Ibrahima Ba, victime collatérale d’un pouvoir à la dérive ?

Officiellement, Ibrahima Ba, fils de l’ancien Premier ministre Amadou Ba, serait visé par une enquête pour des soupçons liés à l’enrichissement illicite ou à des malversations financières. Mais à y regarder de plus près, les contours flous de son interpellation -puis de son embastillement- et l’absence manifeste de charges précises posent une question cruciale : est-ce la Justice qui s’exerce ou un nouvel épisode d’une bataille politique acharnée ?
Ibrahima Ba n’a jamais exercé de fonction publique. Il n’a signé aucun décret, géré aucun marché public, ni dirigé une institution étatique. Pourtant, il se retrouve aujourd’hui au cœur d’une procédure qui, sans preuves concrètes communiquées à l’opinion, donne l’image inquiétante d’une dérive, à savoir celle d’une Justice qui s’attaque aux symboles plutôt qu’aux faits.
Cette affaire met en lumière une tendance de plus en plus visible depuis l’arrivée du nouveau régime : l’instrumentalisation de la Justice dans une dynamique de revanche politique. Du moins, est-ce en l’occurrence la perception de nombreux Sénégalais. La présomption d’innocence, pilier fondamental de toute démocratie, semble reléguée au second plan, remplacée par une logique de stigmatisation par association. Comme dans un passé récent, être «fils de» redevient une circonstance aggravante, un soupçon permanent, une cible facile pour satisfaire une opinion chauffée à blanc par des promesses de rupture.
Cheikh Oumar Anne, maire de Ndioum et ancien ministre, parle de «méchanceté politique». Et il n’est pas le seul à s’alarmer. De nombreux observateurs dénoncent des arrestations menées dans la précipitation, souvent sans fondement juridique solide, nourries par une volonté de solder les comptes de l’ancien régime.
On peut -et on doit- réclamer la reddition des comptes. Mais elle doit se faire dans la transparence, le respect des procédures et sur la base de faits établis, pas de soupçons politiques. Sinon, on remplace un arbitraire par un autre, et la promesse de justice se transforme en simulacre.
Arrêter Ibrahima Ba (et bien d’autres) sans qu’il ne soit en charge d’aucune gestion publique, c’est lui faire payer un bilan politique auquel il est totalement étranger. Ce n’est ni juste ni démocratique. C’est le signe d’un pouvoir qui commence à confondre rupture et règlement de comptes, et qui oublie qu’une gouvernance exemplaire commence d’abord par le respect des droits de chacun, y compris de ceux avec lesquels on ne partage rien.
La démocratie sénégalaise mérite mieux qu’une Justice à géométrie variable. Et que l’on fasse ici l’effort de bien nous entendre : personne ne défend un nom, une famille ou un clan. Mais un principe fondamental selon lequel nul ne peut être puni pour ce qu’il est, mais seulement pour ce qu’il a fait. S’il l’a fait.
En ces temps de transition où les repères vacillent, il est urgent de rappeler que le respect de la loi ne peut être à géométrie variable. Le Sénégal ne doit pas échanger un système de domination par le pouvoir contre un système de domination par la peur.
Félix NZALE