«Fadiidi», l’exposition de Marie Madeleine Diouf, créatrice de mode de la marque NuNu Design by Dk, s’est achevée hier sur une note très festive, mais aussi sur une autre plus commémorative avec la projection de «Mossane» de la première réalisatrice sénégalaise Safi Faye. Une célébration de la culture sérère autour de l’héritage de la créatrice, originaire de Fadiouth.
Votre exposition à l’Espace Vema s’intitule Fadiidi. Qu’est-ce que ce terme signifie et qu’est-ce qu’il représente ?
Fadiidi est un mot sérère qui veut dire «bienvenu». C’est un concept d’exposition de photographies noir et blanc et de textiles africains. C’est une exposition qui tourne autour de la photographie en pays sérère, notamment à Joal Fadiouth. Et on a essayé de proposer en scénographie le textile qui a été porté sur ces photos.
Il y a des photos sur les murs, des objets anciens. D’où vient tout ça ?
Les photos, ce sont celles de famille que je collectionne depuis 5 ans. Les objets, je les collectionne depuis deux ans pour reconstituer des espaces des années 40 jusqu’aux années 80. Il y a beaucoup d’articles de ma famille que j’ai récupérés soit de mes grands-parents soit de ma mère et qui ont forcément une signification comme la canne que vous avez au penc (place publique), la valise de ma grand-mère, le bayou (commode) qu’on retrouve dans le salon, le fauteuil qui était à la maison quand je suis née.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire revivre cette époque ?
C’est un devoir de mémoire de revisiter, de beaucoup plus mettre en valeur ce qui s’est passé pendant ces années et de pouvoir les reconstituer pendant cette exposition.
Vous êtes styliste, et donc les étoffes sont un élément important de l’exposition. Il y a des étoffes particulières au pays sérère que vous avez voulu mettre en valeur…
Ce qui appartient réellement au pays sérère dans l’exposition, c’est le pagne tissé, le tiwan. Ce sont des pagnes tissés à Joal Fadiouth et qui sortent pendant les naissances, les décès, les grandes cérémonies. Pour ce qui est des matières teintes, on les trouve dans beaucoup de pays africains où cette matière est utilisée. Que ça soit l’indigo lourd ou léger, ce sont des pagnes qui reviennent toujours pendant les cérémonies.
Votre griffe, c’est un peu ce genre de tissus traditionnels…
NuNu Design fait de la recherche de matière. Quand on sort une collection, on essaie de raconter l’histoire des Peuples à travers leur textile. On en fait beaucoup de choses. On a présenté ces étoffes au défilé le jour de l’ouverture de l’exposition sur des modèles anciens que nos grands-parents ont portés. On en fait des snoods pour le froid doublés avec de la laine. On en fait des tee-shirts, des hauts. On peut l’utiliser sur beaucoup de modèles, des robes, des vestes et des manteaux aussi.
C’est une matière qui se prête bien à ce que vous voulez faire…
C’est du coton tissé, même si on ne trouve plus beaucoup de coton au Sénégal pour pouvoir le transformer. Il reste encore trois tisserands dans toute Fadiouth. C’est un métier qui a tendance à disparaître. Le métier de tisserand, c’est l’héritage de beaucoup de Peuples. Du coup, il nous en reste un peu dans nos villages et ils continuent à tisser des modèles authentiques, destinés soit au commerce ou aux cérémonies.
Et quand vous présentez ce genre d’étoffes sur des défilés internationaux, comment cela est accueilli ?
Le mot qui revient tout le temps, c’est authentique. Mais derrière ce côté authentique de ce que nous proposons, faire vivre nos économies à travers les matières d’ici est primordial pour notre développement. C’est la raison pour laquelle on s’efforce à utiliser nos matières que l’on retrouve ici même.
Ces dernières années, on constate comme un retour vers ces matières traditionnelles. On les porte de plus en plus et vous êtes quelque part à la pointe de ce mouvement…
On prend ce qui nous appartient en fait. C’est à nous de préserver cet héritage, mettre en valeur ce que nous produisons, faire vivre nos économies et faire ce qui nous ressemble.
Vous-même, quand vous utilisez ces tissus, les faites-vous teindre par des femmes d’ici ?
Pas forcément des femmes du Sénégal. Je sais que j’ai des teinturières qui sont à Freetown, en Sierra Leone, une partie à Banjul, la Guinée pour l’indigo. Il y a des lourds qui me viennent de Mopti. Et là, on va commencer à travailler avec une teinturière de Ziguinchor qui est justement venue assurer la formation au cours des ateliers et une femme de Guelakh sur des légers. Pour 2020, je cherche encore d’autres matières que je n’ai pas encore trouvées. Je ne sais pas à quoi ça ressemble. Mais pour les croiser, il va falloir se déplacer. Elles nous appelleront et nous répondrons.
Vous avez aussi proposé dans le cadre de cette exposition Fadiidi des formations en teinture, l’épopée des Guelwars qui est une soirée musicale avec Alibeta. Tout ça, c’est autour de la culture sérère…
C’est autour de Fadiidi. On a voulu, le commissaire Wagane Guèye et moi, que cette exposition soit dynamique. Proposer un atelier de teinture nous permet de faire un partage de savoir-faire avec des femmes qui nous viennent soit de Ziguinchor ou de Guelakh, de montrer à toutes ces personnes la chaîne de production, comment l’indigo que l’on porte est travaillé, le processus qui aboutit à ce produit. C’était deux ateliers très intenses sur deux week-ends et c’était de très beaux moments de partage.
Est-ce que le fait d’aller chercher le tissu aussi loin qu’en Sierra Leone n’explique pas quelque part que vos modèles soient trop chers pour certaines franges de la population ?
Quand vous voyez le processus pour avoir un pagne en indigo, et je conseille à toutes ces personnes qui disent que c’est cher de voir comment c’est réalisé. Il y a beaucoup de travail de couture à la main, de patience avant de sortir les motifs et les passer à la teinture 3 ou 4 fois pour avoir ce bleu nuit qui est l’indigo. C’est long et difficile. Ne serait-ce que par respect pour tous ces artisans qui font ce travail, je pense que ça vaut largement son prix.