Nul n’est prophète chez soi ! Makhtar Sidibé est la preuve vivante de cette maxime. Cet artiste interprète et auteur sénégalais qui évolue en France vient de sortir son premier album. «Ma valise» est  un véritable succès musical, au vu de sa rotation dans les grandes chaînes télé de l’Hexagone. Et pourtant au Sénégal, c’est un parfait inconnu qui arpente les rues de la capitale. Une chose que Makhtar Sidibé aimerait changer. En vacances au Sénégal pour deux semaines, l’auteur de «Bla bla», dont l’interprétation sur France 2 lors de la dernière Fête de la musique a laissé Garou bouche bée, revient dans cet entretien sur son parcours, non sans occulter son souhait de s’imposer sur sa terre natale.

Que contient votre valise ?
Dans Ma valise, j’ai mis les rêves d’un jeune Sénégalais qui avait envie de réussir dans la vie, de servir son pays. Je fais partie de ces milliers de jeunes touchés par la pauvreté qui n’ont pas d’échappatoire pour s’en sortir. Comme il n’est pas facile de se réaliser socialement au Sénégal, je m’étais dit pourquoi ne pas tenter ma chance ailleurs.
Ma valise est un album typiquement pop, teinté de variétés françaises. C’est un mélange de sonorités africaines et occidentales. Dans le morceau 2.0, on entend la kora africaine, des notes de guitare africaine et j’ai chanté en wolof. En résumé, c’est mon autobiographie avec des rythmes africains et occidentaux. Il est produit par Warner music.

On a vu que l’album est plus ou moins bien accueilli en France. Vos clips tournent en boucle sur les grandes chaînes française alors que des artistes remuent ciel et terre pour y accéder. Quelle est votre recette ?
J’évoque ce que j’ai vécu en France, comment j’y suis venu. Je pensais qu’une fois en France, ma vie allait changer du tic au tac. Je me suis heurté aux réalités de ce pays. Et je me suis demandé pourquoi suis-je là, qu’est-ce que je faisais ici.
Il faisait froid, personne ne calcule personne. C’est chacun pour soi et c’est quelque chose que je ne connaissais pas. Ce n’est pas comme au Sénégal où tu peux manger où tu veux, alors qu’en France tout se paye. C’est ma plus grande déception. C’était un choc pour moi. Mais vu que je me suis déplacé pour fuir la pauvreté, je n’avais pas le choix : il fallait se battre. C’est ce que j’ai essayé de faire. C’est tout cela que j’ai traduit dans mes textes. On peut dire que cet album est une autobiographie. Il retrace mon parcours.

Et quel est votre parcours ?
J’ai commencé la musique au Sénégal. J’ai fait du hip-hop feeling, big city battle, etc. mais ça ne prenait pas. J’ai fait ce que tout le monde fait, mais rien. Cela ne marchait pas comme je le voulais. Et j’ai réussi à un concours grâce auquel je devais aller visiter la France. Je devais me rendre en France pour un court séjour. C’était en 2009. A la fin de mon visa de 3 mois, les Sénégalais qui sont là-bas m’ont convaincu de rester. Et ce n’était pas difficile, car je devais choisir entre revenir au Sénégal dans la misère ou bien rester pour tenter ma chance, d’autant plus que mes potes étaient convaincus qu’avec ma musique je pouvais percer.
Je suis resté et tombé amoureux du pays. J’ai fait une mixtape en France, mais ce n’était pas trop ça. Je suis rentré en studio et j’ai envoyé des mails aux maisons de disque qui voulaient toutes me signer après avoir écouté mes nouveaux morceaux. Et j’ai signé avec Warner music qui nous a donné la meilleure proposition. Je voulais entrer dans le business de la musique et là je ne me plains pas, car les artistes se battent pendant des années pour être là où je suis, même si ce n’est que le début et que ce n’est pas encore gagné. Je suis confiant pour la suite.
On peut vous dire que vous êtes chanceux, car il n’est pas facile de percer dans l’univers de la musique. Et pourtant en un laps de temps, vous vous êtes fait une place…
Ce n’est pas aussi facile que vous le pensez. Je devais au Sénégal me battre pour sortir ma famille de la pauvreté. J’avais un visa de touriste de 3 mois. Une fois les trois mois écoulés, je suis resté sans abri et sans travail. Je logeais chez les Sénégalais. On m’hébergeait de gauche à droite. A un moment donné, j’ai essayé de fréquenter des endroits où il y avait de la musique, car chanter c’est tout ce que je peux faire.
J’ai commencé dans les «Jam sessions» pour me faire un peu d’argent, vivre et essayer un tant soit peu de subvenir aux besoins de la famille. A ce moment-là, j’étais hébergé par un pote. Ce dernier était en collocation. Le gars avec qui il a loué l’appartement n’était pas sur Paris, j’en ai profité. Mais quand il est rentré, il n’y avait pas assez de places pour trois. J’ai décidé de sortir. C’est comme ça que j’ai commencé à dormir dans le métro parisien. Il faisait froid, mais je n’avais pas le choix. On était nombreux à dormir là-bas. Ceux sont des personnes généreuses. Le peu qu’elles avaient, elles le partageaient avec moi. Je les respecte parce qu’elles connaissent la valeur de l’homme.
Après trois jours dans le métro, j’ai rencontré Ousmane Kouyaté, le petit-fils de Soundioulou, le joueur de kora. Il m’a présenté à un cabaret, «Les Tromayets». Le patron, Jacques, m’a auditionné. Il a bien aimé ce que j’ai fait et m’a engagé. Ma vie a vraiment changé quand j’ai commencé à travailler. Je gagne suffisamment pour me payer un appartement et envoyer de l’argent à ma famille au Sénégal. Maintenant, on peut dire que les soucis financiers sont derrière moi.

Comment est née cette passion pour la musique ? Etes-vous issu d’une famille de musiciens ?
Non, je ne suis pas issu d’une famille de musiciens. J’ai grandi dans une famille pauvre. A la maison, il n’y avait rien à manger. Et pour oublier qu’on n’avait pas mangé, ma mère avait trouvé une astuce : elle nous faisait chanter, histoire de nous occuper. Elle nous disait qu’on ne peut pas être éternellement pauvre et que cette situation va changer à un moment donné. Et nous on chantait. Cela suffisait à notre bonheur.
Au fait, avec le recul, je pense que la musique était une thérapie pour oublier cette pauvreté. Mais je me suis décidé à faire de la musique quand j’étais encore à l’école. Un jour, j’écrivais en plein cours un texte sur le Sida. Quand le prof m’a surpris, il a voulu lire ce que j’avais écrit, mais j’avais peur qu’il découvre qu’au lieu de travailler, je griffonnais des textes. Il l’a finalement lu et il en était surpris. Il m’a encouragé et depuis ce jour j’ai eu confiance en moi.
Avec la pauvreté, ce n’était pas évident. J’allais là où je pense qu’on pourrait me donner ma chance. J’avais fait pas mal de concours, mais rien n’y fît. En 2009, j’ai réussi à un concours et c’est comme ça que je suis parti en France, la tête pleine de rêves. Je croyais que  j’allais enfin sortir de la pauvreté, mais les situations que je t’ai expliquées m’ont ramené sur terre.
En réalité, il n’y a pas d’eldorado. Il faut juste croire en ses rêves et se donner les moyens de réussir. Avec le recul, je ne conseille même pas à mon pire ennemi d’emprunter mon chemin. C’était vraiment dur.
Maintenant que cette histoire est terminée, on a l’impression que vous en voulez au Sénégal parce qu’il n’y a pas de collaboration avec nos artistes.
(Rires). Non, il ne faut pas le voir ainsi. Maintenant, je travaille avec Keridine, le producteur de Zaz, une artiste qui a commencé dans le métro parisien et qui est passée par «Les Tromayets» tout comme moi. Sur cet album, on n’a pas collaboré avec des Sénégalais parce que l’objectif était de se faire une place dans le monde musical français. On peut dire que le pari est gagné, parce qu’on est vraiment entré dans les variétés françaises. Sur les classements des musiques les plus écoutées par les Français, vous verrez mon album.
Modestie mise à part, on fait partie des albums les plus vendus. C’est incroyable au vu de mon parcours, mais ce qui me peine c’est de ne pas le partager avec les Sénégalais. Je ne peux pas aller dire aux Sénégalais : «Ecoutez mon album !»

Mais ne pensez-vous pas qu’avec les mêmes démarches faites en France, cela peut marcher pour vous au Sénégal ?
Ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’ai commencé la musi­que au Sénégal, mais ça n’a pas marché. Je n’ai pas eu la chance de tomber sur une personne qui avait mon temps. C’est ce genre de personnes que j’ai rencontrées en France. Et ce sont elles qui m’ont introduit dans ce circuit-là et aujourd’hui on en est là.
J’ai remué ciel et terre au Sénégal pour trouver cette personne, mais cela ne s’est pas produit. La seule chose que je désire c’est d’avoir ce lien privilégié avec le Sénégal comme je l’ai avec la France. Quand je suis en tournée en Europe, je vois des personnes qui se bousculent pour moi, mais je reste sur ma faim. Je veux avoir ce lien d’amour avec mes frères et sœurs sénégalais, c’est tout ce que je souhaite. Ma fierté c’est avant tout d’être sénégalais.
Dans mes interviews, mes scènes, je parle toujours du Sénégal. Je compte revenir avec mon équipe tourner un clip ici, faire la promotion de l’album et éventuellement faire deux ou trois scènes, mais actuellement je suis en vacances pour deux semaines. Il y a des tournées qui m’attendent. Là je viens juste pour voir la famille, mais dans un futur proche je vais revenir, mais il ne faut pas oublier que mon album n’a que trois semaines et qu’il faut que je fasse la promotion et c’est bien parti. J’ai partagé la scène avec de grosses pointures comme Gims, Magic Système, Soprano, Cris Cab, mais la communion avec les miens me manque. J’ai envie de faire flotter le drapeau sénégalais dans le monde, mais sans les Sénégalais ce n’est pas apétissant.