Comment ramener le public au théâtre ? Yacine Sané, comédienne, actrice, entrepreneuse culturelle et directrice du Festival  international Dakar théâtre et humour (Fidath), donne sa recette. En marge de la 3e édition de ce festival qui s’est tenue du 18 au 21 juin 2025, la comédienne est revenue sur la réalité du théâtre d’aujourd’hui, bousculé et parfois même délaissé suite à l’émergence du numérique et l’arrivée en force des séries sénégalaises et africaines sur le petit écran.Propos recueillis par Amadou MBODJI – La 3e édition du Festival international Dakar théâtre et humour (Fidath) s’est tenue a Dakar du 18 au 21 juin 2025. Quelles ont été les grandes lignes du festival ?

Cette année, nous avons organisé l’édition sous le thème des femmes, qui revient à chaque fois, de l’intégration et de la souveraineté africaine. Nous avons reçu des pays comme la Côte d’Ivoire, qui était invitée d’honneur, le Mali, le Congo, et des pièces qui viennent de tout le Sénégal (de Saint-Louis et de la compagnie de Dakar). Nous avons fait la cérémonie officielle à Sorano et nous avons eu des pièces très engagées, qui parlent de l’actualité en Afrique, de ces héros comme Lummumba, Sankara, mais aussi une pièce de Molière, celle de l’ouverture, jouée par Kader Pichinini. En marge de cela, nous avons effectué une formation en entrepreneuriat culturel au profit des directeurs de festival. Cette année, nous avons axé la formation surtout pour les femmes.

Pourquoi les femmes ? 
C’est un choix que j’ai fait parce que j’ai remarqué que le leadership féminin est assez négligé ici, surtout dans la culture, notamment dans le domaine du théâtre. Je peux dire que je suis la seule directrice de festival de théâtre et je veux, en ce sens, booster cette activité pour que les femmes aient plus confiance en elles et plus d’assurance à organiser des événements. La preuve, elles sont venues en masse pour cette formation. Aujourd’hui, nous sommes en train de faire un panel (Entretien réalisé le 21 juin), on parle du public qui a déserté les salles de théâtre. L’objectif de ce festival, c’est aussi de ramener les gens au théâtre, de faire des productions de qualité dans les salles, d’accélérer la formation.

Pourquoi le théâtre ne fait-il plus courir le public ? 
C’est un problème qui remonte peut être à plusieurs années. Moi, je me rappelle que quand on a commencé avec la troupe des Gueules tapées, une compagnie privée, c’était la belle époque. Les salles étaient pleines. Avant, il y avait beaucoup de compagnies privées, il y avait des subventions de l’Etat peut-être, je ne sais plus. Mais il y avait l’Union Européenne qui était là, le Programme de soutien aux initiatives culturelles (Psic). Les compagnies recevaient des financements pour faire des créations.

Donc aujourd’hui, ce sont les moyens qui manquent pour booster la production ? 
Actuellement, les compagnies privées se meurent faute de fonds, de moyens, de subventions. Et par conséquent, les créations, les pièces de théâtre se raréfient, le public n’est pas fidélisé.

Depuis quand sentez-vous tous ces problèmes ?
C’est juste après que l’Ecole nationale des arts a fermé ses portes, il y a 15 ans. Bien que la section théâtre a repris… Mais pour reprendre tout ça, c’est tout un processus… On est en train de le faire et ça commence à bouger. Juste avec le Fidath, on a vu qu’hier par exemple, le Mali et le Congo ont joué et il y avait une affluence ici, des gens sont venus. Bien sûr, c’étaient des pièces de qualité, portées par des comédiens très talentueux.

Est-ce que les nouvelles autorités semblent comprendre l’importance du théâtre, selon vous ? Est-ce que vous sentez leur soutien ? 
La première fois qu’on a introduit un projet au ministère de la Culture, on a obtenu 3 millions de francs Cfa de subvention.
La seconde fois, c’était 4 millions. Je pense qu’ils sont conscients qu’il faut aider ce secteur en léthargie. Mais 3 millions, c’est juste pour l’hébergement du festival. Je pense que c’est la première fois qu’on reçoit autant d’argent depuis la première édition.

Mais donc, qu’est-ce qu’il faut pour sortir des difficultés ?
Il faut des événements. Il faut renforcer les événements. La formation, c’est la base. Ensuite, la diffusion. On ne peut pas créer des trucs pour les regarder. Il faut que les artistes bougent ; la mobilité des artistes est importante. Il faut que ça bouge, que l’ensemble du système bouge, pour que tout recommence à bouger. Nous, notre objectif, c’est la relance du théâtre.

Vous parlez du théâtre sur scène ?
Sur scène, bien sûr.

Est-ce que les séries télévisuelles ne vous concurrencent pas ? 
Le théâtre et les series télévisuelles, ce n’est pas la même chose. Moi, par exemple, j’ai des amis qui me regardent à la télévision. Je leur dis, un jour, quand vous allez me voir sur scène, vous allez lâcher la télé.
Parce que c’est diamétralement opposé. Ce n’est pas la même chose. Là, c’est du live. C’est comme la musique. Quand tu regardes la personne jouer en live et que tu la regardes à la télévision, c’est différent. Il y a beaucoup d’écart.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour valoriser les artistes ?
La rénumération de la copie privée, je pense que c’est un des moyens pour valoriser les artistes, leur montrer de la considération. Je pense que son application ne va pas tarder normalement.

Est-ce que les Sénégalais sont préparés à payer leur billet pour suivre un spectacle de théâtre ?
Ça commence. Hier par exemple, on a vendu des tickets à 2000 francs. Et on a récolté quand même un peu d’argent. Je pense que si on continue dans cette lancée, à amener des pièces de qualité, à faire beaucoup de communication (même si la communication, des fois, elle est chère), les gens vont venir. Ils nous disent souvent n’être pas au courant de nos spectacles. Mais j’ai remarqué aussi que quand les gens viennent, qu’ils voient ce qu’on fait, ils reviennent. Peut-être qu’ils ne sont pas au courant. Mais bon, le théâtre est là. Le théâtre n’a pas changé. Rien n’a changé dans le théâtre. Maintenant, il faut juste que les gens reviennent. Et c’est ce processus-là qu’on est en train de mettre en place. Il y a quelques jours, j’en ai parlé avec un professionnel qui m’a dit : «Est-ce qu’on ne va pas changer de format ? La pièce, on la met en captation et on la met sur YouTube. Ça génère de l’argent et les artistes vont pouvoir en vivre. Parce qu’on est à l’ère du numérique, de la mondialisation. Il faut que nous changions aussi.» Maintenant, on va vers le public, on fait les captations et on lui propose.
Comme c’est le cas de la pièce de théâtre de la Troupe dramatique de Sorano, Poot mi. C’est une pièce contemporaine qui parle des réalités sénégalaises. Je l’ai suivie. Mais il y a toujours une moralité, et c’est une pièce qui éduque, mais dans la bonne humeur. Quand ça passe, les gens rigolent parce qu’on éduque dans l’humour. Ça allie l’éducation et l’humour. Dans notre festival aussi, on essaie de faire les deux en même temps. Des pièces qui font rire, mais qui éduquent aussi.
ambodji@lequotidien.sn