HORIZON… Moussa Seydou Diallo, auteur du recueil «Tranches de vie» : «Le changement commence d’abord par une introspection»

«Tranches de vie», c’est un recueil de nouvelles publié par le journaliste Moussa Seydou Diallo chez Harmattan. Préfacé par l’écrivain Amadou Elimane Kane, il sera présenté au public samedi prochain. Dans le livre, l’enseignant de formation mais aussi l’acteur de développement, aborde des questions telles que l’exploitation sexuelle dans les zones d’orpaillage à Kédougou, le lévirat, etc.
Après votre premier recueil de poèmes Périple solaire, vous venez de publier un recueil de nouvelles. Parlez-nous de cette œuvre ?
Tranches de vie est un recueil de 5 nouvelles. J’ai voulu le faire pour traiter des faits de société. Il s’agit de relations humaines, de népotisme, de l’arrivisme, en tout cas, des rivalités qui existent entre les personnes humaines. Il s’agit également de la crise des valeurs, la perte des valeurs. Dans la nouvelle intitulée par exemple La Pente, j’évoque les questions du trafic d’êtres humains. Parce que moi, je suis originaire de la région de Kédougou qui est par excellence une région minière. Et dans cette région, il y a pas de mal de choses qui se font dans ce domaine. A travers La Pente, j’ai voulu attirer l’attention des uns et des autres par rapport au phénomène du trafic des êtres humains. Il y a également une nouvelle que j’ai appelé Le Parricide, dans laquelle on parle des questions du lévirat, de l’héritage dans le mariage. Ce sont des pratiques qui existent toujours mais qui ont des conséquences. On le verra à travers cette nouvelle. Il y a une autre nouvelle appelée La Reconquête, où je parle des questions de l’emploi et de la famille. Il s’agit donc de l’histoire d’une jeune avocate qui gagne des procès mais à un certain moment, elle privilégie son boulot au détriment de son ménage et finit par accuser son mari d’infidélité alors que c’est elle qui ne joue pas pleinement son rôle. Elle s’est résolue maintenant à reconquérir son époux et à gérer son foyer. La dernière, c’est un peu de l’espoir à la tragédie. Il s’agit également d’un fait de société. Le mariage endogamique imposé à une jeune dame qui était déjà en union avec quelqu’un qu’elle aimait et que finalement, comme elle avait une maman puissante qui contrôlait le foyer, le papa n’avait pas son mot à dire. Elle était obligée de forcer sa fille, au risque même de la maudire si elle ne s’exécutait pas, alors qu’elle était déjà en couple avec quelqu’un qu’elle aimait. Donc c’est un peu tout cela qui compose le cocktail Tranches de vie.
A travers La Pente, vous parlez de la question de l’exploitation sexuelle. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet ?
C’est un phénomène d’actualité. Vous allez dans ma région, la région de Kédougou qui est à la fois une région frontalière mais également une zone minière, tout ce que vous pouvez considérer comme fléaux sociaux : prostitution, trafic, proxénétisme, délinquance juvénile, tout ce que vous pouvez imaginer, existe dans ces zones-là. Et malheureusement, il n’y a pas une présence suffisante de l’Etat ou même des forces de sécurité. Donc, j’alerte parce que c’est un phénomène qui est croissant et que ce sont des personnes étrangères qui viennent trouver des personnes autochtones qui n’étaient pas au fait de ces pratiques-là pour les enrôler. Finalement, ces personnes-là s’engouffrent dans cette pratique et ça devient un maillon très dangereux qui aujourd’hui, commence même à prendre des proportions inquiétantes. J’alerte par rapport à tout cela, parce qu’on parle de développement de maladie, d’insécurité mais pour régler cela, il faut d’abord veiller à la sécurité intérieure du pays. Il s’agit forcément pour moi de régler ces questions qui menacent la sécurité du pays.
« la société est malade parce qu’il y a des pertes de valeurs »
C’est une fiction mais tirée d’une réalité. Est-ce réellement la vôtre ?
Tout à fait. Vous savez, comme je dis, on ne dit pas quelque chose qui n’a pas été déjà dit par d’autres. Mais nous adaptons nos écrits en fonction de notre époque, de notre temps. Effectivement, les histoires sont des fictions mais basées sur des faits réels. Ce n’est pas forcément que moi j’ai vécu ces histoires-là, non. Parce que ce sont des personnages que vous voulez voir, des visages fictifs, des noms fictifs. Quand vous lirez l’ouvrage, vous verrez que ce sont des faits qui impactent, des faits que nous rencontrons dans le quotidien de tous les jours.
La partie sur l’exploitation sexuelle est-elle tirée d’un reportage que vous avez réalisé en tant que journaliste ?
Tout à fait. S’agissant de La Pente, effectivement c’était dans le cadre d’un travail de reportage que j’effectuais en tant que journaliste dans la zone des sites d’orpaillage traditionnels, qui parlait des problématiques de l’exploitation artisanale de l’or. Donc j’ai pu rencontrer une personne qui m’a raconté comment elle a fini par atterrir dans ces sites d’orpaillage et comment elle a été arnaquée, menacée, ensuite mise dans ce réseau-là. C’était abominable. C’était la première fois que j’étais face à une telle situation. Il fallait donc trouver les moyens de pouvoir sensibiliser. C’est vrai que j’ai fait mon travail de journaliste. Mais au-delà, je me suis dit qu’il fallait cet aspect pédagogique, éduquer, alerter. C’est une fiction certes, mais ça se passe de la même manière dans la réalité, puisque ce sont des lobbies et des groupuscules bien organisés qui font des passages d’un point A à un point B. Ce sont plusieurs gens qui interviennent, qui ont des représentants, des relais.
Dans l’ouvrage, vous évoquez aussi d’autres thèmes tels que le mensonge, le népotisme, le complot, la trahison, la manipulation. C’est l’enseignant ou le journaliste qui parle d’un milieu qu’il connait ou non ?
Dans le milieu professionnel, que ce soit moi en tant qu’enseignant ou en tant que journaliste, ou encore en tant qu’acteur de développement, ce sont des choses qu’on vit, puisque vous savez, le plus difficile c’est d’être créatif ou imaginatif. Et souvent, les personnes censées nous accompagner ou censées exécuter les tâches de l’Etat au niveau déconcentré, ce sont des gens qui viennent avec leur propre objectif. Non pas pour servir l’Etat mais pour se servir. Pour moi, ce sont des gens qui doivent travailler pour le compte du pays. Mais quand il s’agit maintenant de transférer des problèmes externes dans l’Administration ou dans le fonctionnement d’une structure bien donnée, ça pose problème. C’est donc ce que je suis en train de dénoncer. Il faudrait que les responsables, les dirigeants qui sont dans l’Administration, puissent être des gentlemen, des leaders. Et être leader, ce n’est pas transférer ses états d’âme dans le fonctionnement de la structure. Ensuite, il y a des envieux dans les relations humaines. Pourquoi on devrait envier quelqu’un alors que chacun de nous a son destin, chacun de nous a son intelligence, sa créativité. On ne peut pas priver quelqu’un des dons que Dieu a mis en lui. C’est quelque part être un peu mécréant ou être frappé d’une certaine cécité intellectuelle de ne pas reconnaître le mérite de quelqu’un. Voilà les faits que je dénonce. Ça devrait interpeller tout un chacun. Je pense que le changement commence d’abord par une introspection. Si nous voulons changer notre vis-à-vis, il faudrait que nous puissions d’abord incarner ce que nous voudrions être pour que lui puisse s’inspirer de ça.
Le lévirat pratiqué dans certaines sociétés est développé dans le livre. Quels sont ses méfaits dans ces sociétés ?
Il y a certes des avantages mais il y a des inconvénients. Dans ce cas précis, d’un frère qui hérite de l’épouse de son défunt frère et qui l’enviait en réalité. Donc quand il est venu, au lieu de gérer la famille, il bastonnait l’épouse, il mettait mal à l’aise les enfants. Ça a révolté le jeune qui a été finalement obligé de l’abattre.
« J’ai fait mon travail de journaliste. Mais au-delà, je me suis dit qu’il fallait cet aspect pédagogique »
Chaque jour, on dit qu’il y a un cas de parricide, homicide volontaire, homicide involontaire. C’est parce que la société est malade parce qu’il y a des pertes de valeurs, on n’a plus de repères. Nous sommes avant tout des êtres humains, donc des êtres doués d’intelligence. Et lorsque nous cessons d’agir avec cette intelligence, nous devenons des bêtes. Ce sont des phénomènes ancestraux mais qui ont leur importance puisque le lévirat dans l’histoire, on le faisait pour la stabilité familiale. Parce qu’on supposait que lorsqu’un homme hérite de l’épouse de son défunt frère, c’est dans la famille, c’est le mariage endogamique. Il n’y a pas de problème.
Vous dénoncez aussi la problématique des castes dans les sociétés sénégalaises en plaidant sa fin ?
Il faudrait que les gens avancent. Je pense qu’aujourd’hui on ne peut pas rappeler des choses qui se passaient au 13eme siècle pour stabiliser la communauté, parler de griot, de noble, je ne sais quoi encore. Il faudrait que, quand les gens s’aiment, qu’on leur permette de vivre leur amour. Ce sont des clichés qu’il faudrait bannir. Nous naissons tous d’égale dignité devant Dieu. Il n’y a pas de supériorité de sexe, de race ou d’origine ou de quoi que ce soit.
Quels sont aujourd’hui vos projets ?
J’en ai, puisque j’ai un roman en gestation déjà. Je pense que cette fois-ci, je vais écrire exclusivement un essai sur Kédougou.
msakine@lequotidien.sn