«Baby Blues», son deuxième court-métrage après «Wuutu» en 2018, a obtenu la mention du Jury au dernier Festival du film africain de Louxor, en Egypte. Mamadou Socrate Diop est avant tout un passionné de cinéma, de littérature et de philosophie. «Baby Blues», qui est inscrit sur les catalogues d’une quinzaine de festivals à travers le monde, porte l’empreinte d’un homme qui cherche à comprendre le monde dans lequel il vit. Mamadou Socrate Diop est aussi l’auteur d’un ouvrage : «Les Etoiles de la destinée», un recueil de textes dans lequel il se livre à un dialogue avec lui-même.Comment vous présenteriez-vous ?

Je ne vous ferai pas le cliché du jeune homme qui a toujours rêvé de faire du cinéma. Le cinéma est venu à moi dans une période où je commençais à faire de la littérature. En 2012, j’ai rencontré par hasard Abdel Aziz Boye, le fondateur de Ciné-Banlieue. Je partais au stade pour voir le match du Sénégal. J’ai vu, en passant devant une maison, un écriteau sur lequel il était griffonné «Silence ça tourne». Je me suis rapproché prudemment. Quand il a senti que quelqu’un regardait la cour par l’entrebâillement de la porte, il est venu, m’a invité à rentrer. Il m’a «forcé» à assister à son cours. Depuis, je n’ai jamais quitté le cinéma et le cinéma ne m’a jamais quitté. Evidemment, j’ai appris là-bas les bases de l’écriture du scénario et de la réalisation, l’histoire et les métiers du cinéma. Mais, c’est en 2017 que les choses ont changé. J’ai rencontré Amath Ndiaye, réalisateur et formateur. Pour faire simple, j’avais un scénario sur lequel je bossais depuis 2 ans. Il l’a lu et m’a dit que c’était trop littéraire (d’ailleurs, on en rigole toujours). Mais il m’a pris sous son aile, m’a intégré dans son studio, Obelus film & animations studio. En 2017, alors que ma plus grande expérience de plateau c’était en tant que déco-accessoiriste, il m’a fait assistant-réalisateur pour son film Maty (que je considère jusque-là comme le meilleur film de notre cinéma). Tout est parti de là. En 2018, il a encadré et assisté le tournage de mon 1er film, Wuutu. La même année, j’ai quitté le Sénégal pour m’installer en France. J’ai traversé une longue période durant laquelle j’ai eu un blues artistique énorme. Je me suis éloigné un peu du cinéma et des plateaux. La cause ? L’éloignement, le changement… ? Toujours est-il que le cinéma ne m’avait jamais paru si loin. J’ai raccroché. Je suis retourné à la littérature. Ce n’est qu’en fin 2021 que j’ai renoué avec le cinéma, en réalisant Baby Blues.

De quoi parle votre film, Baby Blues ?
L’histoire du film pourrait être présentée de la sorte : un couple apprend au bout de 26 semaines de grossesse que le cœur de leur bébé s’est arrêté de battre. Le film est une immersion dans l’intimité de ce couple, dans un huis-clos total, pour saisir les clivages, divergences, conflits au sein de la maison. Le contexte ayant prévalu au film est complexe. En 2020, ma belle-sœur avec qui j’étais très proche, est décédée après son accouchement. C’est ce malheureux évènement qui m’a ramené au cinéma. Car après son décès, j’ai traversé une période assez compliquée. Une sorte de blanc total dans ma vie. C’est comme si le jour de son décès, je me suis endormi, en me disant naïvement «demain, tu te réveilleras, rien ne se sera passé». Souvent, la critique voit le film comme une histoire de déni (de la femme) et de lâcheté (du mari) ou d’espoir perdu (cet enfant destiné probablement à mourir). Peut-être, ont-ils raison parce que toutes ces émotions m’ont habité après son décès. C’est pourquoi, pendant l’écriture du scénario, cloitré à la maison, coupé de l’extérieur, je me suis battu pour amener le film à l’usure, qu’au bout de l’histoire, la personne appelée à mourir ou pas, ne soit pas ma belle-sœur. Je ne voulais pas la voir mourir une deuxième fois… Le film est donc écrit à l’envers. Dans l’histoire, c’est l’espoir de faire un enfant qui s’éteint. Techniquement, il fallait amener quelque chose de nouveau, travailler sur l’esthétique, les ambiances visuelles et sonores pour arriver à contourner des écueils classiques comme «je fais un film pour…». Un scénario prêt, un découpage solide, des intentions artistiques claires, c’est tout ce qu’il faut. Le reste appartient à la ruse de l’artiste et ça c’est du secret de laboratoire ! Voyez-vous, un film s’écrit tout seul. Il se nourrit des influences de ceux qui le portent. J’ai eu la chance, pendant la gestation du film, de rencontrer les personnes qu’il fallait. A l’issu de chaque projection, on me parle du jeu d’acteurs, de la musique, du cadrage, de la chef-operie. Si un tel genre existe, le film pourrait être classé comme une œuvre de «compagnonnage». Pendant un an, on a tissé des liens, des amitiés, avec les acteurs et les techniciens. Cette proximité a grandement servi le film. J’en profite pour rendre hommage à mes deux magnifiques interprètes, Marième N’diaye et Lassana Lestin, ainsi que tous mes techniciens, au premier rang Massène Yacine Sène (chef-op, assistant-réa, monteur, producteur du film par ailleurs) et Mouhamadou Sarr (qui a fait la prise de son, le mixage, le sound design), Adam Boukalea (le classique de la bande, cadreur). Je n’oublie pas Stéfanie Sylla pour la belle musique originale qu’elle a composée pour le film et tous les amis qui ont apporté de leurs services et leurs forces. Personne n’a demandé un rond pour participer à l’aventure. Nous y étions tous avec le cœur et les tripes.

Qu’est-ce qui vous inspire au cinéma ?
Le cinéma est un jeu, mais un jeu qui en vaut la chandelle. C’est un outil puissant qui peut bousculer certaines de nos certitudes et/ou de nos incertitudes. Soit. C’est un jeu qui n’admet pas l’amateurisme. C’est un jeu sérieux ! Ma grand-mère, Maty Fatim, était une grande conteuse. Le soir, avec tous les jeunes du quartier, on se regroupait sous le manguier, l’écouter nous conter des histoires de chez nous. Je suis encore nostalgique de cette époque où dans sa voix, un vaudeville ne valait pas moins qu’une grande histoire politique. Je pense être de cette souche. Tout le monde a envie de filmer les grands mouvements de la vie humaine. Et souvent, on oublie que de tels mouvements, quelle que soit leur portée, prennent forme dans nos petits quartiers. Le cinéma me permet de revêtir le costume du conteur pour redonner une voix, une âme, à ces petites histoires.

Vous semblez avoir un lien privilégié avec Djibril Diop Mambety…
Djibril et moi avons des liens très profonds. Parfois, je me surprends à me redécouvrir à travers ses yeux, sa voix, son écriture. Je vais raconter quelque chose de surprenant : à l’âge de 15 ans, j’ai rêvé que j’étais à Saraba, assis chez ma grand-mère, Maam Maty, buvant du thé au romarin au bord d’une falaise. Une grande silhouette, tout de noir vêtue, vient à moi. Elle m’a pris par la main et m’a entraîné à la pointe du rocher. Il m’a invité à basculer dans le grand vide avec lui. Il ne m’a pas laissé réfléchir et m’a entraîné avec lui dans sa chute. Quand, plus tard, après avoir regardé Touki Bouki avec ma grand-mère à Thiès, et qu’on ait affiché la photo du réalisateur, elle me dit que celui qui a fait le film est un cousin de la famille. J’avais en face de moi le visage de l’homme de la falaise. J’ai compris que, il y a 1000 ans, tout ceci avait eu lieu. J’étais déjà de l’autre côté de la falaise. Le cinéma, c’était l’œil de l’autre Diop. J’étais le grand-père avant d’être le petit-fils et vice-versa. Le lien, il a été mystique avant d’être artistique, 1000 ans plutôt.

Des projets dans le futur ?
Regarder des films, boire du café (rires !) Plus sérieusement, le troisième film est sur le banc d’écriture. Il est en développement avancé. C’est un court-métrage. Il y a encore, sur le plan technique et artistique, beaucoup de choses à asseoir. Peut-être, à cette seule condition, je passerais au long. Mais en attendant, on continue avec l’équipe, la distribution du film. Depuis fin 2021, le film est présent sur une quinzaine de catalogues de festivals à travers le monde. Il a récemment eu la mention du Jury au Festival de Louxor, en Egypte. C’est gratifiant. Ça fait partie du jeu. Le plus important, c’est la passion et, un passionné, j’en suis un. J’ai regardé des films avant d’apprendre comment on en fait. Donc, tout ce qui compte c’est de continuer de regarder des films et d’en faire bien entendu, si possible… Ainsi à la fin du jeu, nous pourrons nous asseoir pour ensemble dire : «Vive le Cinéma.»