«Goom bi», le tout dernier court métrage fiction du réalisateur Moly Kane, a été choisi dans la catégorie Short film corner (hors compétition) du 7ème Festival du cinéma de Cannes. Il raconte en 15 minutes le drame d’un migrant africain dont le voyage s’est arrêté aux portes de la Libye. Et qui de retour dans son pays tente tant bien que mal de s’intégrer de nouveau dans le tissu social. Dans cet entretien, Moly Kane revient sur la trame de ce film, du tournage. Il parle de ses attentes à Cannes et de son choix du thème de l’émigration africaine.

De quoi parle Goom bi ?
Goom bi c’est l’histoire d’un migrant, Ngagne 30 ans, qui tente l’aventure pour aller en Europe, en Italie précisément et qui malheureusement est confronté à beaucoup de difficultés pour réaliser son rêve. Après 5 ans en Libye, il décide de retourner dans son pays d’origine, mais il porte les séquelles de ce passage en Libye où il a vécu l’esclavage, le viol, beaucoup de tortures durant 5 ans. Lorsqu’il est revenu, Ngagne n’était plus la même personne. Il avait tant changé sur le plan physique et psychologique que même sa tendre épouse Kiné, qu’il avait laissée en partant, était perdue.

Cette histoire ressemble à celle de l’esclavage de migrants noirs africains en Libye qui a été récemment relatée dans les médias. Est-ce ce qui a inspiré ce film ?
J’avoue qu’au début, Goom bi était un projet documentaire. Je travaillais avec l’Office français de l’immigration et d’intégration (Ofii). Et je devais normalement réaliser un documentaire sur l’émigration. L’idée, c’était de parler du retour de ceux-là qui partent très longtemps de leur pays. Il s’agissait de montrer comment ces derniers voient le Sénégal, comment ils s’intègrent après leur retour au Sénégal… Mais lorsque les évènements libyens sont survenus, cela a changé la donne. Je me suis dit que pour faire un documentaire, il fallait chercher un personnage. Mais là je tenais mon personnage. C’était l’histoire qui se passe. J’ai donc viré pour faire une fiction au lieu d’un documentaire. C’est vrai, les événements qui se sont produits en Libye m’ont énormément inspiré.

Beaucoup de jeunes Sénégalais sont portés vers l’émigration clandestine ou irrégulière. Avec Goom bi, est-ce pour vous un moyen de sensibiliser ces jeunes ou juste un discours sur ce phénomène ?
Mon idée à travers ce film est de dire non à l’esclavage moderne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai intitulé Goom bi, la plaie. Nous on pensait que l’idée d’esclavage, de torture, de viol, c’était fini entre les peuples. On pensait que l’esclavage en Afrique était une plaie fermée, mais les évènements survenus en Libye nous apprennent que ce n’est pas le cas. Le mal est là, la plaie est toujours saignante. Je me suis du coup dit, il est temps de faire un film pour dire non à ces genres de situations qui surviennent fréquemment en Afrique. Etant réalisateur, la seule chose qu’on a c’est notre caméra. Et avec ça, on peut sensibiliser, sonner l’alerte.

Tentez-vous de justifier la migration africaine ?
Non. Je suis pour le voyage. Un voyage libre et légal. Je suis pour l’émigration régulière, mais il ne faut pas oublier qu’il y a parfois des réalités qui font qu’on ne peut pas remplir les formalités pour voyager légalement. Ce qui pousse les gens à voyager sans les normes requises. Quand l’Europe se plaint qu’on vient en Europe et qu’on envahit ses frontières, elle oublie que ces jeunes Africains ont aussi le droit de voyager et de découvrir ce qui se passe dans le monde.

Qu’en est-il des Libyens ?
Les Libyens, je ne peux vraiment pas leur pardonner. Ils oublient qu’ils sont eux aussi des Africains. Les Maghrébins ont beau avoir la peau blanche, ils restent des Africains. Il faut qu’ils comprennent cela. Que cela soit l’Afrique du nord ou du sud,… Nous sommes tous Africains. J’estime qu’on ne devrait même pas chercher de visa pour partir en Libye puisqu’on est en Afrique. Je nuance quand même mes propos parce que je sais que ce n’est pas toute la Libye, c’est une partie.

Revenons à Goom bi ! Vous venez de terminer le tournage et la première mondiale se fera à Cannes. Peut-on savoir où est-ce qu’il a été tourné. En combien de temps et dans quelle langue ?
On a débuté le tournage au mois de janvier ici au Sénégal. On a été au désert à Lompoul, à Tivaouane Peulh, à Kébémer, à Pikine Guinaw Rail (quartier du réalisateur). Et nous venons de finir le montage, la post-production au mois d’avril. Et comme tous mes autres films, Goom bi a été tourné en wolof, sous-titré en français et en anglais.

Quel est le coût de la production et comment s’est fait le casting ?
Ce film est une autoproduction. Il a été produit tout comme mes 2 derniers films par Babubu production. Une boîte de production que j’ai créée en 2013 et qui est basée à Pikine Guinaw Rail. Au début, le devis du film tournait autour de 12 millions de F Cfa. Et par manque, nous avons dû faire avec les moyens du bord pour réaliser Goom bi comme nous l’a appris le Professeur Abdel Aziz Boye (faire des images avec des bouts de ficèle). Nous avons puisé nos personnes ressources chez les jeunes de Ciné-banlieue qui se sont pleinement investis : mes camarades de promotion, amis, famille, les troupes théâtrales de la banlieue où on a fait des castings. Et on a pris en charge tout ce qui est régie, déplacement, qui était la moitié du budget (6 millions de F Cfa).

Comment s’est fait le casting. Est-ce des professionnels ?
Dans mes films, je mets rarement en scène des acteurs professionnels. Ce n’est que dans Muruna que l’on retrouve Makhtar Diouf et Rokhaya Niang qui sont des professionnels connus. Comme j’ai débuté par du théâtre dans les quartiers populaires, je connais pas mal de personnes qui sont dans ce domaine. Et les acteurs qui ont joué dans ce film ne sont pas des professionnels. Ce sont des semi-professionnels. Ils sont des dans troupes théâtrales, comme Ngalandou Faye, celui qui incarne le rôle principal. C’est le fils de Babou Faye qui fut un grand comédien au Sénégal (Sama allumette). C’est son premier film et on a fait ensemble le théâtre quand on était gamin.

Vous avez tout de suite pensé à lui pour le premier rôle ?
A vrai dire non ! On avait déjà trouvé la femme de notre acteur principal, Kiné, interprété par Seyni Diop, mais il restait le personnage principal, Ngagne. On a longtemps cherché parce que c’est un rôle clé et on voulait qu’il soit incarné par quelqu’un qui a une posture qui colle parfaitement aux traits physiques et moraux du personnage qu’on avait imaginé. Il fallait par exemple qu’on sente que ce personnage a vécu une galère, qu’il soit maigrichon et qu’il ait une barbiche. Et il se trouvait que je savais que Ngalandou Faye avait déjà les acquis pour être l’acteur principal de ce film. On avait partagé la même maison, on avait joué ensemble. Et c’est parti comme ça.

Comme vos précédents films, Moly, Muruna… Goom bi est aussi un drame social. Qu’est-ce qui explique votre penchant pour le drame ?
Je ne suis pas spécialiste du drame. Je suis plutôt un militant des droits de l’Homme. Je me sens comme un révolutionnaire. Ce qui fait que je suis très proche de la population avec laquelle je vis. J’ai des idées sur plusieurs thématiques, mais je choisis des idées qui me parlent. Moly par exemple traite d’un handicap, Muruna du viol, Vivre ensemble de l’intégration africaine en France. Comment les Noirs travaillent et gagnent leur vie dignement, s’aiment et s’entraident. Goom bi parle, lui, d’un émigré qui voulait partir, qui rencontre des difficultés et qui revient dans son pays et pense qu’on va l’accueillir, on va lui donner la force de renaître, revivre. Pour moi, ce sont des sujets intéressants à traiter. Et comme ça me parle directement, je raconte le sujet naturellement. Je les traite comme ça me vient, mais j’aimerais aussi faire de la comédie.

Goom bi c’est votre 4e court métrage fiction. Qu’est-ce qui vous empêche de vous lancer dans le long métrage ?
Je suis un jeune réalisateur. Un élève doit d’abord faire l’élémentaire, décrocher son Baccalauréat, avant de passer à l’université. Pour moi, le Baccalauréat sera mon premier long métrage. L’apprentissage était fondamental pour notre père spirituel, feu Abdel Aziz Boye qui nous a enseigné le cinéma. Il nous disait tout le temps, il faut prendre marche par marche. Il ne faut pas sauter sur un long. Ce n’est pas bon. L’apprentissage est fondamental dans notre métier. Le fait de faire 4 courts métrages de 15, 20 minutes revient pratiquement à faire un long. Pour moi, c’est bénéfique de faire 4 courts métrages. Ça te forme et te forge à aller sur un long métrage. Et à bien le faire. J’ai mes repères, je connais mon style, comment diriger mes personnages, comment gérer mes émotions sur le plateau et quand j’écris. Je ne suis donc pas trop pressé de faire un long métrage.

Goom bi a été choisi pour aller à Cannes. Ce sera votre 2e Cannes. Serait-ce dans la même catégorie que la première fois ?
Non, la première fois, c’était pour mon premier court métrage Moly, dans Cannes classic. Mais cette fois-ci, Goom bi est retenu dans la catégorie Short film corner.

Hors compétition ?
Oui. Vu qu’il y a énormément de courts métrages (plus de 700) et que dans la compétition officielle, ils ne reçoivent pas plus de 9 courts métrages au maximum, Cannes a ouvert depuis 2004 la fenêtre Short film corner pour permettre aux autres films qui ont des outils techniques, artistiques, mais que le programme sélection compétition officiel ne peut prendre en charge d’être vus. Goom bi sera dans le catalogue du festival et dans la vidéothèque.

Quel est votre sentiment après la sélection ?
Je suis soulagé parce qu’au moment où on tournait, les jeunes de Ciné-banlieue, l’équipe technique, n’arrêtaient pas de dire, Moly Kane à Cannes une 2e fois. Du coup, lorsque j’ai appris la sélection, j’étais content oui, mais j’étais aussi fier du travail des jeunes qui se sont pleinement investis dans le film. Ils se sont donné à fond. Je suis soulagé de savoir que tous ces jeunes qui ont travaillé sur le film et qui étaient peut-être des stagiaires se disent c’est difficile oui, mais possible. J’ai également senti le travail de mon père spirituel, M. Abdel Aziz Boye, qui m’a transmis le savoir du cinéma. Et j’ai pensé aussi à Euzhan Palcy, ma marraine. J’ai pensé au doyen feu Hamidou Dia. C’est lui qui m’a donné le titre du film. On échangeait énormément. On se parlait au téléphone. On discutait du sujet, de l’esclavage en Libye. Un jour, il m’a envoyé par texto le titre du film. Au début, j’avais pensé à une plaie rouverte. Il m’a dit c’est trop long, prend plutôt : La plaie, Goom bi. Il est décédé un mois après.