Les médias, vecteurs de l’information, sont souvent dans des situations complexes. Etre acteurs de la paix ou acteurs de la guerre, comme ce fut le cas au Rwanda en 1994 où un organe de presse incendiaire, la Radio des Mille collines, s’était donné comme principale mission d’attiser la haine entre les populations. A l’occasion des 50es Assises de l’Union de la presse francophone, tenues à Dakar du 9 au 11 janvier et dont le thème portait sur «Médias : Paix-Sécurité», Patrick Nyiridandi, journaliste rwandais, rappelle la responsabilité des médias dans le génocide rwandais. Dans cet entretien, le président de l’Upf Rwanda revient aussi sur l’historique de son organisation et jette un regard sur l’organisation de cette rencontre de journalistes et experts de divers domaines du monde francophone.Vous avez été récemment porté à la tête de l’Upf Rwanda, quels sont aujourd’hui les grands chantiers de votre mandat ?

Je vais faire rapidement l’historique de l’Upf Rwanda. Il y a un certain temps, le Rwanda a été un peu loin des organes de la Francophonie. L’histoire de l’Upf Rwanda a débuté en 2018, c’est récent par rapport à celle du Sénégal, vieille de plus de soixante ans maintenant. C’est un groupe de jeunes et de moins jeunes journalistes qui se sont retrouvés pour remonter le niveau de la presse francophone. Cela a commencé à Erevan, en Arménie (les 47èmes Assises de l’Upf). De retour d’Erevan, on a essayé de créer ce qu’on appelle l’Organisation de la presse francophone du Rwanda. Avec 10 membres au départ, l’organisation a progressivement grossi pour atteindre aujourd’hui soixante-dix (70) membres. Un travail a été fait à ce niveau. Mon premier souhait est de voir les membres de l’Upf Rwanda augmenter, même si le nombre d’adhérents a été multiplié par sept depuis le début. Et puis faire encore plus appel aux jeunes.
Evidemment, dans un premier temps, les membres étaient d’un certain âge, de plus de quarante ans. Mais petit à petit, on a commencé à recruter des jeunes parce que qui veut aller loin doit préparer la jeunesse. Des jeunes très motivés. D’une participation d’un membre aux Assises précédentes, aujourd’hui, en janvier 2024 à Dakar, on a une délégation de six membres. C’est l’Union de la presse francophone section Rwanda qui se retrouve à Dakar.

Comment évaluez-vous l’organisation à Dakar de cet événement majeur de la presse francophone ?
Je tiens, sans hypocrisie, à remercier et à féliciter le Peuple sénégalais en général, mes confrères sénégalais en particulier, membres de l’Upf, en commençant par le président de l’antenne sénégalaise de l’Upf, El Hadji Abdoulaye Thiam, qui a fait un travail extraordinaire de mobilisation. Il faut penser aussi au président international de l’organisation, Madiam­bal Diagne, qui est aussi Sénégalais, pour avoir tout donné. Parce que pour réussir de telles assises, il faut se donner à fond. C’est le lieu de remercier aussi la Secrétaire générale, Mme Zaharia, qui n’a ménagé aucun effort pour la réussite de cet évènement. Je peux déjà parler de réussite, même si les travaux ne sont pas encore terminés, parce que j’ai déjà participé à quelques assises. On peut voir qu’il y a un effort important qui est fait pour qu’on puisse avoir ce cadre magnifique, et puis la présence du Président du Sénégal, Macky Sall.

Le profil des participants a participé à la réussite de l’événement…
Ah oui. Avant tout, il faut penser au thème choisi, «Médias : Paix-Sécurité», dans un contexte difficile qui ne concerne pas seulement l’Afrique. Pendant un moment, on a beaucoup plus parlé d’un continent en difficulté, dans des conflits, mais c’est devenu mondial. Il y a le cas de l’Ukraine et de la Russie en plein cœur de l’Europe. Qui n’avait pas connu de conflit depuis à peu près plus de quarante ans. Il y a l’Asie et un peu partout. Donc, il faut féliciter celles et ceux qui ont pensé à cette thématique qui cadre avec le contexte mondial actuel.

Quels sont l’enjeu et l’importance de cette thématique pour les professionnels des médias ?
Le journaliste est le lien entre le public, et dans une grande partie, avec l’autorité établie. Il est censé être une courroie de transmission entre le pouvoir public et la population, et vice-versa. Dans un contexte où les médias doivent jouer un rôle important dans cette transmission des informations, le ou la journaliste a une lourde responsabilité de donner une information qui ne pousse pas à attiser les conflits et la haine entre les peuples ou à l’intérieur d’un même pays. Les conséquences sont désastreuses. Si vous prenez le cas de mon pays, le Rwanda, où le ou la journaliste a joué un rôle néfaste qui a conduit à la mort, à l’assassinat de plus d’un million de personnes en trois mois.

Les médias ont été vecteurs de la guerre…
Je ne sais pas si vous connaissez la Radiotélévision des Mille collines. Cette radio invitait du matin au soir à la tuerie. Et ce sont des journalistes de la presse écrite et de la radio qui ont fait cela. Cette radio était financée par un richissime rwandais du nom de Félicien Kabuga. Pour que cette radio soit efficace et puisse couvrir tout le pays, il a donné sa fortune et recruté des Rwandais et des étrangers qui appelaient à la haine. Les conséquences sont aujourd’hui visibles partout dans le pays. Vous pouvez les suivre sur les médias ou aller au Rwanda pour visiter les mémoriaux du génocide, pour voir et comprendre l’histoire.

Quelles les leçons à tirer de cet évènement doulou­reux pour les journalistes, notamment rwandais ?
Chaque fois que je participe aux assises, je m’efforce de discuter avec mes confrères pour leur dire : attention, les mots que vous prononcez, les articles que vous écrivez, il faut être totalement sûr, réfléchir aux conséquences possibles de vos écrits ou de vos paroles. Le journaliste est quelqu’un qui est suivi par la masse. Il faut une responsabilité parce que, même trente ans après, pour le cas du Rwanda, l’histoire et la justice finissent par retrouver et sanctionner les auteurs et leurs complices. Il faut être responsable à ce niveau. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être libre. Il faut être libre, mais responsable.

Existerait-il une particularité rwandaise dans la couverture, le traitement et la diffusion d’informations sensibles au regard de l’histoire du pays ?
Cela a pris beaucoup de temps, pour le secteur des médias dans le pays, pour pouvoir déjà accepter, comprendre et interroger toute la responsabilité qui est la nôtre en tant que professionnels dans la tragédie (génocide rwandais). Et réfléchir ensemble aussi comment créer des garde-fous. Parce que, quand il n’y a pas une régulation, tout le monde écrit et fait ce qu’il veut. Et le danger, c’est ce qui est arrivé dans le pays. Actuellement, il y a une loi de la presse (en gestation) qui va être bientôt adoptée où on pourra avoir une ligne directrice pour non seulement aider le journaliste à faire son métier, mais aussi créer une espèce de garde-fou. On a vu des fous commettre l’irréparable dans ce pays. On a la responsabilité de laisser une société responsable de ses actes, de ses paroles.

Cette histoire, bien que douloureuse, ne pourrait-elle pas être considérée comme alibi pour contrôler la presse au Rwanda ?
Cette question m’a été posée plusieurs fois. Pour comprendre la pertinence de cette loi, il faut être dans le contexte local rwandais. Quand on vit cette histoire de loin, on ne comprend pas ce qui est arrivé dans ce pays. J’espère que vous aurez l’occasion de visiter le Rwanda et ses mémoriaux, de suivre l’histoire et d’avoir des témoignages de gens qui ont vécu des événements. Dans la presse, il y a des hommes et des femmes qui ont survécu à cet évènement, qui ont vécu cette expérience. Après avoir discuté avec ces personnes, vous allez vous faire une meilleure idée de l’histoire.
Alors, comme je le disais, il a fallu pratiquement 30 ans pour avoir un système de régulation. Et cela a été discuté pendant très longtemps, justement pour éviter des questions de ce genre. Créer des bases, des lignes directrices très claires, où tout le monde connaît ses droits, ses limites et ses responsabilités.

Face à une multiplication des foyers de tension dans le monde, quelle doit être, selon vous, la posture du journaliste pour ne pas tomber dans le piège de la propagande d’un camp ?
D’après ma simple expérience, je pense qu’un bon journaliste doit se limiter aux faits. Laisser les commentaires au public. Quand le journaliste se limite à traduire les faits, c’est-à-dire ce qu’il a vu et entendu, et à ne pas prendre parti, il aura bien fait son métier. Et surtout, pouvoir balancer l’information, donner l’occasion aux deux parties, s’il y en a. Ecouter les deux camps ou les faire entendre et laisser le public prendre le temps de donner son propre jugement. Malheureusement, la plupart de nos confrères prennent parti pour un camp ou un autre. C’est là où tout le monde bascule. Et ce n’est pas bon pour notre métier.