Il a été montré dans plus de 80 festivals à travers le monde. Baamum Nafi, mon premier long métrage, a fait sa première au Festival de Locarno en Suisse, le 15 août, où il a remporté deux Léopards d’or, celui de la section Cinéaste du présent et le Prix du meilleur premier long métrage.
Comment s’est déroulé le festival et qu’est-ce que vous avez ressenti au moment de brandir votre trophée ?
Ce fut un plaisir d’avoir fait salle comble à chacune de nos projections. Lors de la troisième journée de projection, le festival a dû rajouter une salle pour que les personnes qui n’ont pas pu accéder à la séance préalablement programmée puissent voir le film. C’est un plaisir de voir un film autoproduit générer cet engouement par du bouche à oreille lors du festival. Et ce plaisir culmine lors du moment de brandir ce Léopard d’or. Et quelle surprise d’en brandir un deuxième ! Je pense qu’il y a un soulagement devant cette reconnaissance du cinéma d’auteur indépendant des pays en développement. Le jour de la cérémonie de clôture, la piazza grande (grande place) de Locarno qui a une capacité de 9 000 places était pleine. Je priais secrètement pour ne pas avoir à monter sur le podium. Mais voilà que j’ai dû y aller à deux reprises. Maintenant, c’est un honneur d’être natif et d’avoir grandi dans un pays de culture cinématographique. Nous sommes une génération qui, en partie, récolte ce que les aînés comme Sembene et Mambety ont semé. Nous bénéficions aussi de la formation des techniciens et du perfectionnement qu’ils ont en tournant avec les contemporains, nos grands cinéastes comme Moussa Touré, Alain Gomis et autres.
Votre film «Baamum Nafi» parle de quoi et qu’est-ce qui vous a amené à le faire ?
Baamum Nafi imagine la mainmise d’un groupe extrémiste sur une petite ville du Nord du Sénégal. Le film est tout d’abord une introspection familiale. C’est l’histoire de deux frères qui ont des vues divergentes à propos du mariage de leurs enfants. J’essaie d’allier expériences personnelles et thèmes généraux. En grandissant au Fouta, j’ai vu mes sœurs et cousines se marier très tôt. Cela marche souvent et à d’autres moments, cela ne marche pas. Auquel cas, la cellule familiale en prend un coup. Ensuite, que se passerait-il si le mariage comme rite est corrompu dans son essence. Souvent le mariage se fait à très court délai, étant aussi parfois une décision communautaire. Enfin, le côté politique du film vient de mes expériences de visite du Mali avant et après l’invasion de Tombouctou. Personne n’a semblé voir venir les choses. Même chose quand je terminais mes études à New York et que Donald Trump s’est fait élire. Ce fut un choc. Et à chaque fois, après réflexion, l’on se rend compte qu’il y a eu des signes que l’on a décidé d’ignorer ou de ne pas voir. C’est donc nous dire que le progrès n’est jamais fini comme le dit Zadie Smith. Nous devons rester constamment vigilants. Baamum Nafi a été tourné au Sénégal où il n’y a pas eu d’attaques. C’est une situation qui pourrait rappeler le Mali ou le Nigeria. Mais ces pays pensaient-ils que cela leur arriverait ?
Parlez-nous un peu de la distribution, du tournage et du financement…
Très tôt dans l’écriture, je savais que rôle de Tierno (qui est le père de Nafi) reviendrait à Alassane Sy. C’est un acteur d’un talent immense. Il a fait des films aux Etats-Unis (Restes city de Andrew Doum), en Europe (Méditerrané de Jonas Carpignano) et aussi au Sénégal. Alassane est de nature très calme et parle un Pulaar mélodieux. C’est un acteur qui peut prendre la complexité de son personnage. Il est imam, mais il ne veut pas célébrer le mariage de sa fille. Puis l’antagoniste a été joué par Saïkou Lô. Saïkou est un acteur du théâtre Sorano qui a fait plusieurs films dont La pirogue de Moussa Touré. Il a la vivacité qui va avec son personnage, euphorique, mais calculateur. Le reste des acteurs sont tous de Matam. Et c’était la première fois qu’ils jouaient dans un film. Les acteurs des principaux rôles comme Nafi, joué par Aïcha Talla, ont eu du temps pour travailler en amont en ateliers. Je cherche toujours à les mettre dans des situations similaires à celles du film sans leur donner les vraies situations. Pour donner plus de fluidité au jeu, l’amie de Nafi est une de ses amies dans la vraie vie. Le rôle de M. le Maire a été joué par un employé de la mairie de Matam qui a vu passer plusieurs maires. Lors du tournage, nous avons fait le choix d’une caméra qui n’est pas grande. Cela nous permettait de nous rapprocher physiquement des personnages sans envahir leur espace. Nous avons tourné 24 jours étalés sur un mois. L’équipe était composée des meilleurs techniciens que compte aujourd’hui le pays. Pour le financement, il est presqu’entièrement privé. Maintenant, pour la post-production, nous avons la promesse du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique du Sénégal (Fopica) de prendre en charge une partie des dépenses.
Une projection est-elle prévue à Dakar ?
Nous travaillons avec les autorités compétentes pour une projection à Dakar et nous espérons aussi en faire une à Matam pour que les Sénégalais voient le film. Une date n’a pas encore été fixée, mais avec la collaboration de la direction de la Cinématographie et les nouvelles salles de cinéma à Dakar, nous comptons la faire bientôt. Ce film est d’abord et avant tout fait par des Sénégalais et pour les Sénégalais.
Des projets pour le futur ?
Quelques projets en l’air. Après l’adrénaline de Locarno, il faut s’asseoir, trier et essayer d’aller de l’avant.
Pourquoi ce titre en Pulaar ?
Nous avons cette pratique de ne pas appeler les adultes par leur prénom. Baba, comme père, ou toute autre personne qui a l’âge d’être un père. Néné, comme mère, Dédé pour grand frère ou grande sœur. Dans cette lancée, un adulte qui a un enfant (disons que l’enfant s’appelle Nafi) peut s’appeler Baamum Nafi (le père de Nafi). Le film se passe à Matam, je le savais et le voulais en pulaar. C’est une langue parlée par plus de quarante millions de personnes de l’est à l’ouest de l’Afrique. Ce qui en fait une des langues les plus parlées en Afrique. Aussi, c’est la langue que je parle le mieux. Puisque l’histoire se passe au Fouta, il était nécessaire d’en garder l’authenticité linguistique. Ne dit-on pas que la langue véhicule la culture !