«The burial of Kodjo» vient de démarrer sa deuxième carrière sur Netflix après avoir fait le tour des festivals du continent et d’ailleurs. Ce film du Ghanéen Blitz Bazawule, qui vient de remporter le Grand prix du Nil du Festival du film africain de Louxor, s’est démarqué en proposant un style narratif et une esthétique particulière. Au cours du Master class qu’il a tenu à l’occasion du festival de Louxor, le critique de cinéma, Olivier Barlet, a choisi ce film comme exemple pour expliquer les contours du travail du critique de cinéma.
A l’occasion de cette 8e édition du Festival du film africain de Louxor, vous avez animé un Master class sur la critique cinématographique. Que peut-on en retenir ?
Je suis d’abord parti du film d’ouverture comme exemple, «The Burial of Kojo» (l’enterrement de Kojo), un film ghanéen pénétré d’imaginaire, de fantaisie, complètement décalé ! Il me paraissait intéressant de prendre ce cas d’étude, puisqu’il ne parle pas de lui-même, se situant au niveau de l’imagination d’une enfant. Que peut-on dire en tant que critique ? La première question à se poser devant un tel film, c’est qui parle, une question que je me pose pour tout film. Ici, c’est une jeune fille, ce qui explique la forme éventuellement dérangeante du film, le trouble qu’on peut ressentir. La critique est justement de proposer un éclairage, un peu de lumière dans la confusion, de façon bien sûr entièrement subjective. Le mot critique vient du grec krisis qui veut dire le discernement, la distinction, la séparation. Un autre mot grec, krima, veut dire le verdict. La critique n’est donc pas un jugement, ce n’est pas de dire c’est bien ou c’est mal, c’est essayer de discerner et de comprendre un film. Et pour le comprendre, il faut déjà savoir quel est le point de vue du film, savoir qui parle et ce qu’il nous dit. Ça peut être un personnage du film, mais derrière lui, il y a le réalisateur. Cependant, derrière ce dernier, il y a parfois une production, une église, une idéologie, un discours politique, etc. Si un film s’avère un outil de propagande, alors il faut sortir son revolver ! Il est essentiel de prévenir les spectateurs car l’image est très forte et impose aisément les choses sans en avoir l’air. Il faut donc savoir s’il y a de la création ou une commande qui nous dit ce qu’on doit penser. L’image est une crise en soi : c’est la déstabilisation que peut ressentir un spectateur quand il voit une œuvre d’art. Au-delà de la distraction, l’œuvre d’art touche quelque chose en moi qui ne va pas être du sentimentalisme ou du pathos. Un film qui ne trouble pas le spectateur n’est pas une œuvre d’art. Et le critique doit essayer de mettre cela en lumière et voir qu’est-ce qu’un film mobilise chez le spectateur, en quoi il le fait grandir. Le bon film, c’est celui qui pose une question, pas celui qui donne la réponse.
Quels outils le critique peut-il utiliser pour cela ?
Un film, c’est fait d’images, de sons, de musiques et de couleurs, de lumière, de mise en scène, de cadre et de hors-champ. Tout cela doit faire partie de l’analyse. Le critique va décortiquer avec sa culture. L’esthétique du film me parle de ce que dit le film. La forme fait le fond et le fond fait la forme. La critique, c’est aussi d’analyser cela et de voir en quoi cette esthétique défend un propos.
Il y a aussi la question de qui doit critiquer ?
Tout le monde peut critiquer. Le problème du critique professionnel, c’est justement de développer l’esprit critique chez chacun. Et cela se fait par des instruments. Donc analyser un film avec toute l’esthétique du film, c’est donner la possibilité à celui qui le lit, de comprendre comment fonctionnent les images, comment fonctionne le cinéma pour à son tour, pouvoir analyser d’autres films. Donc, une critique, c’est une pédagogie de l’analyse de film, de la maitrise de l’image au sens de la compréhension de l’image.
Est-ce que le langage du cinéma est quelque chose d’universel qui fait que l’on puisse l’analyser ?
C’est la technique du cinéma qui est universelle. Le langage est dépendant des cultures, des influences. Quand on fait un film, on s’adresse a priori à un public international et on adapte pour être compréhensible par tous. Mais ce langage va aussi avoir la consonance culturelle de ce qu’on veut exprimer. A un moment, les cinéastes disaient je ne suis pas un cinéaste africain, je suis un cinéaste tout court. Ils voulaient sortir de l’enfermement dans un genre qui définissait ce qu’ils devaient être et les enfermait dans la marginalité. Mais le problème, c’est qu’en disant cela, ils se référaient à une sorte d’essence du cinéma qui n’existe pas. On est toujours issu de quelque part et on est toujours appelé à exprimer ce qu’on a dans les tripes, ce qui ramène à son enfance et sa culture. Et ces derniers temps, on a vu le contraire se passer : les cinéastes ont cherché des formes ancrées dans leurs cultures d’origine. Par exemple, un cinéma qui sera monté sous une forme cyclique, comme dans l’oralité. Balufu Bakupa-Kanyinda parlait d’écriture en tresses en référence à sa culture congolaise. On sera donc attentif aux tentatives de nouvelles écritures cinématographiques à même de renouveler le langage mondial. Quand Picasso regardait les masques africains, il ne les a pas copiés, mais il s’en est inspiré. Godard ne fait pas beaucoup d’entrées en salles car c’est difficile à comprendre, mais mine de rien, il fait avancer le cinéma. Burial of Kojo est un film qui va dans tous les sens, qui même renverse l’image de temps en temps. Le réalisateur est un chanteur de hip hop. Et tout le film est comme une sorte de hip hop. Si on accepte d’essayer de comprendre et de ne pas rejeter d’emblée, on peut y trouver la recherche d’une expression qui soit à la fois culturelle et qui essaie de voir le monde différemment.
Est-ce que c’est quelque chose qu’on peut remarquer chez d’autres réalisateurs africains, par exemple au dernier Fespaco ?
Au Fespaco, j’ai trouvé que trois films proposaient une esthétique nouvelle : Keteke, aKasha et Hakilikan. Keteke est un film du Ghanéen Peter Sedufia que je trouve superbe, à la fois drôle, émouvant et profond. Il est fait avec trois fois rien, avec les copains. Il a pris par contre deux bons acteurs professionnels, du coup, ça fonctionne. C’est un film très sympa qui dit plein de choses sur la société ghanéenne, les relations entre les hommes et les femmes, le patriarcat, etc. C’est vraiment mon coup de cœur. aKasha est un film sud-soudanais, une rareté. On y voit des jeunes au moment du Kasha, le moment où, après avoir aidé leur famille pour les récoltes, les soldats de l’armée rebelle doivent retourner faire la guerre. Deux d’entre eux vont essayer d’y échapper, jusqu’à se déguiser en femmes… Là aussi, c’est fait sans moyens mais c’est drôle et touchant. Un peu confus parfois mais on apprend plein de choses. Hakilikan, du Burkinabè Issiaka Konaté, essaye de poser la question de la mémoire à partir de l’inondation de la cinémathèque africaine. C’est bourré de bonnes intentions formellement intéressantes mais je trouve que c’est un peu difficile de rentrer dedans. L’humour est absent et les allégories sont trop distanciées. On est toujours captivé par ce qui se passe sur l’écran mais au bout du compte, on a du mal à tirer les ficelles. L’exercice est difficile ! Cela n’empêchait pas d’autres films, plus classiques dans la forme, de proposer d’intéressantes visions des enjeux africains. J’ai publié sur africultures.com un long article sur les vingt longs métrages de la compétition fiction.
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