La dixième édition des Rencontres internationales d’art contemporain de Brazzaville (Riac) ont démarré le 4 septembre dans la capitale congolaise. De la multitude d’artistes qui prennent part à ces rencontres inscrites sous le thème : «L’eau, l’environnement, la durabilité», figurent des artistes peintres et sculpteurs de talent. Patrick Ngouana, curateur et producteur d’exposition camerounais, a été l’orfèvre du montage de l’exposition inaugurale à l’Institut français du Congo. Dans cet entretien, il partage cette expérience, mais évoque également les subtilités du travail de scénographe.Vous avez travaillé à la mise en place de l’exposition de la 10e édition des Riac. Qu’est-ce qui traverse cette exposition en termes de styles et propositions ?

Cette exposition regroupe environ 54 œuvres d’art, de la peinture, du dessin, des installations, de la photographie et de la sculpture. Face à la variété des œuvres et des discussions que les artistes ont ouvertes, l’exposition se démarque dans la mesure où il y a une histoire qui est créée, mais ce n’est pas une histoire qui tient sur un fil. C’est plus un voyage où les œuvres sont regroupées en forme de patchwork, mais l’essentiel pour nous était de regrouper les travaux par style d’écriture. La discussion était ouverte sur la question de l’eau, de la préservation et de l’environnement, les artistes ont présenté des sujets, des scènes où ils ont mis en exergue ces éléments qu’on retrouve dans la nature ou qui font partie de la nature : les plantes, l’univers sous-marin, et d’autres ont beaucoup plus accentué leur écriture sur la dégradation de l’environnement, en mettant en avant des éléments qui font partie des poubelles. Dans l’exposition, les œuvres ont été regroupées en fonction de ces éléments identitaires qui revenaient à chaque fois.

En tant que scénographe, en quoi a consisté votre travail ?
Avec Sophie Bazin (Ndlr : Encadreuse de l’atelier d’art plastique des Riac10), il était question d’abord d’accueillir les œuvres, sélectionner les pièces qui devaient rentrer dans l’exposition, parce qu’il y a deux autres expositions qui arrivent. Ensuite, de créer un parcours au sein de l’espace qui nous a été proposé par l’Institut français de Brazzaville. Et enfin d’installer les œuvres, les accrocher, préparer les cloisons.

Cette démarche, vous la reproduisez pour chacune des expositions auxquelles vous participez ?
Ce n’est jamais la même démarche pour toutes les expositions. Si un artiste vous invite et veut produire une œuvre in situ, la démarche ne sera pas la même. Il arrive parfois qu’on ait une installation qui demande plus d’investissement logistique, par exemple un ou deux camions de sable dans la salle, ou un artiste qui veut carrément qu’on ouvre la toiture du musée pour remettre une autre matière. La logistique va changer, les interventions techniques ne sont pas toujours les mêmes. Il y a des expositions qui sont tellement complexes qu’elles vont nécessiter que le scénographe travaille un peu comme un architecte des espaces intérieurs. Il y a parfois un défi logistique à relever, mais cela dépend de la taille de l’exposition. Parfois, il faut carrément reconstruire la salle, avec de nouveaux circuits d’électricité, la lumière.

Et pour tout ça, c’est le scénographe qui va faire la maquette ?
Le scénographe va imaginer ça en collaboration avec le commissaire. Le scénographe ne doit jamais oublier qu’il n’est pas le commissaire. Celui-ci lui remet un dossier dans lequel il y a une note d’intention de l’exposition, les œuvres des artistes, les différents sujets qui reviennent. Et à partir de là, le scénographe propose un parcours qui permettra d’aller d’un point A à un point B, d’une manière logique. Ça peut être une histoire qu’on raconte et la scénographie peut s’inspirer d’un livre. Mais après, il y a un travail qu’il faut faire sur le choix des peintures. Cela ne se fait pas au hasard, même la façon de traiter la lumière compte. L’éclairage aussi peut parler, on peut vouloir que les lumières soient plus douces et plus tamisées. On peut aussi vouloir qu’on soit beaucoup plus en immersion, etc.

Et tout cela relève de la sensibilité du scénographe ?
Exactement. C’est lui qui doit aussi être en mesure d’aller puiser dans ce vers quoi l’artiste veut amener les gens dans son travail. Le scénographe doit demeurer dans le défi de rester lui-même. C’est comme si lui-même est un créateur, mais il ne faut pas qu’il se perde. On oublie souvent ce métier qui fait partie des métiers de la production d’exposition. Beaucoup de gens se disent que l’exposition se limite seulement à l’intervention d’un commissaire et d’un accrocheur. Non ! Il y a le commissaire, le directeur de production, le régisseur, et le scénographe qui va travailler avec les équipes embauchées par le régisseur. Des menuisiers, des soudeurs métalliques, des imprimeurs, il y a de tout.

Pour cette exposition collective qui marque le lancement des Riac, quelles œuvres vous ont touché ?
J’ai été particulièrement touché par l’œuvre de Arnold Fokam, qui ouvre une discussion sur la dégradation de l’environnement, mais plus particulièrement sur l’impact de la dégradation de l’environnement sur l’univers marin et sous-marin. Et dans cette discussion, l’artiste ne nous invite pas seulement à regarder la destruction de l’écosystème sous-marin en termes de dégradation des plantes, des poissons, mais à regarder cela sous un angle beaucoup plus spirituel. Nous savons que nos eaux sont habitées par des entités qui sont très souvent connues comme des Mami Watta et qui participent aussi à enrichir ce que nous allons considérer comme un environnement ou un écosystème. L’artiste nous invite à ne pas seulement regarder ou considérer cette destruction de la nature comme quelque chose de fondamental. Il y a des plantes, des poissons et des ordures, mais aussi aller un peu plus loin en regardant nos traditions, notre culture et tout ce qui se passe dans nos cultures traditionnelles.

Le thème de ces rencontres, «l’Eau, l’environnement et la durabilité», répond bien à cela ?
Ce travail répond à cette discussion que les Riac ont posée sur la table. Mais ce qui est intéressant, c’est que l’artiste ne s’est pas limité à ce que tout le monde sait de la gestion de l’environnement et de la préservation de l’eau. Il a regardé un peu plus en profondeur et il va nous amener dans une autre dimension de lecture du rapport qu’on a avec l’eau ou alors avec les entités spirituelles qui sont encadrées par cette eau. J’ai bien aimé aussi le travail de Alegra Nicka, même s’il n’est pas en lien avec la discussion posée.

Les installations et la sculpture répondaient à la discussion sur la dégradation de l’environnement, mais elle est beaucoup plus restée sur l’image que nous devons avoir de l’eau, la valeur que nous accordons à l’eau. Elle nous présente l’eau comme de l’or. Les précédentes guerres ont été portées plus par des rivalités autour du pétrole et du gaz, mais on sait que l’eau sera demain à l’origine de tous les conflits. Elle fait donc une métaphore en transposant l’eau comme une valeur qu’on doit regarder comme de l’or. Elle nous invite aussi à regarder et revoir les rapports que nous entretenons avec cette eau chaque jour. J’aime bien ces ciseaux avec lesquels elle transperce la matière en plastique qui matérialise l’eau, et à travers ces ciseaux qui sont les symboles de la violence et qui nous invitent à questionner nos actes de violence vis-à-vis de la nature et surtout la façon avec laquelle nous utilisons l’eau.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU (mamewoury@lequotidien.sn)