Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU – C’est un virtuose de la kora. Seckou Keïta, qui a reçu les enseignements de son grand-père, Jali Kemo Cissokho, à Ziguinchor, a contribué à l’essor de cet instrument traditionnel. Joueur de kora aux côtés des plus grands artistes de ce monde, percussionniste, chanteur, compositeur et producteur, Seckou Keïta est désormais Docteur Honoris Causa de l’Université de Nottingham Trent, au Royaume-Uni. Une distinction qui vient renforcer un ancrage dans une tradition que l’artiste a su adapter au rythme du monde.Vous venez d’être fait Docteur Honoris Causa de l’Université de Nottingham Trent, au Royaume-Uni. Pouvez-vous nous dire ce que représente cette distinction pour vous ?

J’ai été très surpris, mais très honoré de recevoir ce prix. Il m’a été décerné pour ma contribution à la musique. Pour moi, il s’agit d’une reconnaissance de notre tradition griotte en matière d’éducation. Notre mode d’apprentissage et de formation n’est pas facile, surtout lorsqu’il commence si jeune, et exige dévouement, discipline et travail acharné, comme vous le savez. Pour moi, c’est une reconnaissance de la valeur de notre système éducatif, mais aussi de mon travail de compositeur et d’interprète. J’en suis ravi.

Vous jouez de la kora sur les plus grandes scènes du monde. Comment s’est déroulée votre carrière ?
Comme je l’ai dit, j’ai commencé jeune, sur les genoux de mon grand-père, Jali Kemo Cissokho. Mais c’est mon oncle Solo Cissokho qui m’a fait connaître les grandes scènes du Sénégal. En 1996, j’ai été invité à jouer en Norvège dans le cadre d’un programme pour jeunes talents et, par la suite, j’ai été invité en Inde. C’est ainsi qu’a commencé ma carrière internationale et ma collaboration. Mon parcours a été sinueux et a comporté des concerts, de l’enseignement, de la collaboration et de la composition. J’ai toujours été ouvert à la collaboration avec différents artistes et les voyages ont élargi mes perspectives, non seulement sur d’autres cultures, mais aussi sur la mienne. J’ai la chance d’avoir pu me produire dans plus de 52 pays.

Dans vos duos avec la Galloise, Catrin Finch, il y a un véritable dialogue entre la kora et la harpe. Qu’est-ce qui rapproche ces deux instruments finalement ?
Ces deux harpes se complètent très bien, mais elles sont très différentes en termes d’accord, de tessiture et de façon de jouer. Elles ne peuvent vraiment s’accorder que si les musiciens s’accordent également. Lorsque Catrin et moi nous nous sommes rencontrées pour la première fois, il y avait une véritable connexion musicale entre nous, qui s’est développée au fil des années de travail en commun. Nous venons tous deux de milieux traditionnels, moi en tant que griot sénégalais et Catrin en tant que harpiste occidentale de formation classique, et nous avons tous deux commencé à jouer et à collaborer très jeunes. Nous avons pu réunir ces expériences et avons appris à communiquer à travers la musique.

Vous avez eu des collaborations avec de grands noms de la musique. Qui vous a particulièrement marqué et en quoi ?
J’ai eu l’occasion de travailler avec de nombreux artistes et chacun d’entre eux laisse son empreinte, de sorte que l’on n’est plus jamais le même après les avoir rencontrés. Cepen­dant, l’artiste qui a probablement eu le plus d’impact est Omar Sosa. Il me rappelle toujours à quel point il est important de se rattacher musicalement et spirituellement à l’endroit d’où l’on vient. Il est originaire de Cuba et considère son pays comme une province de l’Afrique. Il a un profond res­pect pour notre myriade de cultures. Il m’a rassuré sur l’importance de toujours se con­necter profondément à notre histoire, où que nous allions.

Vous allez sortir un nouvel album prochainement semble-t-il. De quoi sera-t-il question ?
Cet album a mis longtemps à voir le jour. J’ai sorti deux singles, Elles sont toutes Belles avec Aida Samb et Homeland avec Baaba Maal comme pilotes pour cet album en 2021. Je joue encore avec le titre, mais les thèmes sont l’amour, l’espoir, le pardon et la vie sociale en général. Je veux que cet album touche le public d’Afrique de l’Ouest ainsi que la diaspora. Il s’agira donc d’un album pour danser, qui sera réjouissant et enjoué.

Comment parvenez-vous à concilier les traditions associées à la kora avec les exigences de la musique moderne ?
La musique moderne a une histoire et vient de quelque part ! La musique évolue et se transforme, et la kora a évolué et s’est transformée avec elle. Les joueurs de kora professionnels travaillent avec la technologie et adaptent la kora pour qu’elle puisse s’intégrer à tous les styles de musique. J’ai développé la kora à double manche avec l’aide de mon cousin, Aliou Gassama, un luthier de kora de Ziguinchor, afin de pouvoir facilement changer de clé, en particulier lorsque je joue avec des musiciens classiques. Il est important de suivre le rythme et de ne pas se laisser distancer, mais en même temps, l’instrument à un tel arrière-plan de musique traditionnelle que la nature de l’instrument sera toujours présente. J’ai toujours dit que la tradition vit au quotidien. Ma formation est visible tous les jours. Elle sert de base à tout le reste. Par exemple, un morceau classique joué par mon grand-père sonne différemment lorsque je le joue et sonnera différemment lorsque mes petits-enfants le joueront à l’avenir. Nous ne voulons pas non plus que la tradition soit abandonnée. Elle n’est pas là pour être remplacée.
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