Baol Films Festival se tient à Diourbel du 18 au 20 novembre. Thierno Bakhoum, directeur du festival et Secrétaire général du Réseau des festivals de cinéma au Sénégal, est un militant convaincu de la décentralisation. A Diourbel, où il installe chaque année le cinéma sénégalais, ses objectifs sont clairs : lutter contre le chômage, décentraliser la culture et vendre la destination Diourbel.Quels étaient vos objectifs en organisant votre festival hors de Dakar, plus précisément à Diourbel ?

Le Baol Films Festival vise à décentraliser les opportunités culturelles dans les régions. Nous avons constaté que les opportunités sont quasiment toutes à Dakar, et les jeunes des autres régions aussi méritent d’avoir les mêmes chances de réussite. Notre objectif était donc de sensibiliser les élus locaux et les autorités politiques sur l’importance du cinéma pour lutter contre le chômage des jeunes en réduisant l’exode rural. Nous voulons également promouvoir les films des jeunes cinéastes et accompagner la jeunesse à prendre conscience des métiers du cinéma. Le Baol Films Festival participe à la valorisation du tourisme religieux, à vendre la destination Diourbel à travers le cinéma. Enfin, il s’agit de faire de Diourbel, la capitale des jeunes cinéastes, comme le souhaitait mon défunt professeur et mentor, Abdel Aziz Boye, fondateur de Ciné Ucad et Ciné Banlieue. Pour moi, les obstacles organisationnels et les manquements sur le plan de la logistique, surtout notés à Diourbel, nous poussent à réfléchir pour trouver des alternatives et nous adapter au milieu. Mais ils ne peuvent point nous bloquer. Nous avons une équipe très jeune, constituée de passionnés de cinéma, alors…

Pourquoi le choix de Diourbel pour y tenir votre festival ?
D’abord, feu Abdel Aziz Boye l’avait choisie de son vivant, et à cela s’ajoute le fait que je suis originaire du Baol. En plus, la région de Diourbel a beaucoup de potentiel et, jusqu’à présent, Diourbel détient le record du Fesnac pour l’avoir remporté plusieurs fois. Mon engagement syndical à l’Ucad y a aussi joué un rôle parce que je suis un adepte de la décentralisation.

Qui participe au festival cette année et quel est le programme ?
Cette année, il y a des films venant de pays comme le France, le Maroc, le Bénin, le Cameroun et le Sénégal dans la compétition officielle. Cependant, nous avons choisi la ville de Thiès, comme ville invitée d’honneur. Au programme, nous aurons des panels, visites, projections de films, etc. Les innovations, cette année, commencent avec la cérémonie d’ouverture. Le film Joom du cinéaste sénégalais, feu Ababacar Samb Makharam, ouvrira la 6ème édition du festival. Une exposition sur sa vie et son œuvre est envisagée avec notre partenaire, les Fonds d’archives du Sénégal. Trois prix seront en jeu, le Grand prix Abdel Aziz Boye, le Prix du public dédié à Ababacar Samb Makharam et le Prix du meilleur interprète (acteur ou actrice). Nous souhaitons que la Direction ou les agents du ministère de la Culture et du patrimoine historique viennent à Diourbel.

Comment êtes-vous devenu cinéaste ?
C’est en 2014 que j’ai découvert le cinéma dans sa globalité, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), avec Feu Abdel Aziz Boye, fondateur de Ciné Ucad et Ciné Banlieue. Je me rappelle, la première fois qu’il se présentait aux étudiants de ma faculté et de notre département de Lettres modernes, il était accompagné de notre professeur de théâtre, le professeur Diakhaté. A la fin du cours, il nous avait demandé de venir le rencontrer dans son bureau, à l’Ecole supérieure polytechnique (Esp). C’est de là que tout a commencé véritablement. Je peux dire que c’est M. Abdel Aziz Boye qui m’a initié aux métiers du cinéma. Mais il ne voulait pas que je sois un réalisateur, plutôt un distributeur. D’ailleurs, je me rappelle qu’après notre film collectif de la 7ème promotion, La Bourse, des Italiens se sont intéressés à mon premier projet, Martyr, qui relate l’histoire de Bassirou Faye, exposé lors de son festival Banlieue Films Festival. Il m’a demandé de réfléchir sur un projet et c’est à partir de ce moment que j’ai commencé à cogiter sur un festival. En 2016, je lui ai présenté le premier document du Baol Films Festival. C’est cette même année qu’il m’a mis en relation avec Khady Diédhiou, qui fut la première réalisatrice à venir à Diourbel avec son film, Songho. Le Baol Films Festival est l’événement des jeunes cinéastes du Sénégal et de la diaspora. Décentraliser un festival de cinéma n’est pas chose facile, surtout à Diourbel. Seulement, nous avons appris, avec M. Boye, à tout faire en équipe et c’est la raison pour laquelle les obstacles, on est arrivés à les surmonter. En outre, il nous disait : «Je ne forme pas des cinéastes, mais plutôt des hommes avec un grand H.» Ca veut tout dire pour moi.

Est-ce qu’aujourd’hui, on peut parler d’une industrie cinématographique au Sénégal ?
Selon moi, il est très prématuré de dire que le Sénégal dispose d’une industrie cinématographique. Cependant, je crois que notre pays est dans les dispositions de mettre en place cette industrie. C’est dans cette logique que s’inscrit le travail d’assainissement du secteur du cinéma et de l’audiovisuel créatif de la Direction de la cinématographie du Sénégal, avec l’instauration de cartes professionnelles pour les acteurs ou techniciens du cinéma, les barèmes de paiement, les métiers à faire valoir pour les formations des jeunes, etc. Mais aussi l’implication d’organisations cinématographiques reconnues dans les réflexions.

Qu’est-ce qui manque alors pour la mise en place de cette industrie cinématographique ?
Pour mettre en place notre industrie, il est impératif que nos autorités construisent des salles de cinéma, avec les équipements idoines, dans chaque région du Sénégal, ou bien qu’ils allouent un budget conséquent pour la réhabilitation de ces dernières. Aujourd’hui, on parle de complexes cinématographiques et de favoriser les formations qualifiantes des jeunes en les décentralisant. Le Sénégal doit obligatoirement avoir une Ecole nationale de formation en cinéma, prenant en compte, sans exception, les métiers existants dans le secteur du cinéma. Pour moi, des appels à projets doivent être initiés par le Fopica. L’Etat du Sénégal doit tripler le fonds alloué au cinéma afin qu’il puisse accompagner concrètement les productions sénégalaises. On ne peut pas parler d’industrie cinématographique sans parler de comment rentabiliser les produits et pour cela, il faudra qu’on tienne compte des nouvelles technologies, des salles de cinéma, mais aussi de l’implication de nos télévisions dans les co-productions des films de nos cinéastes. Sans oublier les entreprises qui, pour moi, doivent impérativement sponsoriser les festivals dans le cadre de leurs Rse.

Quelle attitude les acteurs culturels devraient-ils adopter pour mieux se faire entendre par les décideurs, pour une meilleure prise en charge de leurs préoccupations ?
Pour booster le cinéma sénégalais, il faudrait indéniablement une politique culturelle. C’est dommage de voir ou constater que la culture n’occupe pas une place privilégiée tant sur le plan médiatique que celui politique. On évoque très rarement les enjeux culturels de l’heure dans l’espace public. Les acteurs culturels doivent se faire entendre par des actions concrètes et être exigeants à l’égard de nos politiques. Les autorités locales, en collaboration avec les centres culturels régionaux, doivent réfléchir sur des agendas culturels pour permettre de prendre au sérieux la culture. Par exemple, à Diourbel, depuis plus de 10 ans, il n’y a pas de ligne budgétaire allouée à la culture, alors que c’est une compétence transférée. Les élus et les conseils municipaux doivent être davantage sensibilisés.
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