C’est dans l’intimité d’une retrouvaille avec sa cousine que Meta Dia, que certains appellent encore Meta Crazy, souvenir d’une lointaine époque rap, a trouvé dans son emploi du temps chargé, une demi-heure pour évoquer sa passion : le reggae. De la perception que l’imaginaire commun Sénégalais a de cette musique, en passant par sa mission, sans oublier la pause imposée par le Covid-19, celui qui n’est pas prophète chez lui a annoncé une tournée d’un mois pour conquérir le cœur des Sénégalais. Pour son premier concert à Dakar, il a tenu à souligner «le manque de professionnalisme des organisateurs», tout en reconnaissant sa part de responsabilité.Vous vous rappelez de votre premier show au Sénégal ?

C’était en 2016. Je m’étais produit sur la scène du Grand Théâtre. C’était vraiment cool de voir mes proches, mes amis d’enfance, ainsi que mes fans. L’accueil à l’aéroport était sympa. Il y avait mieux à faire sur le plan organisationnel, ça manquait de professionnalisme. Je m’attendais à trouver dans mon pays, le minimum de professionnalisme, une organisation professionnelle sur le côté musical, sur l’itinéraire de la bande, l’heure de la balance, etc. La promotion du spectacle n’était pas fameuse. Le contrat n’a pas été respecté. Il y avait des faux pas sur le backline. Ça ne nous a pas permis d’être performants comme on le voulait. Mais le plaisir, la joie de jouer devant les Sénégalais ont tout dissipé. Après coup, ce manque de professionnalisme me dérange parce que je veux le meilleur pour mon public.

Est-ce que ne pas remplir les 1800 places du Grand Théâtre, pour quelqu’un qui a l’habitude de jouer devant des milliers de personnes, n’est pas un échec ?
Le reggae est une musique qui est particulière. Le Grand Théâtre n’est pas conçu pour la musique reggae. Ensuite, c’était ma grande première au Sénégal. C’est normal qu’il n’y ait pas une forte affluence. Je ne m’attendais pas à remplir la salle, mais plutôt à partager avec les Sénégalais qui vont diffuser ma vision de cette musique. Le reggae n’a pas la même force au Sénégal que les autres musiques. En plus, quand j’ai quitté le Sénégal, je n’étais pas connu.

Ce manque de professionnalisme n’a pas été un frein à la promotion ?
Sans doute ! Il fallait élargir pour promouvoir le spectacle. Je dois reconnaître mes failles aussi. Je ne suis pas un artiste qui vient souvent ici pour promouvoir ma musique. Je préfère retenir les points positifs, c’est-à-dire on m’a donné l’opportunité de me produire chez moi. Je pense réellement que les organisateurs ne connaissent pas le circuit où Meta and the corners devait jouer.

On suppose que vous allez corriger ces manquements au prochain concert au Sénégal.
En tout cas, on fera de notre mieux. On a prévu, au mois de décembre prochain, de se produire à Dakar. On fera une tournée d’un mois au Sénégal. Pour l’instant, nous avons 3 dates. On aimerait faire le maximum de régions. Actuel­lement, nous avons Saint-Louis, Dakar et Matam. On attend de formaliser pour communiquer sur les dates.

Le contact humain est essentiel dans la musique. Avec la pandémie, ce n’était plus possible de faire des concerts. Comment avez-vous vécu ces 2 années ?
Waouh ! J’ai vécu le côté triste de la pandémie. J’ai assisté aux décès de beaucoup de personnes. Ça m’a permis de me remettre en question. On n’avait pas le temps de comprendre la vitesse à laquelle le monde évoluait. Les gens n’ont plus le temps de se consacrer à leur famille. C’est comme si Dieu a décrété une pause générale. Cela a permis de redéfinir l’essentiel, de raffermir les liens. Sur le plan musical, il y avait plus de créativité parce que j’avais énormément de temps pour moi-même. Je n’ai pas beaucoup joué de la musique. Je passais le plus clair de mon temps à écrire. J’ai appris aussi à préparer le Thiebou dieun. J’en ai profité pour faire beaucoup de sport. Parfois, je prenais ma voiture pour simplement ressentir le plaisir de conduire. La solitude m’a permis de découvrir énormément de choses en moi. Le point négatif, c’est la disparition de certains proches. Avec l’arrivée de Donald Trump, j’ai beaucoup écrit. Mais musicalement, j’ai fait moins de 5 morceaux car j’avais besoin de contact humain pour jouer de la musique. C’est essentiel chez moi. Malgré tout cela, j’ai pu trouver la muse. J’ai besoin d’être avec les gens pour m’inspirer. Même la spiritualité me permet de créer.

Avez-vous senti que rien ne serait plus comme avant ?
Cela a remis le monde en question. J’ai vu beaucoup d’artistes faire des concerts virtuels. Je n’ai pas senti le besoin de le faire parce que, pour moi, le contact humain est essentiel dans la musique. Je préfère aller en studio que de faire une performance virtuelle, mais chaque artiste est libre. Je ne sais pas si les concerts virtuels vont continuer, mais je constate un foisonnement de talents partout. Seulement, ces nouveaux talents oublient un travail essentiel qui est le contact avec les instruments. Ils utilisent l’ordinateur au détriment de l’âme de la musique. Ils dépendent de la machine. Rien n’est comparable à une musique live. Sur le plan financier, ils sont partisans du moindre effort. Ils se produisent avec un Dj et sans orchestre, pour maximiser leurs profits.

Qu’avez-vous ressenti une fois sur scène, après 2 ans de pandémie ?
C’était en Belgique et c’était vraiment cool. Nous étions comme des enfants devant leurs jouets. La plus grande difficulté pour moi, a été de savoir comment occuper la scène. Je ne savais pas quoi faire. C’est la vérité. Avec la routine, je ne me posais pas de question. Mais avec la pandémie, c’était autre chose. Ça se bousculait dans ma tête. Je me cherchais sur scène. J’avais l’habitude de chanter des notes auxquelles je ne faisais pas attention. Elles étaient hautes. A la reprise, je m’interrogeais sur ma capacité à le faire. Mais j’ai joué 2 heures de live. Toute la bande était tellement concentrée que ça se voyait. Le 2ème show a été cool.

Vous êtes au Sénégal pour vous ressourcer. Que peut-on retenir de votre prochaine tournée mondiale ?
Nous allons commencer le 23 juin à New York, après nous allons faire Boston- Mas­sachusetts. On sera au Canada, en Europe, etc. Ensuite, on revient aux Usa.
Après plusieurs années de carrière, comment qualifiez-vous votre parcours ?
La seule chose qui m’importe, c’est de laisser quelque chose aux générations futures. Je sais que c’est possible. C’est mon seul but. Après chaque album, je me dis que je peux mieux faire. Je ne veux pas répéter ce que j’ai déjà fait. Chaque jour, j’essaie de colorer la musique. Sur mon dernier album, on sent cette touche rap et blues, mais toutes les lignes de basse ont été inspirées du mbalax. La guitare a des tonalités bien de chez nous. C’est ça qui me fait plaisir.

Que peuvent attendre les fans pour le prochain album ?
J’ai écouté de la trap music. J’y ai entendu du reggae. Pour le prochain album, je vais mixer de la trap et du reggae, avec le langage positif de la rue. Souvent mon anglais est défini comme direct, mais ici l’accent et l’humour de la rue sont différents. J’aime bien la culture des Massa. Je vais concocter du skank reggae avec de la basse hip-hop sur fond sonore typiquement roots.

Le porte-étendard du reggae en Afrique, c’est comme ça qu’on vous catalogue.
Est-ce que cet adjectif n’est pas lourd à porter quand Tiken Jah est encore en activité ?
Chacun est libre de qualifier qui il veut. Ce que je veux expliquer à travers ma musique, c’est que la culture reggae est en nous. Seulement, elle est stigmatisée. Même en Jamaï­que, le real reggae commence à disparaître. Cette musique devient de plus en plus moderne. Je veux présenter ma culture au monde. Il y a beaucoup d’aspects méconnus. C’est cela que reflète mon écriture. Le rastafari se réfère à la bible, mais moi je me réfère au Coran. C’est ça la différence avec les autres. Je veux utiliser l’Afri­que, le message du Coran, pour véhiculer ma culture. Je puise dans le Coran pour faire ma musique. Les générations futures doivent connaître notre culture tout en étant citoyens du monde.

Vous souffrez de cette étiquette de fumeur de chanvre parce que vous êtes reggaeman ?
Quand on sait comment fonctionne le système, la mission devient plus claire. J’ai intégré le paramètre de l’âge. Mettez du reggae et un autre genre musical devant les enfants pour voir leurs réactions. Il faut avoir un certain âge pour aimer cette musique. C’est une musique motivante, surtout pour le Peuple noir. Elle révèle notre identité. Il ne faut pas se focaliser sur le fait que des reggaemen fument du chanvre. Il y a plusieurs raisons d’écouter et d’épouser ce genre musical.

Faites-vous partie des fumeurs de chanvre ?
Il faut dire la vérité. J’ai été en Jamaïque. Au début, j’avais 25 ans. J’ai été accueilli par Damien Marley, avec du chanvre indien. J’ai eu de bons tirs sur le joint. Ce n’est pas ma culture ; mais la signification de «si tu n’as pas goûté tu ne peux comprendre». Après avoir fumé, ça n’a rien changé en moi. Pour dire vrai, dans la bande, on ne fume pas. On est dans un milieu, avec ses réalités. A la fin des concerts, on nous offre parfois beaucoup de chanvre. C’est une réalité. Mais quand on se connaît, on sait ses limites.
Propos recueillis par Malick GAYE (mgaye@lequotidien.sn)